Les exclus de Malartic

Publié le 14/01/2012 à 00:00, mis à jour le 18/01/2012 à 11:16

Les exclus de Malartic

Publié le 14/01/2012 à 00:00, mis à jour le 18/01/2012 à 11:16

Par Suzanne Dansereau

PRÉCISION : Dans le reportage ci-dessous publié dans le Journal Les Affaires du 14 janvier 2012, nous rapportons les mesures sonores effectuées par notre journaliste à proximité de la fosse d’extraction minière exploitée par Osisko à Malartic. Nous tenons à préciser que ces mesures sonores n’ont pas été obtenues selon la procédure établie par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP). La responsabilité d’évaluer les émissions sonores revient à la société minière, qui retient les services d’un expert en sonométrie. Celui-ci a pour tâche de calculer les mesures moyennes d’émissions sonores heure par heure. Ces données sont remises à la société minière, qui les transmet au MDDEP.

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La minière montréalaise Osisko se targue d'être un modèle en matière de développement durable et de responsabilité sociale. Mais des propriétaires de résidences situées à deux pas de la Canadian Malartic, la géante mine d'or à ciel ouvert qu'Osisko a bâtie au coeur de Malartic, en Abitibi, témoignent du contraire. Leur quartier est devenu invivable, disent-ils, et ils veulent être relocalisés. Les Affaires a passé deux jours parmi ceux qui se nomment les «ignorés» de Malartic.

6 décembre 2011, 23 h 30, rue Frontenac à Malartic. À moins de 150 mètres de la fosse d'extraction de la Canadian Malartic, le sonomètre professionnel Phonic PAA6 du journal Les Affaires indique un niveau sonore variant de 67 à 72 décibels. C'est 27 décibels de plus que la limite légale pour une zone résidentielle et 17 au-dessus de la limite en zone commerciale.

«C'est un enfer qui ne finit pas», lance Chantale Vaillancourt-Lamothe, riveraine de la mine. Dans sa chambre à coucher, le bruit atteint de 59 à 66 décibels, avec un pic à 75. Or, selon l'Organisation mondiale de la santé, le sommeil est perturbé si le niveau sonore dépasse 30 décibels.

Au petit matin, passé 7 heures, c'est encore pire : de 64 à 78 décibels, avec un maximum de 84. Un climat sonore semblable à celui qui règne au-dessus de l'autoroute Ville-Marie, si vous êtes dans votre voiture.

Nuisances sonores

Malgré le mur-écran qu'Osisko a érigé pour séparer la fosse d'extraction de leurs domiciles, les résidents du quartier sud de Malartic sont soumis à toutes sortes de nuisances sonores : explosions, forages, circulation de camions... «Il n'y a plus de silence à Malartic», souffle Mario Gagnon, dont la mère de 86 ans habite à quelques pas de la fosse.

Sans parler de la poussière. L'été, pas question d'ouvrir les fenêtres, de profiter du jardin, de faire sécher les vêtements sur la corde à linge. La poussière s'immisce à l'intérieur des maisons, même quand les fenêtres sont fermées, disent-ils.

Ils sont une quinzaine de propriétaires et locataires à exprimer leurs doléances lors de notre rencontre tenue le 5 décembre au presbytère de l'église de Malartic : fissures dans les murs, meubles brisés après un dynamitage, enfants et animaux traumatisés, allergies... Les inconvénients d'une mine à ciel ouvert dépassent ceux d'une mine souterraine, constatent-ils.

Le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) le constate aussi. Depuis le début de la construction de la mine en 2009, il a enregistré pas moins de 433 plaintes contre Osisko. Il a envoyé 29 avis d'infraction à la minière et déclenché une enquête sur les dépassements de bruit.

Mais les citoyens n'en peuvent plus d'attendre : ils veulent déménager. Point final. Et ils veulent être dédommagés par Osisko comme l'ont été les 150 propriétaires de maisons situées sur l'emplacement actuel de la fosse.

Ignorés par la minière

En août 2010, ils étaient 39 à former le Regroupement des citoyens du quartier sud de Malartic, réclamant d'Osisko qu'elle rachète leurs maisons, et paie les coûts de soutien juridique pour négocier ces transactions. Après sept mois de pourparlers et de pressions, Osisko a accepté de fournir à chaque propriétaire cinq heures de soutien juridique gratuit. Le regroupement y tenait ; c'est la leçon principale que les citoyens ont tirée de la première vague de délocalisations : ne pas négocier sans soutien juridique.

Mais en octobre 2011, surprise : alors qu'elle a conclu le rachat de 30 propriétés, Osisko fait savoir qu'elle n'achètera pas les 9 restantes, estimant qu'elle n'était pas responsable des torts causés - si torts il y avait. De son côté, l'administration municipale a dit qu'elle s'opposait à la démolition des maisons : «cela laisserait des trous qui défigureraient le quartier», selon le maire André Vezeau.

Depuis, ces «ignorés» angoissent. En plus d'être condamnés au bruit et à la poussière, qui ne s'arrêtent pas aux maisons rachetées, ils perdent leur voisinage. À la fin de notre séjour, Osisko commençait à démolir les maisons situées en biais de celle des Lamothe, qui ont devant eux le mur-écran plutôt que le voisinage de bungalows, écoles, CLSC et parc, qui les avaient attirés voilà six ans. (Osisko planifie toutefois un parc et une piste cyclable.)

Certains résidents reconnaissent être devenus agressifs, voire violents. D'autres se disent complètement découragés.

«Ils vivent une détresse psychologique importante. Plusieurs doivent prendre des médicaments pour dormir», résume Nicole Kirouac, une avocate retraitée qui a accepté de s'occuper gratuitement des interventions du Regroupement auprès de la minière, de la municipalité, du gouvernement et des médias.

«Ces gens-là sont coincés et sans défense. Ils veulent quitter le quartier, mais leurs maisons sont invendables. Et leurs revenus modestes ne leur permettent pas de déménager sans compensation, d'autant plus que le prix des maisons dans la région a grimpé à cause du boom minier», poursuit-elle.

Alors qu'Osisko a dépensé près de 150 millions de dollars (M$) pour toutes les délocalisations réalisées dans le cadre de son projet, Mme Kirouac estime que le rachat de leurs maisons coûterait moins de 3 M$.

Depuis le refus de la minière de les dédommager, le Regroupement a coupé les ponts avec ses dirigeants. «La confiance est brisée», relate Mme Kirouac.

«Tout ce qu'on veut, c'est retrouver notre qualité de vie», lance Mme Lamothe.

Certains résidents sont aussi outrés par la façon dont le directeur des finances de l'entreprise, Bryan Coates, les a traités : il en a contacté plusieurs directement par téléphone pour les inciter à vendre rapidement, plutôt que de suivre la procédure prévue avec les avocats de chaque partie.

«C'est intimidant, les forces sont inégales», estime Mme Kirouac.

Le Regroupement refuse aussi de traiter avec le comité de suivi qu'Osisko a mis sur pied pour faire le pont entre la minière et les Malarticois depuis la construction de la mine.

Projet d'agrandissement

Ils craignent pourtant la suite des choses : Osisko prévoit agrandir sa mine à ciel ouvert, déjà longue de 1,4 km, au sud de la ville, car elle a découvert d'autres indices de minéralisation sur les lieux de l'ancienne mine d'or souterraine Barnett. L'agrandissement, qui nécessitera un déplacement de la route nationale 117, risque d'être une autre pomme de discorde. Et le dossier ne sera pas soumis au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), car Osisko n'a besoin que d'un certificat d'autorisation du MDDEP.

La colère contre Osisko s'est aussi répandue à des locataires déménagés : au bout de trois ans, leur loyer doublera. Et ces petits salariés ou assistés sociaux n'auront pas les moyens de le payer.

«Les citoyens floués par Osisko n'ont ni les moyens financiers, ni la santé mentale et physique pour se lancer dans une longue et coûteuse saga judiciaire contre un riche et puissant voisin corporatif dont la valeur boursière dépassait 5 milliards à son pic en 2011», dit Mme Kirouac. (Environ 3,8 milliards de dollars en janvier 2012.)

C'est pourquoi leur récente stratégie consiste à alerter les médias nationaux, le premier ministre et les actionnaires minoritaires québécois d'Osisko, dont le Fonds de solidarité FTQ et Bâtirente. Le conseiller régional de la FTQ, Gilles Chapadeau, a transmis leur dossier au Fonds de solidarité en lui recommandant d'intervenir. Le Fonds détient 29 millions de dollars de participations dans Osisko, selon M. Chapadeau. Le Fonds de solidarité n'a pas retourné nos appels. Chez Bâtirente, le directeur de la gestion des risques extrafinanciers, François Meloche, se dit préoccupé et entend soulever la question auprès de l'entreprise en 2012. «Il me semble que ce serait mieux pour tout le monde qu'Osisko dédommage ces personnes», dit-il. Mais il se demande jusqu'où la minière devra aller.

Les quelques commerçants qui restent derrière la maison des Lamothe voudront-ils eux aussi déménager ? Sans parler de l'église, à deux pas de la mine...

Le mur

Hauteur : 15 m

Largeur au sommet : 5 m

Largeur à la base : 48 m

39,9 M$

Bénéfice net d'exploitation de la mine depuis le début de la production commerciale en mai 2011 jusqu'au 30 septembre.

Source: Rapport financier, Osisko

Juin 2006

Osisko crée un groupe de consultation de la communauté pour informer la population de son projet de mine d'or à ciel ouvert en milieu urbain.

Juin 2008

Ouverture du Centre de relations communautaires d'Osisko.

Automne 2008 Achat de gré à gré et déménagement de 150 maisons et de cinq institutions. Création du comité de vigilance de Malartic.

Printemps 2009

Audiences du BAPE ; poursuite des déménagements et début des travaux.

Août 2010

Création du Regroupement des citoyens du quartier sud de Malartic et rencontres avec Osisko.

Mars 2011

Osisko signe une lettre d'entente offrant du soutien juridique aux membres du Regroupement.

Avril 2011

Le premier lingot d'or est coulé. Démarrage, le mois suivant, de la production commerciale.

Octobre 2011

Osisko envoie une lettre à neuf propriétaires expliquant qu'elle refuse de racheter leurs maisons.

suzanne.dansereau@transcontinental.ca

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