Une marque et son client, c'est comme un couple, dit Myrianne Collin, vice-présidente principale, stratégie et commercialisation, chez Vidéotron. Vous pouvez bien arriver à la maison avec des fleurs, mais si les relations avec votre conjoint sont distantes, voire inexistantes, cette petite attention aura peu d'impact. De la même manière, quelques offres occasionnelles ne créeront pas de relation entre votre marque et un client. «Les fleurs, seules, "ne font pas la job". L'expérience client doit être globale, positive. Et il faut nourrir cette relation si on veut lui assurer durée et fidélité», dit Mme Collin.
Les choix sont innombrables, les consommateurs se font intensément courtiser, et Internet a fait sauter les anciennes protections géographiques : fidéliser son client n'est pas une sinécure.
Pour le quincaillier Rona, la création de la fidélité passe par une segmentation fine de sa clientèle : au bas de l'échelle, les occasionnels, suivis des détenteurs de cartes Air Miles puis, plus haut, de ceux qui possèdent la carte Rona. Au sommet, les clients qui ont accepté de donner leur adresse courriel au détaillant. «Ceux-là vont dépenser deux fois plus», dit Claire Bara, vice-présidente marketing chez Rona.
Myrianne Collin et Claire Bara participaient, en compagnie de Marc Giroux, vice-président marketing et communications chez Metro, au rendez-vous CMO organisé par Les Affaires. Le secteur de M. Giroux, celui de l'alimentation, est non seulement mature, mais il est aussi très volatil et dicté par les prix. «Un client qui fait 65 % de ses achats chez nous est un client fidèle», dit-il.
Les clients de Rona, de Metro et de tous les grands détaillants sont fidèles à un environnement et à une promesse d'achat, explique Benoît D'Aoust, stratège principal chez Eau3 branding+marketing. Rolex ou BMW offrent du prestige. Rachelle-Béry, de la qualité : les clients sont prêts à faire un détour et à payer plus cher pour se procurer des aliments qu'ils jugent meilleurs pour la santé. Et le monde se divise en Tim Hortons ou en Starbucks, en PC ou en Apple.
«Toute marque doit d'abord créer une relation avec son client, dit M. D'Aoust. Et comme dans toutes relations humaines, il faut l'entretenir après la séduction du début.»
Pour être authentique, il faut se connaître
En marketing, le mot clé est l'agilité. Savoir se retourner vite. Profiter des séries Bruins-CH pour dénigrer - gentiment - son concurrent, comme Bell et Vidéotron l'ont fait, le printemps dernier ; mettre à profit l'«écoeurantite» hivernale pour jouer sur les palettes de couleurs, comme le fait ces jours-ci Rona, avec ses panneaux numériques.
Mais la clé de la fidélité, celle qui fait qu'une marque durera, est d'abord de savoir à qui on s'adresse et, plus fondamentalement, pourquoi on existe.
«Il faut se connaître», soutient Patrick Gauthier, coach en identité de marques, qui a notamment travaillé pour Orage et Lolë. «La plupart des marques se définissent par ce qu'elles font, et non par ce qu'elles sont. On est un producteur de ceci ou de cela, mais qui est-on comme organisation ?»
Dans leur désir de séduire, certaines marques font de dangereuses pirouettes, dit de son côté Benoît D'Aoust. «Par exemple, en dénaturant son produit et en créant la Classe C, moins chère, Mercedes-Benz a failli s'aliéner ses clients. Une marque ne peut pas être tout, pour tout le monde. Elle doit être tout pour les bonnes personnes.»
Plusieurs marques sont dans une pure logique de conquête. «Elles oublient leur communauté première», dit Pierre Balloffet, professeur à HEC Montréal. Le danger est encore plus grand, poursuit-il, si la marque est populaire uniquement en raison de son prix.
Pour lui, les cartes de fidélité sont l'exemple même de... l'infidélité. Lui-même possède la carte d'une pétrolière. «Fondamentalement, je n'ai pas d'attachement envers elle, mais je n'ai pas non plus de raison d'aller ailleurs. Si un concurrent me propose mieux, je vais changer.»
«Lorsque la fidélité ne tient qu'au prix, dit Benoît D'Aoust, on est fidèle... tant qu'il n'y a rien de mieux.»
Pourtant, la fidélité représente la stabilité, le confort. «Nous vivons dans un monde anxiogène. La marque est un réducteur d'incertitudes», dit Pierre Balloffet.
Il n'en tient qu'aux marques, dit-il, de remplir leurs promesses et d'être elles-mêmes fidèles à leurs clients.
«Pour une marque, toujours recommencer à zéro, c'est épuisant», dit Patrick Gauthier, qui poursuit avec une autre analogie matrimoniale : «C'est comme un homme dont la conjointe lui dirait, chaque fois qu'il entre à la maison : tu es qui, toi ?» Ce n'est pas reposant. Ni simplement viable.
Mary Kay: la constance du discours de la marque
«On a toujours cherché à comprendre ce que les femmes veulent, ce qui les rassemble et ce qui fait leur unicité.»
Sheryl Adkins-Green, patronne du marketing du géant du cosmétique Mary Kay, était la conférencière vedette du dernier rendez-vous CMO de Les Affaires.
Dans le monde - et depuis dix ans dans le très lucratif marché chinois -, des millions de femmes sont fidèles aux produits cosmétiques Mary Kay.
Comment cette marque vieille de plus de 50 ans fait-elle pour se renouveler et attirer les nouvelles générations ? Mary Kay est très active sur les réseaux sociaux. C'est d'ailleurs la firme québécoise w.illi.am qui a été choisie pour créer, depuis 2010, ses actifs numériques à l'échelle mondiale. «Ce qui est impressionnant chez Mary Kay, c'est sa capacité à innover rapidement», dit Damien Lefebvre, coprésident de w.illi.am.
Mais il n'y a pas que les réseaux sociaux, poursuit Sheryl Adkins-Green. Le discours de Mary Kay, qui dit aux femmes de prendre soin d'elles-mêmes et de leur famille, «ne change pas d'une génération à l'autre. Les valeurs familiales sont éternelles. Et plus pertinentes aujourd'hui que jamais».
Pour comprendre ses clientes, Mary Kay s'appuie notamment sur un réseau de quelques 5 000 conseillères en beauté indépendantes, qui sillonnent le terrain, voient, entendent, et se font entendre de la compagnie mère, située à Dallas depuis sa création. «On sait rapidement ce qui se vend ou pas, dit Sheryl Adkins-Green. Nous avons bâti notre relation sur la constance de nos produits, leur fiabilité, leur authenticité.»
Et sur l'amour de la marque, ajoute-t-elle. «Les gens sont prêts à payer plus s'ils vous aiment.»