Le Lacoste qui n'en est pas un

Publié le 01/07/2009 à 00:00

Le Lacoste qui n'en est pas un

Publié le 01/07/2009 à 00:00

Pour la première fois en 75 ans, Lacoste a un président qui n'est pas membre de la famille. Commerce a recueilli, à Paris, les confidences de Christophe Chenut, le nouveau PDG de l'entreprise.

C'est à deux pas du Louvre et de la Place Vendôme que se trouve le repaire du Crocodile. Il loge dans le 1er arrondissement, aux côtés des plus grandes marques de la mode française : Hermès, Chanel, Dior... C'est également là, dans l'immeuble où René Lacoste a installé son entreprise il y a 75 ans, que Christophe Chenut reçoit Commerce. Bel homme au teint halé et aux cheveux grisonnants, le nouveau PDG de Lacoste ressemble à s'y méprendre au Richard Geere de Pretty Woman... à une exception près : ses vêtements sont tous griffés du petit crocodile.

Mais ce n'est pas pour son élégance que la famille Lacoste - qui détient toujours 65 % de la société - l'a recruté. Cet homme d'affaires français d'une quarantaine d'années est un gestionnaire redoutable. L'un des plus en vue de la Ville lumière. Les postes prestigieux, Christophe Chenut les collectionne. Il a été, entre autres, PDG de la grande agence de publicité DDB avant de devenir éditeur de L'Équipe, le plus important propriétaire de publications de sport de France. Rien de surprenant à ce qu'il soit aujourd'hui à la tête de cette entreprise de mode, dont les principales activités sont le marketing et le sport.

En arrivant chez Lacoste, il se retrouve en terrain connu. Adolescent, il gravitait déjà dans l'entourage de la richissime famille. " Pendant les vacances d'été, je jouais au tennis contre Jacques (petit-fils de René Lacoste) quand j'allais au Pays basque ", terre natale du fondateur de la marque. Après quelques secondes de silence, il ajoute, tout sourire : " Et évidemment, j'avais l'habitude de le battre sur le court de tennis ".

Christophe Chenut est compétitif. Et il ne s'en cache pas. Après le travail, sa deuxième passion, c'est le sport professionnel. D'ailleurs, il a été président du Stade de Reims, le Club de soccer emblématique de la ville du même nom, située dans l'Est de l'Hexagone. Aujourd'hui encore, le soccer le captive ; il est administrateur du club de la capitale française, le non moins célèbre Paris-Saint-Germain.

Mais ce n'est pas non plus pour son amour du sport que Lacoste l'a recruté. C'est plutôt pour ses connaissances en marketing. " C'est vrai, Lacoste est venu me chercher en partie pour ce que j'ai accompli sur ce plan, chez DDB, par exemple ", confie-t-il. Un savoir-faire essentiel pour survivre dans la jungle de la mode. " Lacoste fait partie du club sélect des Adidas et Nike, dont les logos sont mondialement connus et reconnus, et que leur marque à elle seule fait vendre ", rappelle Michèle Beaudoin, professeure à l'École supérieure de mode de Montréal, de l'UQAM. Même si la direction de la société aime bien affirmer, tant en entrevue que dans ses publicités, que Lacoste est avant tout un " style de vie ", force est d'admettre que c'est sa marque qui vend. Et que du coup, la survie et la santé de l'entreprise sur le plan financier dépendent de la perception qu'ont les consommateurs du petit reptile. " C'est ce lien d'appartenance qui importe ", note pour sa part le principal intéressé.

Michel Lacoste, l'actuel héritier et président de la société, n'hésite pas à le rappeler dans les entrevues qu'il accorde. Interrogé sur l'embauche de l'ancien éditeur de L'Équipe, il répond : " Christophe Chenut a pour mission de poursuivre le travail accompli depuis 75 ans, toujours dans le même esprit d'équipe et avec une idée de continuité, sans jamais oublier que le seul véritable patron est et demeurera toujours le Crocodile ! " Le nouveau PDG est pour ainsi dire le gardien de la marque.

Un défi de taille pour une société qui étend ses tentacules dans 112 pays, qui affiche un chiffre d'affaires de 2 500 milliards de dollars américains et qui vend 58 millions d'articles chaque année... ce qui équivaut à deux produits par seconde ! Naviguer sur des mers aussi vastes exige de la vision. " Lacoste doit se renouveler sans cesse, rappelle Patrick Beauduin, vice-président chez Cossette Communication. Une marque comme celle-là ne peut se contenter de sa reconnaissance et de sa notoriété. " Le spécialiste de l'image rappelle que le laisser-aller a déformé, à une certaine époque, la perception du Crocodile chez les consommateurs. En effet, au cours des années 1990, sa popularité s'est estompée. " Lacoste n'a pas su se renouveler ", indique-t-il. Elle est restée trop collée au fameux polo. Depuis, son éventail de produits s'est élargi : parfums, lunettes, chaussures, ceintures, montres, vêtements pour femmes...

Ce n'est pas tout. Au moment même où le Croco perdait de son mordant, Lacoste a essuyé un échec sur le marché américain. Au milieu des années 1990, ses ventes là-bas frisaient les 500 millions de dollars américains par an. Les produits Lacoste se retrouvaient partout, même dans les grandes surfaces. Surexposé, le Crocodile a alors perdu de son charme. Une décision capitale s'est imposée : se retirer du marché américain.

L'épisode a servi de leçon. Résiliente, l'entreprise revient à la charge. Et avec succès. " Lacoste est revenu à la mode. Comme le phénix, elle renaît de ses cendres ", note Patrick Beauduin. Et le Crocodile s'est de nouveau lancé à l'assaut de l'Amérique, mais " en s'abstenant d'étaler nos produits dans des grandes surfaces ", précise Christophe Chenut. Cette fois, Lacoste opte pour une nouvelle stratégie : elle ouvre ses propres boutiques en sol nord-américain. D'ailleurs, Montréal devrait très bientôt avoir la sienne rue Sainte-Catherine. Et tout indique que cette stratégie porte les fruits escomptés. Seulement au Canada, la chaîne a vendu pour 28,9 millions de dollars de vêtements, soit dix fois plus qu'en 2000 (3 M $), lorsqu'elle revenait peu à peu au pays.

Une bonne partie du succès retrouvé est attribuable à la cure de jeunesse entreprise par Christophe Lemaire, l'actuel directeur artistique de Lacoste. Ce jeune créateur français a remis la marque au goût du jour. Il était temps. " Lacoste avait un problème d'image, mais elle faisait de l'argent, confie le créateur. Elle n'avait pas l'habitude de travailler avec des directeurs artistiques. C'est une entreprise compliquée. "

Lacoste a développé un modèle commercial qui a pour effet de garantir le contrôle et surtout la qualité de ses produits, du début à la fin de la production. Pour ce faire, elle a noué des partenariats avec des entreprises reconnues dans leurs secteurs respectifs : Devanlay pour les vêtements, Pentland pour les chaussures, Procter & Gamble pour les parfums, Samsonite pour la maroquinerie, Charmant pour les lunettes, Movado pour les montres, Zucchi - et Uchino au Japon - pour le linge de maison, et Collaert pour les ceintures.

Gérer l'image, assurer la qualité, trouver des partenaires, c'est le lot quotidien de Christophe Chenut. Cependant, son plus grand défi est peut-être ailleurs. Car il ne s'est pas joint à une entreprise : il a été " adopté " par une famille. Une famille qui est la fois le principal atout et le plus gros handicap de cette société. Les dissensions internes - dignes d'un soap opera ! - y ont été nombreuses. Un exemple : Philippe, le fils de l'actuel héritier Michel Lacoste, a récemment contesté le rôle de directrice de la communication qui avait été attribué à Réjane Lacoste... sa belle-mère ! À la suite de ce conflit, Philippe Lacoste a dû quitter l'entreprise pour prendre " ses distances pendant quelque temps avec la société et s'occuper de stratégie à long terme, en accord avec la majorité des membres de la famille ", comme le précise son père. Quelques mois plus tard, Réjane Lacoste a donné sa démission à Christophe Chenut.

Rien de tout ceci ne semble faire peur à ce dernier. Chaque entreprise présente des défis qui lui sont propres, dit-il. " Et moi, je peux vous assurer que je n'ai aucun problème. On m'a accueilli ici à bras ouverts, comme si je faisais partie de la famille. " Habilement, il oriente l'entretien vers les défis à venir. D'abord, son développement sur le marché asiatique, " même si, actuellement, nos efforts se concentrent surtout aux États-Unis ", confie-t-il. Récemment, de gros investissements ont été faits en Chine et en Russie, où le potentiel est immense. Rappelons qu'à elle seule, la Chine est le troisième marché en importance pour les produits de luxe. L'empire du Milieu représente 12 % des ventes mondiales. Et si la tendance se maintient, la Chine pourrait devenir le plus grand consommateur de produits de luxe au monde d'ici cinq ans... et dépasser dans ce domaine les États-Unis et le Japon ! Lacoste est en bonne position pour profiter de ce renversement. Selon l'institut d'études GKF, le Crocodile est sur le podium des marques de luxe les plus appréciées des consommateurs chinois.

Encore faut-il que Lacoste soit en mesure de lutter efficacement contre la contrefaçon de ses produits. " C'est un problème majeur ", admet Christophe Chenut. Le Crocodile enchaîne les poursuites contre les contrefacteurs. À titre d'exemple, il y a deux ans, un tribunal de Beijing, en Chine, ordonnait à trois entreprises chinoises de payer à Lacoste près de 100 000 dollars pour les dommages causés par la contrefaçon. Lacoste montre les dents. Une lutte qui lui coûte chaque année " cinq millions d'euros (7,9 millions de dollars), sans compter le salaire des gens qui travaillent ici sur les cas de contrefaçon ", précise-t-il.

" Le problème est double ", précise Christophe Chenut. D'un côté, il y a la contrefaçon de ceux qui copient directement le logo. " Et de l'autre, il y a une marque asiatique qui porte à confusion en s'appelant Crocodile ", poursuit le PDG. En effet, depuis sept ans, Lacoste poursuit en cour la marque Crocodile International qui arbore un crocodile similaire, mais dont la gueule pointe vers la gauche au lieu de la droite.

Asie. Europe. Russie. Amérique du Nord. Lacoste réalise aujourd'hui 90 % de son chiffre d'affaires à l'extérieur de l'Hexagone. Comme l'indique Christophe Chenut, elle est bien prête à poursuivre ce développement et à prouver à tous que le Crocodile est tout sauf un animal en voie d'extinction. " Nous avons toujours connu une croissance, même pendant les années les plus difficiles. Et Lacoste compte bien maintenir le cap ", dit-il en souriant... parce que sourire est une si belle façon de montrer les dents !

À la une

Bourse: records en clôture pour Nasdaq et S&P 500, Nvidia première capitalisation mondiale

Mis à jour le 18/06/2024 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. Les titres de l’énergie contribuent à faire grimper le TSX.

Stellantis rappelle près de 1,2 million de véhicules aux États-Unis et au Canada

Environ 126 500 véhicules au Canada sont concernés par le rappel.

Le régulateur bancaire fédéral maintient la réserve de stabilité intérieure à 3,5%

L’endettement des ménages reste une préoccupation pour le Bureau du surintendant des institutions financières.