Nous vivons désormais dans un village global. Il lui manque toutefois un ingrédient essentiel pour pouvoir, comme Babel a tenté de le faire, ériger une tour jusqu'au ciel : une langue commune. Le mythe de la tour de Babel, dont la construction a été interrompue par la création de langues distinctes par Dieu, demeure ainsi brûlant d'actualité. Toutefois, grâce à la technologie, la barrière des langues est de moins en moins rigide.
Les géants des TI offrent des solutions. Dévoilée en décembre dernier, la version bêta de Skype Translator, basée sur la technologie de Microsoft Research, permet aux unilingues anglophones et hispanophones de converser de vive voix entre eux. Sans surprise, cette technologie a aussi un impact sur les entreprises. Et même si elle n'est pas parfaite, la traduction automatique permet désormais à quiconque de traduire une page Web d'un seul clic grâce à Google Traduction.
Il y a aussi l'entreprise montréalaise NLP Technologies qui fait partie de la nouvelle génération de fournisseurs secouant l'industrie de la traduction. «Ce qu'on offre, c'est une combinaison d'intelligence artificielle et humaine, explique Atefeh Farzindar, qui a fondé l'entreprise en 2005 après avoir décroché son doctorat en informatique à l'Université de Montréal. C'est de la traduction automatique avec une révision manuelle.»
NLP Technologies, qui emploie quelque 16 traducteurs et réviseurs, a mis au point un logiciel capable de traduire automatiquement des jugements de l'anglais au français en 2007. «Au début, dans le cadre de notre projet avec la Cour fédérale, on produisait les traductions de manière automatique, relate Atefeh Farzindar. Une fois que la traduction officielle arrivait, elle remplaçait notre traduction. Compte tenu des délais pour obtenir une traduction réalisée par des humains, cela permettait aux juristes de prendre connaissance des jugements sans attendre.»
En combinant sa technologie avec son équipe de traducteurs aguerris, la société montréalaise, qui vient d'ouvrir un second bureau à Los Angeles, effectue aujourd'hui un grand volume de traductions de qualité, à une vitesse difficile à égaler par ses concurrents traditionnels. Malgré tout, NLP continue d'offrir de la traduction purement logicielle, notamment par l'intermédiaire de TRANSLI Social Media Analytics and Monitoring, un outil de traduction en temps réel de tweets.
Traductions au rabais
À quelques centaines de kilomètres au nord du nouveau bureau de NLP Technologies, à San Francisco, la start-up Unbabel combine elle aussi l'informatique à l'humain pour générer un grand volume de traductions. À la différence de NLP Technologies, qui se limite à servir des clients importants dans des niches spécialisées, Unbabel vise à effectuer des traductions pour le monde entier, tout en faisant baisser les prix et les délais de livraison.
«La mondialisation, on est en plein dedans, mais les barrières linguistiques sont toujours là, explique Vasco Pedro, pdg d'Unbabel. Les documents juridiques doivent être traduits, mais aussi les courriels, les publications sur médias sociaux, bref, toute une gamme de contenus qui n'ont pas assez de valeur pour être traduits en employant les méthodes traditionnelles.»
Détenteur d'un doctorat en technologies linguistiques de Carnegie Mellon, l'entrepreneur d'origine portugaise a vite constaté les limites de la traduction automatique. Ainsi, Unbabel retient les services d'environ 16 000 traducteurs, pour la plupart sans expérience, qui gagnent entre 8 et 18 $ de l'heure pour réviser des traductions automatiques à partir de leur téléphone.
Unbabel permet ainsi à quiconque de faire traduire un texte, peu importe sa longueur, pour aussi peu que 3 cents par mot. Grâce à de tels tarifs, Vasco Pedro espère convaincre les PME de commencer à offrir un service à la clientèle multilingue. Entre autres initiatives, Unbabel offre maintenant un module pour l'application de service à la clientèle Zendesk, de manière à permettre à ses utilisateurs de servir leurs clients dans plusieurs langues. «Un courriel de 80 mots mettra environ 10 minutes à être traduit sur Unbabel», fait valoir Vasco Pedro.
Une barrière à la croissance et à l'innovation
La barrière des langues agit comme un frein économique majeur. C'est du moins la conclusion à laquelle est parvenu le chercheur britannique James Foreman-Peck, de la Cardiff Business School. Selon le professeur d'économie, le manque de connaissances linguistiques des exportateurs anglais coûterait au Royaume-Uni quelque 92 milliards de dollars par année.
Pour l'Ontarien Anthony Lee, pdg du service en ligne de traduction d'articles scientifiques MyKnowtions.com, la barrière des langues ne fait pas que freiner la circulation des produits et des services. En empêchant les articles scientifiques de circuler d'un groupe linguistique à l'autre, elle freine aussi la circulation des idées, et, de ce fait, retarde littéralement le progrès technologique. «Les investissements en R-D annuels en Asie dépassent ceux de l'Ouest depuis 2009, et les publications asiatiques sont loin d'être toutes traduites, fait valoir Anthony Lee. Et c'est sans parler des brevets.»
Créée en 2013, la plateforme MyKnowtions.com ne recourt pas à la traduction automatique, mais permet aux humains qui effectuent le travail de collaborer en ligne plus efficacement.
Sur MyKnowtions.com, chaque mandat est ainsi attribué à six chercheurs, qui sont la plupart du temps des étudiants bilingues au doctorat. «Présentement, et au moins pour les 10 prochaines années, je pense que les humains vont être au centre des processus de traduction, soutient Anthony Lee. Le rôle du logiciel, selon moi, sera avant tout de permettre aux traducteurs de faire leur travail plus rapidement.»
37: La taille du marché des services et des technologies linguistiques aurait atteint 37 milliards de dollars américains en 2014. Source : CSA Research