Cette fois, ça y est. L'économie québécoise prend des forces tranquillement, mais sûrement. Et la bougie d'allumage qui stimule l'activité économique est la reprise de nos exportations sur deux marchés dynamiques et stratégiques du Québec : l'Ontario et les États-Unis.
Le patron de Beauce Atlas, Germain Blais, voit le marché américain dans sa soupe. La reprise aux États-Unis gonfle le carnet de commandes du fabricant de structures d'acier de Sainte-Marie, en Beauce, qui regagne ainsi le terrain perdu à la suite de la grande récession de 2007-2009.
«On sent nettement la reprise depuis six mois. Non seulement les projets sont plus nombreux, mais ils sont plus gros», dit le patron de cette PME qui exploite deux usines à Sainte-Marie. Elle exporte ses produits surtout en Nouvelle-Angleterre.
En 2008, Beauce Atlas réalisait 70 % de ses ventes aux États-Unis et 30 % au Canada. Après la récession, le marché américain a dégringolé à 15 %. L'entreprise avait alors orienté ses efforts vers les autres provinces pour compenser le recul des ventes américaines. La reprise américaine chambarde de nouveau la répartition géographique du chiffre d'affaires de Beauce Atlas, se réjouit Germain Blais. «Aujourd'hui, nous sommes à une proportion de 50 %-50 %. Et d'ici un à deux ans, le marché américain devrait représenter de nouveau 70 %.»
Comme Beauce Atlas, beaucoup d'entreprises québécoises, entre autres dans le secteur manufacturier, reprennent tranquillement du poil de la bête dans le sillage de la reprise économique américaine, mais aussi en Ontario, la province la plus dynamique du Canada en ce moment.
Cette année, l'économie américaine devrait croître de 3,3 %, prévoit la Banque Nationale. Quant à celle de l'Ontario, qui a affiché une croissance de 4 % au troisième trimestre, elle devrait progresser de 2,8 % pour l'ensemble de 2015, selon le Mouvement Desjardins.
Sources : Ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, Banque Nationale, Institut de la statistique du Québec et Mouvement Desjardins, Études économiques.
Le terrain perdu a été rattrapé
Le dynamisme retrouvé de ces deux partenaires clés pour le Québec injecte une dose d'énergie à son économie. Signe que le commerce extérieur du Québec se porte beaucoup mieux, le volume de nos expéditions à l'étranger a récemment dépassé le niveau d'avant la récession de 2008-2009. Notamment celles vers les États-Unis, qui comptent pour 71 % des exportations internationales, ont augmenté de 12,5 % pour les 11 premiers mois de 2014, selon l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).
Comme près de la moitié de l'économie québécoise est tournée vers l'exportation, il va sans dire que la hausse de ses expéditions a un impact positif sur son économie.
Résultat : Desjardins prévoit que le PIB québécois progressera de 1,7 % cette année, tandis que la Banque Nationale anticipe une hausse de 1,9 %. Pour l'ensemble de 2014, la croissance devrait être de 1,5 à 1,6 % (voir infographie), selon les estimations des deux institutions financières.
Autrement dit, la croissance ne sera pas fulgurante, mais l'économie redémarre.
Les secteurs qui se portent bien
Durant les 10 premiers mois de 2014, l'activité économique dans plusieurs secteurs a repris de la vigueur par rapport à la même période en 2013, comme dans l'industrie manufacturière, souligne Joëlle Noreau, économiste principale chez Desjardins.
«La croissance est forte, notamment dans la fabrication alimentaire, avec une progression de 13,4 %», souligne-t-elle.
Chez Olymel, la reprise américaine s'est fait sentir dès la fin de l'été 2014. Une relance qui est arrivée au bon moment, car les marchés américains et mexicains ont pallié l'embargo russe sur les produits alimentaires canadiens.
«En 2014, on a perdu l'accès à la Russie, qui était un marché assez important pour nous. On sent déjà la reprise aux États-Unis, parce qu'ils ont été capables d'absorber ces volumes-là», dit François Guité, vice-président aux ventes, viandes fraîches chez Olymel, producteur et transformateur de volailles et de porcs.
Il rappelle que la faiblesse du dollar canadien a également joué son rôle. «Pour nous, cela a eu un double effet positif, dit-il. Nos concurrents américains sont moins compétitifs au Canada, et ça nous ouvre des portes du côté américain. Ça représente de belles occasions d'affaires.»
Seule ombre au tableau : l'accès au marché. «Nous sommes prudemment optimistes», dit avec circonspection M. Guité.
Marc Pinsonneault, économiste principal à la Banque Nationale, fait remarquer que le secteur minier aussi se porte très bien au Québec, et ce, malgré la diminution du prix des ressources sur les marchés internationaux.
Durant les 10 premiers mois de 2014, le PIB réel de l'industrie a bondi de 20 %. Tout un revirement, alors que l'activité s'était contractée de 1 % en 2013, selon la Banque Nationale.
Forte progression du secteur minier
«La contribution du secteur minier à la croissance économique du Québec en 2014 surpasse largement son poids économique [l'industrie représente 1,2 % de l'économie québécoise]», rappelle d'ailleurs Marc Pinsonneault. À lui seul, ce secteur devrait contribuer au huitième (12,5 %) de la croissance du PIB réel du Québec, estimée à 1,6 % en 2014, selon la Nationale. Ce qui est de bon augure pour les régions ressources.
Marc Pinsonneault juge que les nouvelles sont également bonnes du côté du vêtement (hausse de 9 % du PIB réel de ce secteur) et de l'aéronautique (+ 9,1 %), la principale grappe industrielle dans la grande région de Montréal.
Il s'agit d'une bouffée d'oxygène pour Bombardier et ses fournisseurs spécialisés, dont plusieurs sont eux-mêmes des exportateurs. Bombardier Avions commerciaux vient par exemple de confirmer qu'American Airlines a signé une commande ferme pour 24 biréacteurs régionaux CRJ900 NextGen. La commande a été annoncée le 30 décembre 2014.
Dans une récente analyse, Desjardins souligne d'ailleurs que les exportations d'aéronefs et de pièces figurent parmi les secteurs qui ont le plus fortement progressé l'an dernier.
Par exemple, pour les 11 premiers mois de 2014, les exportations d'avions et autres véhicules aériens (poids à vide excédant 15 000 kg) ont à elles seules bondi de 92 % par rapport à la période correspondante de 2013, selon l'ISQ. Même le secteur du bois se porte mieux, surtout en raison de la reprise dans la construction résidentielle aux États-Unis, d'après Karl Blackburn, directeur principal, affaires publiques et relations gouvernementales chez Produits forestiers Résolu. Au Québec, la construction ralentit.
L'accélération des mises en chantier américaines (1,1 million d'unités en décembre 2014, un gain de 6,6 % par rapport à décembre 2013, selon le U.S. Census Bureau) jumelée à la faiblesse du dollar canadien (il valait 0,79 $ US le 23 février, un recul de 12,1 % depuis un an, selon Bloomberg) a contribué au regain de la division des produits du bois de Résolu.
Les secteurs qui pâtissent
D'autres secteurs de l'économie québécoise - qui exportent peu ou pas du tout - éprouvent beaucoup de difficulté. Au premier chef, le commerce de détail, souligne Simon Gaudreault, économiste principal à Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, au Québec.
«La concurrence de nouvelles enseignes et le commerce électronique font mal à plusieurs entreprises», dit-il. Depuis un an, des détaillants de vêtements ont annoncé qu'ils fermaient des boutiques. Le dernier en date est Parasuco. D'autres grands noms du commerce de détail ont eu des difficultés, dont Jacob, Mexx, Smart Set, Target et Bikini Village.
La restauration et l'hébergement éprouvent aussi leur part de problèmes. Pour les 10 premiers mois de 2014, leurs ventes ont reculé de 2,8 %, selon Joëlle Noreau.
Cela dit, l'industrie touristique québécoise pourrait profiter de la dépréciation du dollar canadien. La baisse de la valeur du huard par rapport au dollar américain, combinée à la chute du prix de l'essence et la reprise de la confiance des consommateurs américains devraient entraîner le retour au Québec des visiteurs américains, estime Pierre Bellerose, vice-président recherche de Tourisme Montréal.
L'optimisme de l'industrie est palpable partout au pays. On est convaincu qu'en plus d'attirer des Américains, on pourra séduire les Québécois et les Canadiens qui avaient pris l'habitude d'emprunter la route vers le Sud dès l'arrivée de la saison chaude.
Du côté de la fabrication d'appareils et de composants électroniques, les résultats sont sombres pour les 10 premiers mois de 2014, leurs ventes ayant reculé de 11,5 %, selon Joëlle Noreau.
«La concurrence est très forte, notamment en provenance de l'Asie», dit-elle. Et l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange entre le Canada et la Corée du Sud, le 1er janvier, ne fait qu'accroître la concurrence.
Le secteur de la fabrication de produits informatiques et électroniques éprouve aussi des difficultés, également en raison de la concurrence asiatique, entre autres. Cette industrie comprend des acteurs comme IBM, qui fabrique des semi-conducteurs à son complexe industriel de Bromont, en Montérégie.
Ne comptez ni sur le gouvernement ni sur le consommateur
Plus que jamais, les exportations du Québec seront un catalyseur pour l'ensemble de l'économie du Québec, car les autres sources de croissance sont rares, soulignent les économistes que nous avons interviewés.
«Il ne faut pas compter sur le gouvernement du Québec, car le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitao, veut équilibrer le budget», insiste Luc Vallée, stratège en chef chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.
Le ministre est chanceux : la chute du prix du pétrole (à la fermeture des marchés le 23 février, le West Texas Intermediate avait perdu 51,8 % de sa valeur en un an à 48,55 $ US, selon Bloomberg) n'affectera pas les revenus de son gouvernement à court terme.
Selon le ministère des Finances à Ottawa, le gouvernement québécois recevra 9,5 milliards de dollars en paiements de péréquation en 2015, soit un niveau record. Malgré tout, si les prix du pétrole restent bas, cela pourrait influer à long terme sur les revenus du Québec dans les prochaines années.
Par exemple, cette année, la baisse du prix du pétrole devrait amputer de 4,5 G$ les revenus de l'Alberta, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve-et-Labrador - trois provinces productrices - et de 4,3 G$ ceux du gouvernement fédéral, prévoit le Conference Board du Canada.
Les politiques d'austérité du gouvernement libéral n'ont rien non plus pour stimuler la croissance de l'économie québécoise. En Europe, ces politiques d'austérité ont plombé
l'économie de certains pays de la zone euro, au premier chef la Grèce. Même le Fonds monétaire international (FMI) a reconnu du bout des lèvres son erreur dans ce pays.
En 2010, quand le FMI, la Commission européenne et la Banque centrale européenne ont imposé à la Grèce une politique d'austérité pour financer sa dette publique, ils avaient prévu que l'économie grecque serait en récession en 2011, mais qu'elle renouerait avec la croissance en 2012. Pourtant, ce n'est qu'en 2014 que le pays a de nouveau enregistré une croissance de son PIB, avec un mince 0,6 %. Pis encore, l'économie grecque demeure aujourd'hui 30 % plus petite qu'elle ne l'était il y a six ans, montre une récente analyse de la Financière Banque Nationale.
Il ne faudra pas non plus compter sur les dépenses de consommation pour relancer l'économie. Le consommateur québécois est très endetté, c'est pourquoi il ne sera pas non plus une source de croissance, souligne Luc Vallée, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne. «On ne peut pas compter sur lui, malgré la baisse du prix de l'essence.»
Ainsi, au lieu de dépenser, le consommateur pourrait par exemple décider de réduire un peu ses dettes ou d'épargner.
Facteur aggravant : la création d'emplois piétine et le taux de chômage tarde à reculer de façon significative, selon Desjardins. Ce qui mine la confiance des consommateurs.
Par ailleurs, les économistes souhaitent que les entreprises relancent leurs investissements. «On a un espoir, mais nous n'avons pas encore vu cela se matérialiser pour l'instant», dit Luc Vallée.
En 2014, les investissements du secteur privé non résidentiel (construction puis machinerie et équipements) ont reculé de 2,6 %, selon Statistique Canada.
Plus coûteux d'importer
La chute du huard par rapport au dollar américain pourrait d'ailleurs représenter un frein à l'investissement pour certaines entreprises québécoises, car elle fait bondir les coûts de l'équipement acheté aux États-Unis.
Par exemple, on apprenait récemment que le coût d'investissements en machinerie et équipements du fabricant de trains d'atterrissage Héroux-Devtek est passé de 90 à 105 millions de dollars depuis que le huard n'est plus à parité avec la devise américaine.
Toutefois, malgré l'inconvénient qu'il occasionne pour les entreprises qui importent, la baisse du dollar canadien est somme toute positive pour l'industrie manufacturière, s'entendent pour dire les analystes. Pourquoi ? Parce que la faiblesse du huard stimule avant tout nos exportations, et que les marchés étrangers seront la principale source de croissance de l'économie québécoise en 2015.
Chose certaine, la dépréciation du dollar canadien est assurément une bonne nouvelle pour Stas, un fabricant d'équipements de haute technologie pour l'industrie mondiale de l'aluminium. La PME de l'arrondissement de Chicoutimi, à Saguenay, sent davantage d'intérêt pour ses produits depuis que le huard a perdu des plumes.
«Nos ventes n'ont pas encore augmenté, mais on voit un peu plus de demandes de soumission», raconte Pierre Bouchard, président de cette PME qui vend ses produits aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Afrique, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient.
Depuis six ans, Stas a réalisé de gros projets dans les pays du golfe Persique, dont l'Arabie saoudite.
L'entreprise est aussi proactive. «Nous avons envoyé 500 communications pour faire savoir que nos prix sont plus concurrentiels avec la dépréciation du dollar canadien», explique l'entrepreneur.
Ainsi, à défaut de voir le marché américain dans sa soupe, Pierre Bouchard pourrait bien y voir bientôt le huard. Car un dollar canadien plus faible par rapport à la devise américaine permet à Stas d'exporter plus facilement ses produits dans le monde, comme en Arabie saoudite.
2,4 %: Le PIB québécois devrait progresser de 2,4 % en 2015. Source : Conference Board du Canada
5,7 %: Taux de chômage aux États-Unis en janvier 2015. Il était de 6,6 % un an plus tôt. Source : U.S. Bureau of Labor Statistics
4,5 %: Les investissements des entreprises américaines ont bondi de 4,5 % en 2013. Il s'agit de la statistique la plus récente, en date du 5 février 2015. Source : U.S. Census Bureau
+ 12,5 %: Hausse des exportations aux États-Unis pour les 11 premiers mois de 2014. Source : Institut de la statistique du Québec
Les symptômes positifs...
Les exportations du Québec s'envolent ¹
2013 0,4 %
2014² 2,7 %
2015² 4,9 %
La croissance économique redémarre ¹ (variation annuelle du PIB du Québec)
2013 1,0 %
2014² 1,5 %
2015² 1,7 %
La création d'emplois reprend ¹
2013 1,1 %
2014² 0 %
2015² 0,8 %
Le taux de chômage diminue ¹
2013 7,6 %
2014² 7,7 %
2015² 7,5 %
Les symptômes négatifs...
La consommation des ménages stagne ¹
2013 2,0 %
2014² 2,1 %
2015² 2,0 %
Les ventes au détail reculent ¹
2013 2,5 %
2014² 2,9 %
2015² 2,4 %
Les mises en chantiers diminuent (nombre de mises en chantier de logements)
2013 37 800
2014² 39 000
2015² 37 000
Les entreprises investissent moins (investissements non résidentiels du secteur privé, construction, machinerie et équipements)
2012 26,3 G$
2013² 3,1 G$
2014² 2,5 G$
¹ Toutes ces statistiques sont des variations sur un an.
² Prévision
Sources: Statistique Canada, Banque Nationale, Institut de la statistique du Québec, Mouvement Desjardins
(Écrit avec la collaboration de Martin Jolicoeur)