Série 3 de 3 - Les grands enjeux de l'heure en technologies de l'information vus par ceux qui les gèrent au quotidien.
Introduire l'informatique en nuage dans une entreprise est plus complexe qu'il n'y paraît. Ce modèle d'entreprise, qui gagne en maturité, vise un accès sur demande à des ressources informatiques grâce à une connexion réseau à des serveurs distants. Bien que de plus en plus d'entreprises se laissent tenter par cette technologie, les responsables des technologies de l'information (TI) ne doivent rien laisser au hasard pour réellement profiter de ses bénéfices.
À la fin novembre, Les Affaires, en collaboration avec ProContact, a réuni des leaders des technologies de l'information de 10 organisations québécoises afin d'en apprendre plus sur leurs pratiques dans le domaine.
Pour les équipes de TI, le principal enjeu est de perdre le contrôle sur la gestion de leurs services, selon Pascal Lavoie, directeur de l'architecture, assurance auto et habitation à l'Industrielle Alliance. «La confiance n'est pas transférable. Si un client fait confiance à notre entreprise, nous devons nous assurer de choisir les bons fournisseurs. Si un pépin survient chez l'un de nos fournisseurs et que ça affecte nos services, le client sera insatisfait envers nous», dit-il.
Un autre enjeu, à son avis, est la gestion du changement, car les employés peuvent adopter beaucoup plus rapidement des applications hébergées dans le nuage informatique que l'entreprise, qui aura besoin de plus de temps pour s'adapter.
Choisir le bon fournisseur ou la bonne solution n'est pas toujours aisé. En effet, il est très difficile de mesurer toutes les options avant de signer des ententes à long terme avec des fournisseurs de services en nuage, selon Bernard Rosa, directeur principal, infrastructures et sécurité, chez TC Transcontinental. «Il ne faut pas se le cacher, le premier élément qui attire les entreprises vers l'informatique en nuage, c'est la possibilité de réduire leurs coûts informatiques tout en maintenant leur offre. Pourtant, il est difficile de mesurer le coût total de possession d'un logiciel-service (Software as a Service, ou SaaS) sur cinq ou dix ans, comme c'est le cas des licences traditionnelles. Le modèle d'entreprise peut être bon au départ, mais si le fournisseur augmente ses prix après deux ans, peut-être que ce ne sera plus le cas», affirme-t-il.
Pour Gaétan Vigneault, directeur des technologies de l'information à l'Administration portuaire de Montréal, la barrière de la langue constitue un autre élément qui freine l'adoption du nuage informatique au Québec. «Avec du personnel francophone et des fournisseurs de services anglophones, des malentendus peuvent survenir», dit-il.
À son avis, il faut également éviter de se placer en position de dépendance en n'ayant qu'un seul fournisseur de services. En cas de panne majeure, le plan de relève pour la continuité des affaires doit être bien établi. «Il ne faut pas oublier que toutes les solutions offertes par le nuage informatique n'ont pas le même degré de maturité. La technologie est encore relativement nouvelle, et il faut laisser aux fournisseurs le temps de parfaire leur offre», dit-il.
Un nuage privé, public ou hybride ?
Il existe plusieurs modèles d'informatique en nuage. Le nuage privé signifie qu'une entreprise peut monter une infrastructure infonuagique dans son propre centre de données. Le nuage public permet de céder la gestion des serveurs, des logiciels et des réseaux à des tiers. Au milieu, il y a le nuage hybride, qui est une combinaison des deux premières options. Que choisir ?
Selon Bernard Hébert, vice-président, améliorations, technologies et gestion du savoir au Cirque du Soleil, le choix dépendra des besoins de chaque entreprise. «Si on doit mettre en oeuvre la solution dans un délai très court, on va regarder plus des solutions dans un nuage public, mais la tendance chez nous est d'aller vers le nuage hybride. Il y a comme un paradoxe chez les fournisseurs de solutions SaaS qui disent qu'il est possible de payer à la demande, mais qui font signer des contrats de trois ans avec une volumétrie fixe... Le principal avantage de l'informatique en nuage, c'est l'élasticité, mais il faut que le modèle d'affaires soit aligné en ce sens», dit-il.
Marc Denoncourt, vice-recteur associé, systèmes d'information et chef de l'information à l'Université Concordia, croit que le principal avantage de l'informatique en nuage est de pouvoir y entrer et en sortir rapidement. «Le nuage vise surtout des services qui sont des commodités, comme le courriel ou la vidéoconférence. À ce moment, il vaut mieux opter pour un nuage public, qui est plus facile à gérer. Par contre, s'il s'agit de systèmes transactionnels qui constituent un avantage compétitif pour l'entreprise et qui contiennent des données complexes ou sensibles, opter pour l'informatique en nuage devient un risque opérationnel», raconte-t-il.
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Quoi mettre dans le nuage ?
Cascades a fait le choix de bâtir deux centres de données pour la société avant de migrer certains services informatiques dans le nuage. «Ce que je dis à mon monde, c'est que l'entreprise produit du carton, du papier et du mobilier urbain en plastique. Le coeur de nos activités est loin de l'informatique, explique Dominic Doré, vice-président aux technologies de l'information. C'est sur ce plan que le questionnement doit se faire. Pour le courriel ou les logiciels de bureautique, c'est 30 % moins cher dans le nuage. Autre avantage, je n'ai plus à acheter de l'équipement et des disques durs pour supporter ces services. De plus, le personnel qui devait soutenir les services TI peut à présent effectuer des tâches beaucoup plus rentables pour la société», dit-il.
«Chez nous, on ne parlera pas de nuage si ça ne répond pas à un besoin de flexibilité, explique Michel Joncas, vice-président aux technologies de l'information du Groupe Dynamite. Par exemple, nous utilisons l'informatique en nuage pour les feuilles de temps des employés et la gestion des horaires. Pourquoi ? Parce que nous avons de 3 000 à 7 000 employés selon les périodes de l'année. Est-ce qu'il faudrait que je monte une infrastructure pour supporter 7 000 accès toute l'année quand j'en ai besoin pendant seulement deux mois ? Dans ce cas, je veux un contrat avec un montant fixe par employé et je peux moduler mes besoins à volonté.»
Conformité et sécurité
Les entreprises qui optent pour l'informatique en nuage doivent s'assurer que les fournisseurs pourront se conformer à certaines normes de sécurité pour protéger leurs données sensibles.
À la Société Radio-Canada, l'entreprise a obtenu l'accord de ses avocats pour héberger ses données chez n'importe quel fournisseur dont les infrastructures sont conformes aux principes Safe Harbor, un cadre juridique qui permet le transfert de données personnelles entre les États-Unis et certains pays d'Europe. «Nos données sont moins sensibles que si nous étions en médecine ou dans les services financier. Le fournisseur nous apportait toutes les réponses nécessaires pour qu'on soit confortable avec le fait que les données allaient être entreposées aux États-Unis. En ayant la sécurité et les contrôles en place, il n'y avait pas de raison de ne pas aller de l'avant avec le nuage. Notre risque d'avoir des données à l'extérieur du Canada était moindre que celui de tout conserver dans nos centres de données», explique France Bigras, directrice générale des technologies de l'information de la société.
Pour d'autres entreprises, comme l'Industrielle Alliance, conserver les données dans le cadre réglementaire canadien est très important. «Nous étions sur le point de signer une entente avec un fournisseur dont le centre de données est situé au Canada, jusqu'à ce que nous nous apercevions que la relève du centre se faisait aux États-Unis avec une synchronisation continue entre les deux sites. Il ne faut rien laisser au hasard», affirme Pascal Lavoie.
Les inconvénients de l'informatique en nuage
L'informatique en nuage ne comporte pas que des avantages. Dans le monde de la finance, certaines entreprises ont vu leurs coûts informatiques augmenter considérablement après avoir migré certains services dans le nuage, soutient Chadi Habib, vice-président technologies, exploitation et infrastructures chez Desjardins. «Nous regardons beaucoup les environnements de développement. Avec l'informatique en nuage, il est possible de mettre un environnement de développement en place en 20 minutes, alors qu'il faut de deux à six semaines pour arriver aux mêmes résultats avec l'informatique traditionnelle. C'est un gros avantage lorsque vient le moment de raccourcir les délais de mise sur le marché [time to market]. Par contre, l'envers de la médaille, c'est qu'il devient très facile de consommer ce service. Avec des équipes comptant parfois quelques milliers de développeurs, les risques de débordements sont bien présents. Il faut constamment s'assurer d'avoir un portrait global de la situation», dit-il.
Les entreprises qui ont des services dans le nuage peuvent aussi sentir le besoin de revenir à un mode de gestion des TI plus traditionnel. Pour y parvenir, elles doivent être bien préparées.
«Nous allons vivre cette expérience prochainement. On est avec Salesforce en ce moment et on est en train de changer nos systèmes administratifs, explique Normand Porlier, vice-président technologies de l'information chez Richter. Nous allons installer un progiciel de gestion intégré (PGI) et y migrer toutes nos données. Nous avons comparé un PGI en nuage et un autre traditionnel. Il s'est avéré que l'option la plus coûteuse était celle qui utilisait l'informatique en nuage. Je ne vois donc aucun avantage à utiliser cette technologie. De plus, nous allons bâtir notre infrastructure autour du PGI. Dans le nuage, il faut à tout prix éviter de personnaliser les solutions car, à ce moment, nous devenons prisonniers du service et il devient très difficile d'en sortir. Si nous ne pouvons pas travailler avec les versions de base des solutions, nous préférons rester avec nos infrastructures maison.»