Série 1 de 6 - Au Québec, il fait froid et l'électricité coule à flots. Autant d'attraits majeurs pour l'implantation de centres de données informatiques. Portrait en six volets de cette industrie en croissance.
Quand il fait froid, tout va. Peu de Québécois en disent autant, mais c'est autre chose chez les exploitants de centres données, pour qui chaque journée froide supplémentaire vaut de l'or. En effet, la climatisation peut représenter jusqu'à la moitié des dépenses énergétiques d'un centre de données. C'est la raison pour laquelle le géant Facebook a choisi d'installer un immense centre de données à Luleå, au nord de la Suède. Plus près de nous, la région de Québec et celle de Barrie, en Ontario, attirent de plus en plus les centres de données.
«Tout a commencé en 2008, lorsque quelques personnes à Luleå se sont rendu compte que la combinaison d'énergie à bas prix et de froid pouvait être attrayante pour les centres de données, relate Anne Graf, directrice des communications chez The Node Pole, un organisme qui se consacre à la promotion de la région auprès de l'industrie des centres de données. Elles sont alors allées aux États-Unis rencontrer de grandes entreprises, dont Facebook.»
Le reste de l'histoire relève du conte de fées pour Luleå, une petite ville d'à peine 46 000 habitants située au nord de Stockholm. Depuis l'ouverture du centre de données de Facebook en 2013, les inscriptions à la Luleå University of Technology ont bondi, tout comme le nombre d'entreprises dans son parc industriel. D'autres centres de données ont suivi et, en mars dernier, Facebook annonçait qu'elle en établirait un second à Luleå.
Situé à 100 kilomètres du cercle arctique, le climat de Luleå permet au centre de données de Facebook d'être l'un des plus efficaces du monde sur le plan énergétique. L'autre avantage de Luleå est que l'électricité, issue de barrages hydroélectriques, y est plus abordable qu'ailleurs. En Suède, les tarifs d'électricité sont moins élevés dans le nord, car ils reflètent les pertes occasionnées par le transport de l'électricité qui provient de barrages nordiques.
Le Québec, avec son hydroélectricité à faible coût et son climat froid, réunit les conditions gagnantes qui ont fait la renommée de Luleå. Le géant français de l'hébergement, OVH, est toutefois l'une des seules entreprises étrangères à avoir choisi d'en profiter. Ses serveurs sont refroidis en y faisant circuler de l'eau dans des tuyaux qui est ensuite refroidie à l'extérieur du bâtiment. Pour cette raison, le climat québécois était idéal : «Comme on n'utilise pas la climatisation, on ne peut pas établir nos centres de données dans des climats chauds», explique Germain Masse, directeur des opérations d'OVH.
Québec se démarque
Alors qu'OVH s'est établi sur la Rive-Sud de Montréal, à Beauharnois, un nombre grandissant d'investisseurs envisagent d'aller plus au nord. Toutefois, ce n'est pas évident. En effet, pour accueillir un centre de données, un site doit avoir accès aux lignes d'Hydro-Québec et à d'importants câbles de fibre optique. La ville de Québec est l'une des seules villes plus au nord, avec Rimouski, où ces conditions sont réunies. «Étant originaires de Québec, nous étions surpris de voir qu'il n'y avait pas d'offre à Québec», explique Martin Bouchard, pdg de 4Degrés, un centre de données baptisé d'après la température annuelle moyenne de la région de Québec.
La température plus bass e de la capitale n'explique pas à elle seule l'investissement de 4Degrés. Pour Mark Schrutt, analyste chez IDC Canada, l'avantage du climat canadien n'est pas décisif. «Pour un centre de données typique, il y a peut-être 5 à 10 jours supplémentaires où l'air conditionné n'est pas nécessaire. Ce n'est pas extraordinaire, mais c'est un avantage.»
Dans les faits, le centre de colocation 4Degrés a avant tout été construit afin de desservir le marché local. Les entreprises de Québec pourront ainsi y placer leurs serveurs, plutôt que de devoir aller à Montréal. Par ailleurs, les entreprises montréalaises souhaitant avoir des serveurs de rechange dans une autre zone géographique pourront aller à Québec plutôt que de se rabattre sur la région de Toronto.
Outre 4Degrés, qui sera inauguré le premier, en juin prochain, deux autres projets de centres de données à Québec ont été annoncés en 2013. Ceux de Bilodeau Immobilier (60 millions de dollars, pour Interplex Centre de données) et de la française Orange, grâce à sa filiale québécoise Asentri, qui y consacrera 34,5 M$. Québec pourrait ainsi suivre l'exemple de Barrie, municipalité située à 100 km au nord de Toronto, qui abrite de nombreux centres de données, dont ceux d'IBM et de la Banque de Montréal.
Des centres de données à la Baie-James ?
Pour l'instant, la Baie-James est hors d'atteinte de l'industrie des centres de données. Les avantages du climat froid et de l'accès aux lignes d'Hydro-Québec y sont réunis, mais l'infrastructure de fibre optique n'y est pas suffisante pour accueillir un centre de données d'importance. Le projet Arctic Fibre, qui vise à déployer un câble sous-marin de fibre optique reliant Londres à Tokyo, en passant par la Baie-James, pourrait changer la donne au cours des prochaines années.
Même si l'obstacle de la fibre optique était levé, il n'est pas dit qu'exploiter des centres de données à la Baie-James serait viable. D'une part, le manque de main-d'oeuvre qualifiée pourrait entraîner des coûts prohibitifs. D'autre part, le coût de l'électricité y serait le même qu'à Montréal, malgré la proximité des barrages d'Hydro-Québec. Bref, la Baie-James n'est pas Luleå, ce qui n'empêche pas l'industrie de s'intéresser à son potentiel. «On ne dit pas non quant à bâtir dans des endroits plus reculés, car on veut offrir de la redondance [la possibilité d'entreposer une copie des données dans deux endroits éloignés l'un de l'autre] à nos clients», explique Martin Bouchard, de 4Degrés, qui suit la progression du projet d'Arctic Fibre avec intérêt.