Coauteur du livre The Second Machine Age, Erik Brynjolfsson est directeur du MIT Center for Digital Business et chercheur associé au National Bureau of Economic Research. Ses recherches, qui portent sur l'impact des nouvelles technologies sur l'économie et la productivité, l'ont amené à faire de l'automatisation un de ses sujets de prédilection. Les Affaires lui a demandé comment les entreprises peuvent se préparer à la révolution de l'automatisation qu'il annonce dans son livre.
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Les Affaires - Pour survivre à la seconde ère des machines, les entreprises devront-elles toutes devenir des entreprises technos ?
Erik Brynjolfsson - Toutes les sociétés sont en train de devenir technos. Ça ne veut pas nécessairement dire qu'elles emploient des programmeurs à la tonne, mais elles utilisent des logiciels et des technologies numériques pour offrir leurs produits et services. Car une proportion grandissante de la valeur ajoutée de leurs produits et services est attribuable aux logiciels. Que vous soyez un constructeur automobile, une banque ou un groupe médiatique, les logiciels et la numérisation sont de plus en plus importants dans vos activités.
L.A. - Que conseilleriez-vous au pdg d'une entreprise traditionnelle qui ne sait pas comment faire face à cette révolution technologique ?
E.B. - Les exemples de sociétés qui n'ont pas réussi à relever le défi sont nombreux. Vous n'avez qu'à penser à la manière dont Barnes & Noble se débat face à Amazon et comment HBO s'est fait dépasser par Netflix, tant pour ce qui est du nombre d'abonnés que des revenus. Mais il y a des sociétés qui ont su s'adapter. Par exemple IBM, qui a su opérer des transitions plusieurs fois avec succès. Pour faire ce type de transitions, il faut que le pdg comprenne et embrasse la puissance des données et de la numérisation. Il faut qu'il soit prêt à changer la culture de l'entreprise de haut en bas. Et souvent, ça veut aussi dire de cannibaliser ses produits existants en en introduisant de nouveaux.
L.A. - Ce n'est donc pas suffisant d'embrasser la technologie ? Les entreprises doivent-elles aussi adapter leur modèle d'activité aux nouvelles technologies ?
E.B. - Exactement ! Elles devront transformer leur modèle d'affaires, leur culture et leur état d'esprit pour mieux tenir compte des données. Bien entendu, elles devront aussi transformer les produits et services qu'elles offrent. Changer autant de choses en même temps est très difficile, car les sociétés qui ont eu du succès dans le passé sont composées de plusieurs morceaux de puzzle qui vont ensemble. Alors, cette transformation est difficile sur le plan psychologique et culturel, mais aussi sur le plan de la logistique.
L.A. - Je conçois que de nombreuses industries seront touchées, mais quelles sont celles qui courent peu de risques d'être bouleversées ?
E.B. - Nous avons observé trois habiletés humaines qui ont été moins touchées. La première concerne le travail créatif, soit celui des artistes, des scientifiques et des entrepreneurs. Ces tâches ne sont ni très structurées ni répétitives ni routinières, et c'est difficile de créer un logiciel qui puisse les accomplir. La seconde touche les relations interpersonnelles. Elles englobent le leadership, les soins ainsi que la capacité de réconforter et de motiver les gens. Ce sont des habiletés que doivent avoir les vendeurs, les négociateurs, les gestionnaires, les infirmières, les éducatrices en garderie et les travailleurs sociaux. La troisième catégorie va vous surprendre, mais c'est la dextérité physique. C'est une habileté dont ont besoin les jardiniers, les cuisiniers, les coiffeurs et même les concierges. Les robots n'ont tout simplement pas le même niveau de dextérité que les humains, du moins pas pour l'instant. Par contre, s'il y a bien une chose que nous avons apprise en écrivant The Second Machine Age, c'est de ne jamais dire jamais. Peu importe la tâche que je montre du doigt en disant qu'elle est difficile à automatiser, tôt ou tard, je vais rencontrer un chercheur travaillant sur une technologie permettant de l'automatiser. C'est une frontière qui se déplace constamment.
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L.A. - J'ai été surpris de lire dans votre livre qu'on pourrait un jour assister à l'apparition d'étiquettes «Made by humans». Pensez-vous vraiment que l'automatisation débouchera sur un chômage structurel plus élevé ?
E.B. - Une diminution structurelle de l'emploi ne devrait pas être un problème. Ça devrait plutôt être une bonne nouvelle. À long terme, ça signifie que les machines vont nous permettre d'être plus riches tout en travaillant moins. Si ça devient un problème, nous n'aurons que nous-mêmes à blâmer. Ça voudrait dire qu'on n'a pas réussi à organiser notre système économique adéquatement. L'enjeu, c'est de créer une prospérité partagée, de manière à ce que personne ne soit laissé à la traîne. Cela va nécessiter une transformation en profondeur. Les gens devront acquérir de nouvelles habiletés que ne maîtrisent pas les machines, et les organisations devront inventer de nouveaux modèles d'activité qui tirent parti des nouvelles habiletés des gens. Par-dessus tout, il va falloir des innovations économiques et sociétales, de nouvelles institutions et de nouvelles politiques. De la même manière que nous nous sommes dotés de nouvelles institutions lorsque nous sommes passés de l'ère agraire à la première révolution industrielle, la seconde ère des machines nécessitera des transformations en profondeur.
L.A. - Quels pays profiteront le plus de la seconde ère des machines ?
E.B. - Le seul moyen qu'a un pays de rester concurrentiel est d'avoir recours à la créativité et aux habiletés relationnelles. Présentement, les pays riches comme les États-Unis et le Canada investissent massivement en éducation et ont beaucoup d'emplois créatifs. L'iPhone sur lequel je suis en train de vous parler a été conçu en Californie, même s'il a été fabriqué en Chine. Le volet manufacturier sera de plus en plus effectué par des robots, mais le design et la créativité sont encore des domaines où les humains ont un avantage. Donc, quel pays gagnera ? Celui dont les citoyens sont les plus créatifs, les plus éduqués et les plus entrepreneurs. Les pays dont la stratégie repose sur les salaires à bas prix se heurteront par contre à des difficultés.
L.A. - Vous avancez dans votre livre que l'accélération de l'innovation technologique pourrait créer des ratés dans notre système économique. À quoi doit-on s'attendre ?
E.B. - Nous allons assister à une distribution de plus en plus inégale de la richesse en raison de la numérisation, qui favorise les marchés où le gagnant emporte tout. Donc, plutôt que d'avoir de nombreux concurrents, on a tendance à se retrouver avec une ou deux sociétés qui dominent le marché. Ce que nous devrons faire, c'est de redoubler d'efforts pour repenser et réorganiser notre économie en fonction des changements technologiques. Nous ne sommes pas dans une situation où on peut faire comme si de rien n'était en croyant que tout va s'améliorer. Au contraire, s'adapter aux changements technologiques nécessitera beaucoup de créativité de la part des entrepreneurs et des législateurs.
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