Montréal a dévoilé son plan numérique le 29 janvier. Les Affaires en profite pour interviewer Rachel Haot, première chef du numérique de la Ville de New York. Son équipe a, entre autres, déployé le Wi-Fi dans les parcs, étendu le service 311 au mobile et aux réseaux sociaux, et multiplié par cinq la quantité de données accessibles aux citoyens. Nommée chef du numérique de l'année en 2014 par le CDO Club, elle est aujourd'hui chef du numérique de l'État de New York.
Diane Bérard - Montréal a un bureau de la ville intelligente depuis mai 2014. Peu de villes ou d'États ont créé ce type de poste. Qu'est-ce que cela rapporte ?
Rachel Haot - Il y a une vingtaine de chefs du numérique [CDO en anglais, pour chief digital officer] de municipalités ou d'États dans le monde. Le principal impact de ce rôle devrait être une meilleure cohérence, plus de constance et plus d'accessibilité des services aux citoyens et aux entreprises. On est en lieu de s'attendre à des systèmes dessinés de façon plus holistique. Mon rôle consiste à aider mes collègues de tous les départements à utiliser la technologie pour faciliter les interactions entre l'État de New York et ses citoyens.
D.B. - Avant d'occuper ce poste, vous avez été la première CDO de la Ville de New York. Depuis votre départ, et l'arrivée d'un nouveau maire animé d'autres préoccupations, on ne vous a pas remplacée...
R.H. - Méfions-nous des titres. Ce n'est pas parce que la Ville de New York n'a plus de chef du numérique que personne n'est responsable de ce mandat depuis mon départ ni que l'objectif d'un gouvernement en ligne a disparu. Et puis, on compose ici avec des changements culturels et organisationnels, cela va au-delà de la contribution d'un individu coiffé d'un titre spécifique.
D.B. - Vous inspirerez-vous de vos réalisations à la Ville de New York pour définir votre rôle à l'État de New York ?
R.H. - Les dossiers et les priorités numériques diffèrent d'une ville et d'un État à l'autre. Mais le rôle du CDO demeure le même. Il est là pour favoriser un changement de culture. Nous accompagnons chaque département et chaque agence gouvernementale pour qu'ils infusent la technologie à leur stratégie. Le CDO a aussi le mandat de susciter une culture d'innovation technologique dans toute l'organisation. Nous sommes ceux qui déclenchent, qui facilitent, qui organisent, qui soutiennent et qui coordonnent le virage numérique des gouvernements. Nous sommes là pour développer et entretenir le réflexe numérique.
D.B. - Le label «ville intelligente» sonne élitiste : vous êtes «intelligent» ou «pas intelligent». Peut-on être un quart intelligent ?
R.H. - Bien sûr, ne laissons pas le mieux devenir l'ennemi du bien. L'expression «ville intelligente» ou «État intelligent» peut devenir contraignante. On ne doit pas écarter ou décourager les initiatives à petite échelle, simples et peu coûteuses. La ville «intelligente» ou l'État «intelligent», c'est une expression de marketing. Dans les faits, on n'est pas dans le tout ou rien. Ce qui compte, ce n'est pas le pourcentage «d'intelligence» d'un gouvernement, mais bien le pourcentage de préoccupation qu'il a de ses citoyens.
D.B. - Comment élabore-t-on un plan numérique ?
R.H. - On a tendance à ce concentrer sur les besoins, sur ce qui manque. Il faut aussi porter attention à ce qui existe déjà. Il y avait des initiatives numériques avant que j'arrive. Il faut en dresser l'inventaire et demander aux protagonistes ce qu'il leur faut pour poursuivre leurs projets. On vérifie aussi s'il existe des mesures de performance des initiatives existantes.
D.B. - Quel est, concrètement, le mandat d'un chef du numérique au gouvernement ?
R.H. - Tout gouvernement devrait viser cinq buts numériques : les infrastructures, c'est-à-dire le réseau ; l'accès aux données ; les services en ligne ; le développement et le soutien du secteur technologique ; et l'éducation.
D.B. - Vous dictez donc les priorités et les investissements numériques de l'État de New York ?
R.H. - Non, j'accompagne le gouvernement dans son plan de développement économique. Mes priorités sont à 100 % alignées sur celles de l'État. Je parle constamment à mes collègues de l'Empire State Development (EDS). C'est l'organisme de développement économique de l'État de New York.
D.B. - Expliquez-nous comment votre bureau se colle aux priorités du gouvernement ?
R.H. - L'emploi est un dossier prioritaire du gouverneur Cuomo. Nous venons donc en soutien en veillant à ce que les citoyens soient tenus au courant, en ligne, des programmes de formation, des postes disponibles, des stages et autres initiatives. Stimuler l'emploi, c'est aussi favoriser le développement des entreprises. Notre bureau a la responsabilité de faire du bruit autour de celles du secteur de la technologie. De leur donner de la visibilité en organisant des événements, par exemple.
D.B. - L'éducation fait partie de votre mandat. De quelle manière ?
R.H. - Le spectre est large. À une extrémité, il est question de littératie numérique, c'est-à-dire faire en sorte que les citoyens sachent effectuer des recherches en ligne pour accéder à nos services, entre autres. À l'autre bout du spectre, il faut nous assurer qu'il existe des programmes technologiques pour former la main-d'oeuvre sophistiquée dont les entreprises de notre région ont besoin pour réussir et croître. Ainsi, l'État vient d'annoncer la distribution de bourses aux étudiants en science, technologie, ingénierie et mathématiques. Le gouvernement payera entièrement leurs études universitaires s'ils s'engagent à travailler cinq ans dans la région une fois diplômés. Entre les deux bouts du spectre, il y a la mise à niveau des outils technologiques des écoles primaires et secondaires. En novembre dernier, le gouverneur Cuomo a annoncé un investissement de 2 milliards de dollars, destiné aux salles de classe.
D.B. - Les citoyens voudraient du Wi-Fi partout. Mais entre leurs désirs et les moyens du gouvernement, il y a probablement un fossé...
R.H. - En effet, mais le véritable défi de mon mandat ne tient pas à l'ampleur des besoins des citoyens. Il réside plutôt dans la nature changeante de ces besoins et la diversité de ceux-ci. J'occupe des fonctions de chef du numérique depuis quatre ans, et je ne réponds déjà plus aux mêmes besoins qu'à mes débuts. Et que dire de la fracture entre les besoins des citoyens des villes et des régions rurales ? Le mot connectivité n'a pas le même sens pour les deux. En ville, cela veut dire pouvoir envoyer un texto dans le métro pendant qu'on se déplace entre deux rendez-vous. En région rurale, il est plutôt question d'accès au réseau cellulaire, à partir du domicile, et de bande passante.
D.B. - L'été dernier, la Ville de Montréal a participé à un hackathon sur le défi d'informer les citoyens en temps réel de l'état du déneigement. Vous avez organisé plusieurs hackathons. Comment éviter qu'ils aillent dans toutes les directions ?
R.H. - La créativité se nourrit de contraintes. On croit à tort que, parce qu'ils reposent sur la créativité collective, les hackathons ne doivent pas être trop encadrés. Je ne suis pas d'accord. Il y a risque de dérive ainsi que de perte de temps et de productivité. Alors que je travaillais pour la Ville de New York, nous avons organisé Reinvent NYC.GOV et Reinvent Payphones Design Challenges. J'en ai retenu qu'un hackathon n'est pas une formule miracle. Les gouvernements qui veulent y recourir doivent bien se préparer, c'est-à-dire établir leurs besoins clairement et ne récompenser que ce qui les comble.