" L'époque où l'on enviait les régimes de retraite des fonctionnaires tire à sa fin " - Jim Leech, pdg de Teachers'

Publié le 07/05/2011 à 00:00

" L'époque où l'on enviait les régimes de retraite des fonctionnaires tire à sa fin " - Jim Leech, pdg de Teachers'

Publié le 07/05/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Peu importe ses talents de gestionnaire, l'entreprise que dirige Jim Leech termine chaque année avec un déficit: 1,8 milliard de dollars en 2010. La stratégie d'investissement innovatrice et agressive de Teachers', la caisse de retraite des enseignants ontariens, n'y changera rien, reconnaît Jim Leech. Il faut revoir les paramètres du régime pour colmater les brèches.

DIANE BÉRARD - Les retraités présents et futurs de Teachers' pourraient-ils connaître un sort aussi sombre que celui des fonctionnaires de la Californie et du Wisconsin, dont les régimes ont enregistré de très mauvais rendements ?

Jim Leech - Le Canada n'est pas les États-Unis. Toutefois, l'époque où l'on enviait les régimes de retraite des fonctionnaires tire à sa fin. Et ce, des deux côtés de la frontière. La survie de ces régimes, et de certains des avantages qui leur sont associés, tient à l'attitude responsable que les parties prenantes auront ou non adoptée. On ne peut plus s'asseoir chacun d'un côté de la table avec une stratégie de négociation classique. Il faut plutôt trouver ensemble les changements qui s'imposent afin d'offrir le meilleur régime de retraite possible à nos enseignants. En 1990, il en coûtait 600 000 $ à Teachers' pour garantir un revenu annuel de 40 000 $ à un professeur retraité. En 2011, cela représente 900 000 $. Les gens vivent plus vieux et les taux d'intérêt sont plus bas.

D.B. - La situation des caisses de retraite canadiennes serait donc grave, mais pas désespérée... lorsqu'on la compare avec celle des institutions analogues ailleurs dans le monde.

J.L. - Disons que je reste optimiste pour ce qui est de la sauvegarde des régimes de retraite canadiens, à condition qu'on en modifie certaines caractéristiques.

D.B. - Même si les caisses de retraite canadiennes ont moins souffert de la crise que leurs homologues à l'international, Teachers' fait face à des défis que la Caisse de dépôt et placement, par exemple, n'a pas. Expliquez.

J.L. - Teachers' n'a qu'une catégorie de déposants-prestataires : les professeurs. La Caisse, elle, sert une clientèle hétérogène issue de toutes les professions. Les considérations démographiques pèsent donc plus lourd dans nos décisions d'investissement que dans celles de la Caisse, car nous ne pouvons pas utiliser le financement plus abondant d'un type de déposants pour compenser la pénurie de financement d'autres types. Nos déposants, eux, présentent tous les mêmes caractéristiques.

D.B. - En 2010, Teachers' a payé 1,8 milliard de dollars (G$) de plus à ses retraités qu'elle n'a reçu de ses déposants. D'autres caisses de retraite affrontent-elles le même casse-tête financier ?

J.L. - Les caisses des infirmières seront les prochaines à heurter ce mur. C'est l'effet baby-boom. Les premiers professionnels recrutés pour s'occuper des enfants du boom ont été les professeurs. Quelques années plus tard, lorsque ces enfants ont vieilli, cela a été au tour des infirmières d'être requises en grand nombre. Les professeurs sont donc la première cohorte de travailleurs du boom à prendre leur retraite, ce qui explique notre déficit année après année.

D.B. - L'espérance de vie croît chez la population en général, mais elle est encore plus élevée chez les retraités de Teachers'. Expliquez.

J.L. - D'abord, nous comptons plus de femmes. Ensuite, les professeurs prennent davantage soin de leur santé que la moyenne de la population. Ils ont notamment été parmi les premiers à avoir adopté de saines habitudes alimentaires.

D.B. - Quelle proportion de votre déficit est due à la démographie, c'est-à-dire au ratio entre déposants et retraités, et quelle autre s'explique par des rendements insuffisants ?

J.L. - La totalité de notre déficit s'explique par les caractéristiques particulières de nos déposants. Malgré la crise, le rendement de Teachers' s'est avéré extrêmement fort. Et, depuis 20 ans, il atteint plus de 10 % par année.

D.B. - Si la tendance se maintient, dans 20 ans, le manque à gagner annuel de Teachers' passera de 1,8 à 5 G$. Pourrez-vous éviter ce gouffre ?

J.L. - Il existe plusieurs pistes de solutions. D'abord, augmenter les contributions des déposants et du gouvernement au régime. Pour l'instant, elles s'élèvent chacune à 12 %. Il serait possible de les hausser à 15 %. Nous pourrions aussi réduire certains avantages, par exemple l'ajustement prévu des prestations équivalant à 50 % de l'inflation. L'éliminer influerait notre déficit. Mais, peu importe la voie choisie, cette décision sera prise par le gouvernement et les participants au régime.

D.B. - Enseigner est exigeant. Repousser l'âge de la retraite des professeurs ne semble pas une solution pour rétablir l'équilibre entre déposants et retraités.

J.L. - Je ne suis pas d'accord. L'âge de la retraite est la somme de l'âge de l'enseignant et de ses années de service. Cette somme a longtemps été fixée à 90. Il y a quelques années, alors que les jeunes professeurs peinaient à se trouver du travail, on l'a réduite à 85. Rien ne dit que nous ne pouvons pas la rétablir à 90.

D.B. - Teachers' est un pionnier des placements alternatifs. Quelle est votre prochaine cible ? Reste-t-il des occasions d'affaires dans le marché ?

J.L. - Nous n'avons pas l'habitude de lancer des signaux à l'avance. On s'en reparlera après ! Nos gestionnaires se creusent la tête pour dénicher des occasions d'investissement qui surpasseront le marché. Et il y en a ! Par contre, aucune stratégie d'investissement, si rentable soit-elle, n'empêchera le bateau de couler. Notre régime de retraite n'a pas été conçu pour des déposants qui sont à la retraite plus longtemps que sur le marché du travail.

D.B. - Vous faudra-t-il prendre davantage de risques pour assumer vos obligations envers vos retraités ?

J.L. - Impossible. Ce serait irresponsable à l'égard de nos jeunes enseignants.

D.B. - Dans combien d'années les coffres de Teachers' seront-ils à sec ?

J.L. - Imaginons qu'à partir de demain, nous ne recueillions plus aucun dollar de nos déposants: nous assumerions nos obligations pendant encore 40 ans. Teachers' n'est donc pas en détresse, mais c'est un énorme bateau à faire tourner; il faut donc amorcer le virage au plus vite.

D.B. - Enviez-vous Claude Lamoureux, votre prédécesseur à la direction de Teachers', d'avoir connu les années fastes de l'économie ?

J.L. - Disons que j'envie son sens du timing (rires) ! Mais, vous savez, Claude a été l'un des premiers à prédire la situation de déficit à laquelle on fait face aujourd'hui. Même au plus fort de la croissance, il l'a vue venir. Et puis, il a eu sa part de défis lui aussi. Il a fallu bâtir notre équipe.

D.B. - Teachers' amorce chaque année en sachant qu'elle enregistrera un déficit, peu importe le rendement de ses gestionnaires. Sachant cela, comment arrivez-vous à motiver votre équipe ?

J.L. - Nous savons que chaque dollar supplémentaire, gagné grâce à nos stratégies de placement, compte. C'est notre contribution à la réduction du problème. Mais nous sommes aussi conscients que n'avons pas le pouvoir d'éliminer ce déficit.

D.B. - Compte tenu de votre problème endémique de déficit, serez-vous plus interventionniste auprès des sociétés où vous investissez pour en augmenter la performance ?

J.L. - Nous avons toujours eu une relation étroite avec la direction des sociétés où nous investissons. Désormais, notre liste d'épicerie s'allonge : nous ajoutons la gestion des risques environnementaux et sociaux à nos échanges.

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LE CONTEXTE

En Californie comme en Grèce, la révolte des fonctionnaires gronde. Le présent les inquiète, l'avenir encore plus. Teachers', la caisse de retraite des enseignants ontariens, a retrouvé quant à elle son niveau d'actif d'avant la crise. Plusieurs gestionnaires de régimes de retraite ne peuvent en dire autant, mais est-ce suffisant ?

SAVIEZ-VOUS QUE

En moyenne, la carrière d'un enseignant dure 26 ans et sa retraite, 30 ans.

" En 1990, il en coûtait 600 000 $ à Teachers' pour garantir un revenu annuel de 40 000 $ à un professeur retraité. En 2011, cela représente 900 000 $. "

diane.berard@transcontinental.ca

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