L'investissement vert : l'éthique au service du rendement

Publié le 11/06/2011 à 00:00

L'investissement vert : l'éthique au service du rendement

Publié le 11/06/2011 à 00:00

Par Jean Gagnon

Explosion d'une plateforme pétrolière en mer, droits des populations bafoués par une entreprise avare ou développement controversé d'une filière gazière... Au-delà des aspects financiers, de plus en plus d'investisseurs institutionnels étudient les impacts sociaux, environnementaux et de gouvernance des stratégies d'affaires des entreprises. Contrairement à ce qu'on croit, investissement socialement responsable ne rime pas avec rendement inférieur.

Les sociétés qui désirent attirer les capitaux ne peuvent plus se contenter de présenter de bons résultats financiers. Elles doivent aussi démontrer qu'elles sont socialement responsables.

En effet, au cours de la dernière décennie, les gestionnaires des grandes caisses de retraite, des fonds communs, des fondations et des communautés religieuses ont élargi nettement leurs critères de sélection pour choisir les titres dans lesquels ils investissent. Au-delà des critères financiers, de plus en plus de grands investisseurs étudient les impacts sociaux, environnementaux et de gouvernance des stratégies d'affaires des entreprises.

Cette approche a un nom : l'investissement socialement responsable. Elle prend maintenant beaucoup d'importance. Dans son Rapport 2010, l'Association pour l'investissement responsable (AIR) révèle que les actifs gérés par des gestionnaires adhérant aux principes de l'investissement responsable au Canada atteignent 531 milliards de dollars (G$), soit près de 20 % du total des actifs sous gestion au Canada. C'est 10 fois plus qu'en 2002.

L'AIR est un organisme national à but non lucratif dont le mandat consiste à promouvoir l'investissement socialement responsable au Canada, explique Colette Harvey, conseillère en finance responsable chez Desjardins Cabinet de services financiers, et membre du conseil d'administration de l'AIR.

Il n'existe pas encore au Canada d'organisme officiel indépendant qui certifie les fonds éthiques ou socialement responsables ou bien qui leur attribue une appréciation. Par contre, le mouvement étant en pleine évolution, on peut espérer que plusieurs programmes de certification seront mis sur pied dans un avenir plus ou moins rapproché, dit Mme Harvey.

L'investissement éthique existe depuis longtemps. Son premier filtre consiste à éliminer les investissements dans les secteurs considérés comme nuisibles à la société, soit ceux en rapport avec l'armement, l'alcool, le tabac et le nucléaire.

Mais aujourd'hui, on va beaucoup plus loin, précise Rosalie Vendette, conseillère en investissement responsable chez Desjardins. L'institution québécoise offre le Fonds Desjardins Environnement, récemment récipiendaire d'un prix d'excellence Lipper, et quatre solutions de portefeuilles, soit des fonds de fonds établis selon les critères de l'investissement responsable.

Toutes les sociétés sont maintenant examinées en fonction de leurs engagements quant aux facteurs polluants, au traitement des déchets, aux impacts sociaux qu'elles ont sur les individus et les communautés, ainsi qu'en fonction de leur gouvernance, explique Mme Vendette. Un comité consultatif formé de six personnes recommande l'exclusion des entreprises jugées non responsables. Ce comité s'appuie sur les recommandations de Placement NEI, une société de fonds née d'un partenariat entre Desjardins et Credit Union Central of Canada, qui gère plus de 4 G$ d'actifs.

Activisme d'actionnaire

Pour les tenants de l'investissement socialement responsable, l'objectif n'est pas simplement d'exclure les entreprises qui ne répondent pas aux critères. On veut surtout influencer les pratiques des entreprises. On veut engager l'entreprise dans un dialogue pour lui faire part des préoccupations des investisseurs et demander des changements relatifs à leurs façons de faire.

Lorsque le dialogue s'avère insuffisant, on s'engage alors dans les propositions d'actionnaires. Une proposition est présentée à l'entreprise afin qu'elle soit soumise au vote de l'assemblée des actionnaires. " Comme la proposition est du domaine public, il arrive souvent que les entreprises veuillent collaborer avant que la proposition ne soit soumise au vote des actionnaires ", dit Mme Vendette. Mais si la proposition doit se rendre devant les actionnaires, les fonds votent au nom des actionnaires selon la politique des droits de vote par procuration.

Une exclusion à ne pas prendre à la légère

La société BP a retenu l'attention des investisseurs socialement responsables à la suite du désastre écologique qui a suivi l'explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, en avril 2010, et illustre que la stratégie d'investissements verts n'est pas à toute épreuve.

Peu avant l'événement, le géant pétrolier présentait " des résultats financiers et des politiques en développement durable qui répondaient à nos critères ", explique Serge Pépin, chef de BMO Fonds d'investissement. " Cependant, l'accident a révélé des failles quant à la sécurité environnementale et à la gouvernance de l'entreprise ", ajoute-t-il. Étant donné que BP ne remplissait plus les critères des fonds socialement responsables de l'institution, le titre a alors été vendu.

Le dialogue avec l'entreprise se poursuit, mais le titre n'est toujours pas revenu dans les portefeuilles, confirme M. Pépin.

Exclure des sociétés à cause d'un comportement irresponsable n'est pas une décision facile à appliquer. C'est le cas en ce qui concerne les pétrolières et les minières. Dès que l'on parle d'elles, l'image de l'entreprise polluante et vorace surgit aussitôt.

Pour l'AIR, l'idée n'est pas d'éliminer ces secteurs d'activités, mais de choisir les entreprises qui ont les meilleures pratiques, ou les moins dommageables, selon que l'on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide, explique Colette Harvey. " Dans le sombre monde des sables bitumineux, Suncor Energy pollue, mais elle réussit à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Elle démontre dans certains projets sa volonté d'évoluer vers une meilleure approche environnementale ", dit-elle.

L'approche de l'investissement responsable produit des résultats. Suncor a accepté de divulguer ses prévisions détaillées quant à ses émissions de gaz à effet de serre et à la planification des coûts éventuels de ses émissions de carbone. Talisman vient d'inclure la notion de consentement libre, préalable et éclairé (CLPÉ) dans sa nouvelle politique relative aux relations avec les collectivités. Barrick Gold a accepté de recruter un administrateur possédant des compétences en matière de responsabilité sociale d'entreprise et de droits humains, souligne Mme Harvey.

Si l'exclusion d'entreprises doit être faite avec circonspection, c'est parce que les conséquences pour celles-ci sont très grandes, explique Pierre Bernard, gestionnaire de portefeuilles à l'Industrielle Alliance. Imaginons que plusieurs grandes caisses de retraite, dont la Caisse de dépôt et placement du Québec, annonceraient soudainement qu'elles vont vendre leurs titres de la société XYZ parce qu'elle n'obéit pas à leurs critères environnementaux. À cause du poids de ces investisseurs, le titre pourrait chuter terriblement, craint le gestionnaire.

UNE TENDANCE LOURDE

Jusqu'à maintenant, ce sont surtout les investisseurs institutionnels et les grandes caisses de retraite qui soutiennent les principes de l'investissement socialement responsable. En effet, ces investisseurs gèrent au moins 85 % des fonds de ce créneau. Mais de plus en plus, les promoteurs de fonds communs remarquent la demande de leur clientèle pour des fonds socialement responsables. D'ailleurs, BMO Fonds d'investissement cherche à embaucher des gestionnaires qui ont adhéré aux principes de l'investissement responsable de l'ONU, indique Serge Pépin (voir texte en page i-5).

Les gestionnaires qui adhèrent déjà à ces principes auront un avantage sur les retardataires, car l'investissement durable constitue une tendance lourde, assure Mme Vendette. Investir en fonction des critères en lien avec la responsabilité sociale deviendra un incontournable, selon elle. " Des sondages montrent que 71 % des investisseurs sont favorables à l'idée d'investir dans des entreprises socialement responsables ", dit-elle. Cela permet d'espérer de bons rendements à long terme.

20 % Proportion des actifs sous gestion au pays gérés par des gestionnaires adhérant aux principes de l'investissement responsable, indique le Rapport 2010 de l'Association pour l'investissement responsable.

EXPLOSION DES ACTIFS GÉRÉS PAR DES GESTIONNAIRES ADHÉRANT AUX PRINCIPES DE L'INVESTISSEMENT RESPONSABLE AU CANADA DEPUIS 10 ANS

en milliards de dollars (G$)

2000 49,9

2002 51,4

2004 65,4

2006¹ 467,4

2008 579,1

2010 530,9

¹ La forte augmentation des actifs sous gestion en 2006 s'explique par le fait que la Caisse de dépôt et placement du Québec et le Régime des pensions du Canada ont signé cette année-là les principes de l'ONU pour l'investissement responsable : leurs actifs ont donc été ajoutés au total.

Source : Association pour l'investissement responsable

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