Le 15 janvier, Google annonçait qu'elle offrirait désormais à ses revendeurs américains des prêts à faibles taux allant jusqu'à 600 000 $, en partenariat avec Lending Club. C'est la plus récente d'une série de bons coups pour la plateforme de prêts entre particuliers. Inscrite à la Bourse de New York depuis décembre, elle est aujourd'hui valorisée à 8 milliards de dollars américains.
Les banques n'ont qu'à bien se tenir. En effet, de la même manière qu'Uber permet à quiconque de s'improviser chauffeur de taxi, Lending Club veut permettre à quiconque de s'improviser banquier.
«Les cinq grandes banques canadiennes sont parvenues à maintenir une bonne réputation malgré la crise, mais l'effet pervers, c'est qu'elles sont prudentes et qu'elles étouffent l'innovation», lance Kevin Sandhu, pdg de Grouplend, l'une des nombreuses plateformes de prêts entre particuliers qui ont émergé au courant des dernières années.
Lancée en octobre 2014, la start-up de Vancouver offre des prêts aux résidents de toutes les provinces canadiennes à l'exception du Québec et de la Nouvelle-Écosse. Selon Kevin Sandhu, ce n'est toutefois qu'une question de temps avant que l'entreprise ne puisse offrir des prêts dans ces deux provinces. Les plateformes américaines, comme Lending Club et Prosper, pour leur part, n'ont pas encore fait leur entrée sur le marché canadien.
Grouplend offre ainsi des prêts oscillant entre 1 000 $ et 30 000 $, à des taux d'intérêt annuels variant de 6,15 % à 17 %. «Ces plateformes ont du succès, car elles réduisent l'écart [entre les taux d'intérêt offerts aux dépositaires par les banques et ceux demandés aux emprunteurs] et servent des niches délaissées par les banques», explique Van Son Lai, professeur de finances à l'Université Laval.
Grouplend n'offre pour l'instant que des prêts à la consommation, mais pourrait bientôt suivre l'exemple de Lending Club, qui a commencé l'an dernier à accorder aux PME des prêts de 30 000 $ US et moins.
Alors que ses homologues américains permettent à n'importe qui de devenir prêteur, le cadre réglementaire des provinces canadiennes contraint Grouplend à ne travailler qu'avec des investisseurs accrédités, des investisseurs disposant d'au moins un million de dollars en liquidités.
Gestion du risque 2.0
Pour diminuer le risque qu'ils assument, ils investissent un petit montant dans un grand nombre de prêts, plutôt que de réaliser un seul prêt d'importance. Ils ne sont toutefois pas à l'abri, puisque rien ne garantit les prêts qu'ils ont accordés. Si les emprunteurs cessent de payer, Grouplend s'occupera néanmoins de la tâche ingrate du recouvrement, comme une banque le ferait.
Ce ne sont pas les prêteurs, mais l'algorithme de Grouplend qui détermine le taux d'intérêt qui sera associé à chaque demande de prêt. «Nous pouvons évaluer le risque de chaque demande plus efficacement que la plupart de nos prêteurs ne pourraient le faire, et nous le faisons automatiquement, explique Kevin Sandhu. Nous nous basons sur les dossiers des agences de notation de crédit, mais aussi sur plus de 200 facteurs.»
Dans un deuxième temps, les prêts sont proposés aux prêteurs, qui filtrent une deuxième fois la qualité des demandes en choisissant d'y investir ou non. Sur Lending Club, ils peuvent même poser des questions à chaque emprunteur.
Mohammed M Chaudhury, professeur de finances à McGill, considère pour sa part que le modèle doit encore faire ses preuves : «Au courant des trois dernières années, il y a eu moins de manquements, et le crédit s'est amélioré. Aussi, il faudra voir si ce modèle survivrait à un choc économique de l'ordre de celui de 2008».
Médias sociaux et cote de crédit
Alors que les plateformes de prêts entre particuliers tentent de raffiner leur analyse de risque, l'utilisation des médias sociaux pourrait un jour faire partie de leur recette secrète d'analyse du risque, si ce n'est pas déjà le cas.
L'argument en faveur d'une telle approche, adoptée par des start-ups comme Lenddo, veut que l'identité des personnes dignes de confiance puisse être établie grâce à leurs activités sur les médias sociaux. Cependant, Lenddo et les entreprises équivalentes ne sont actives que dans les pays émergents, où une grande partie de la population n'a pas d'historique de crédit, rendant inutiles les cotes de crédit traditionnelles.
Yanhao Wei, de l'université de Pennsylvanie, croit néanmoins que cette approche pourrait être utilisée dans les pays développés pour augmenter la précision des cotes de crédit : «La cote de crédit peut être considérée comme l'un des facteurs d'une analyse de risque plus fine, qui comprend aussi une cote basée sur le réseau social de l'individu», soutient le doctorant en économie, qui a cosigné un article intitulé «Credit Scoring with Social Network Data» l'année dernière.
La méthodologie explorée dans son article est fondée sur la compilation des cotes de crédit des amis d'une personne sur les médias sociaux. Ainsi, le contenu publié par le prêteur sur les médias sociaux n'influence pas sa cote, mais seulement l'historique de crédit de ceux qu'il y a acceptés comme amis. Yanhao Wei dit avoir tenté de vendre sa méthodologie à des institutions américaines, mais ces dernières ont décliné l'offre, en raison des enjeux de confidentialité.
Malgré tout, l'économiste ne doute pas du potentiel théorique de sa cote de crédit qui, selon lui, gagnerait en efficacité si elle était mise en place : «Ce système, s'il était implanté, ferait en sorte que les gens retirent de leurs listes d'amis ceux qu'ils reconnaissent comme de mauvais payeurs, de peur de voir leur propre cote de crédit diminuer», entrevoit Yanhao Wei.
*2 000: L'industrie mondiale des banques commerciales génère des revenus de 2 000 milliards de dollars américains par année. Source: IBISWorld
*1 513: La dette totale des consommateurs canadiens s'élevait à 1513 milliards de dollars au troisième trimestre 2014. Source: Equifax