Le premier budget du Parti Québécois, mardi, devrait contenir des mesures additionnelles destinées au secteur du jeu vidéo, ce qui étonne les principaux intéressés, qui n'en avaient pas formellement fait la demande.
Le ministre des Relations internationales et ministre responsable de la région de Montréal, Jean-François Lisée, a indiqué à Les Affaires il y a quelques jours que son gouvernement entendait agir pour favoriser les entreprises innovantes, y compris celles dans le domaine du jeu vidéo.
« Les gens de Montréal International et d'autres organismes nous ont dit: " Ce que vous avez fait sous le gouvernement Landry pour la nouvelle économie, y compris le cinéma et le jeu vidéo, on a été rattrapés par d'autres juridictions", a raconté M. Lisée. L'avantage s'est émoussé, il faut travailler autre chose. C'est le défi du premier et du deuxième budget de notre gouvernement de retrouver cet avantage compétitif pour les entreprises innovantes. »
Les principaux dirigeants de l'industrie locale du jeu vidéo contactés par Les Affaires suite à cette déclaration (et une autre, similaire, dans le Journal de Montréal) ont tous été étonnés d'apprendre ces intentions. On s'est aussi montré surpris chez Investissement Québec, pourtant chargé d'administrer le programme.
« Vous m'en apprenez plus que je n'en sais », a affirmé Stéphane D'Astous, directeur général d'Eidos Montréal et président du conseil d'administration de l'Alliance numérique, le principal regroupement québécois d'entreprises du secteur des technologies de l'information.
La nouvelle étonne d'autant que l'industrie était à peine « en train de s'organiser pour faire une demande », selon Martin Carrier, directeur général de Warner Brothers Montréal. D'autres ont été plus tranchants, sous le couvert de l'anonymat. « Ce n'est pas une bonne idée », a résumé un ancien dirigeant de studio. « Je ne crois pas que l'industrie au Québec ait besoin de ça », a ajouté un autre. On signale par exemple que la liste des entreprises de jeux vidéo qui ne sont pas déjà au Québec et qu'une bonification aux programmes actuels pourrait attirer est bien mince.
« Nous sommes très reconnaissants envers le support que nous donne le gouvernement du Québec, mais il y a d'autres raisons pour venir à Montréal que les crédits d'impôt », a pour sa part réagi le directeur général de Playing Mantis (Electronic Arts), Chris Gibbs, lorsqu’interrogé sur le sujet. « Pour les gens créatifs, c'est un excellent endroit où vivre et travailler. »
« Montréal a atteint une masse critique, a ajouté Jimmy Gendron, gestionnaire de la franchise Scrabble chez Playing Mantis. On rencontre des candidats pour des emplois venant de partout dans le monde qui ne veulent que venir à Montréal. Ça n'arrivait pas, il y a deux ou trois ans. »
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Ne rien prendre pour acquis
Même si aucune grande menace immédiate ne pèse sur l'industrie, ce serait une erreur de la prendre pour acquise, rappelle toutefois M. Carrier.
« Il y a de l'intérêt partout dans le monde pour des emplois de ce type. Il y a d'autres gouvernements qui ont compris ce que celui du Québec avait compris en 1997, de sorte que nous ne sommes peut-être pas aussi compétitifs que nous l'avons déjà été. Ce qu'a fait Ubisoft en ouvrant un studio à Toronto, ça montre qu'ils peuvent être séduits par ailleurs. »
M. Carrier est bien placé pour parler de l'attrait du soutien gouvernemental québécois auprès des sièges sociaux étrangers.
« Nous avions des dirigeants de Warner qui étaient chez nous la semaine dernière et ils voient bien l'avantage que les crédits représentent. Ça montre aussi l'engagement du gouvernement du Québec. Ce sont des armes que l'on peut utiliser quand il faut vendre un projet à la maison-mère. »
L'Ontario rembourse 40% des salaires d'employés admissibles, comparativement à 37,5% pour le Québec. La subvention québécoise s'accompagne de l'obligation de produire une version française du jeu, sans quoi elle est réduite à 30%.
La première version du programme, conçue sur mesure pour Ubisoft en 1997, prévoyait un taux de 50%. Celui-ci a été ramené à 37,5% lors de l'arrivée au pouvoir des Libéraux, en 2003. Pourrait-il être rehaussé? En entrevue, M. Lisée a donné au moins un vague indice en ce sens. « Quelques budgets du gouvernement Charest, en particulier les premiers, ont retiré certains avantages », a-t-il par exemple évoqué.
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Immigration et propriété locale
La plupart des dirigeants contactés se sont d'ailleurs sans surprise réjouis à l'idée de recevoir de l'aide supplémentaire et ont identifié quelques modifications ou nouveaux incitatifs qui pourraient être très bénéfiques.
« Nous sommes plusieurs à penser qu'il y a deux ou trois axes importants où le gouvernement peut nous soutenir, affirme Alain Tascan, président de Sava Transmédia.
« D'abord, il faut favoriser l'importation de talent, et pas seulement des ingénieurs. Ensuite, il faut encourager la création originale et la propriété locale. Finalement, il faut faciliter le travail entre entreprises d'ici. »
Le premier point est fréquemment mis de l'avant, tant au niveau provincial que fédéral, lorsqu'il est question du jeu vidéo. En 2011-2012, Ubisoft a repêché 30% de ses 467 nouveaux employés à l'étranger, selon ce qu'elle a déclaré devant le Comité permanent du patrimoine canadien, à Ottawa, il y a un peu plus de trois semaines. Les difficultés administratives liées à l'immigration peuvent s'éterniser.
« On attend un employé chinois depuis six mois, a expliqué aux parlementaires le directeur des communications d'Ubisoft Montréal, Luc Duchaine. Il s'agit ici d'un transfert à l'intérieur de notre compagnie. C'est le transfert d'un employé d'Ubisoft en Chine qui doit venir travailler chez Ubisoft au Canada. Il attend depuis six mois. »
L'idée de bonifier les crédits d'impôt pour les entreprises à propriété québécoise récolte aussi beaucoup d'appuis. Les plus gros employeurs présents au Québec (Ubisoft, Electronic Arts, Activision, Square Enix, THQ, etc.) sont presque tous des filiales de sociétés étrangères. Ils demeurent par conséquent à la merci de décisions prises à l'étranger.
« Je vais prêcher pour ma paroisse : il est nécessaire d'encourager la propriété québécoise et de créer un vrai éditeur local, déclare M. Tascan. C'est un projet structurant et le gouvernement peut aider et accélérer. »
M. Tascan distingue les propriétés intellectuelles développées au Québec par des studios étrangers (ex. : Assassin's Creed) et les studios dont la propriété est québécoise (ex. : le sien ou Behaviour), mais croit que les deux genres méritent d'être soutenus, les seconds plus que les premiers. « Il pourrait y avoir un petit plus pour les compagnies à propriété locale, soutient M. D'Astous. Il faut commencer à penser à long terme. »
Les règles actuelles de fiscalité liées à ces crédits, nous a-t-on expliqué, font aussi en sorte de désavantager les entreprises à propriété québécoise, dont les profits sont réalisés et imposés au Québec, plutôt qu'à l'étranger. Les crédits d'impôt remboursables qu'elles perçoivent sont par conséquent déduits des sommes dues, plutôt que d'être pratiquement « nets », comme dans le cas des studios à propriété étrangère.
MM. Tascan et D'Astous déplorent aussi conjointement un aspect précis du programme québécois qui réduit de moitié les crédits d'impôt lorsque une tâche est confiée en sous-traitance à une entreprise québécoise. « Les sous-traitants sont désavantagés quand ils travaillent pour une entreprise d'ici par rapport à lorsqu'ils travaillent pour une entreprise étrangère », explique M. Tascan.
M. D'Astous souligne quant à lui la lourdeur du processus. « On veut encourager la création de petites entreprises mais pour elles, et pour d'autres qui peuvent avoir des liquidités réduites, ça peut parfois prendre beaucoup de temps avant de voir la couleur de l'argent. Ça peut parfois être une question de vie ou de mort. »
La possibilité de rendre le crédit d'impôt applicable à tous les employés d'un studio de jeu, plutôt que seulement à ceux dédiés à la production, est aussi jugée alléchante, autant pour les sommes qu'elles représentent que par la paperasse qu'elle permettrait d'économiser. « Ça nous permettrait aussi de développer de l'expertise dans le secteur de la commercialisation des jeux, où nous n'avons à peu près pas d'experts », note M. D'Astous.
Pour Alain Tascan, le relèvement du crédit d'impôt aurait un impact immédiat pour les plus petites entreprises.
« Dès le lendemain, je pourrais investir davantage, attirer davantage de financement. L'effet serait formidable, c'est de l'or en barre. Les plus gros seraient aussi plus stables, plus rassurés. »
Avec la collaboration de François Normand