Troisième marque de vodka du monde, Absolut appartient au groupe français Pernod Ricard. Après 30 ans de publicités iconiques lancées par Andy Warhol, Absolut se réinvente pour conquérir la génération Y. Nouveau slogan, nouveau directeur du marketing, le Suédois Jonas Thalin, conférencier à C2MTL en mai dernier.
Diane Bérard - Absolut amorce sa quatrième vie. Racontez-nous.
Jonas Thalin - 1877, Lars Olsson Smith lance une vodka qui concurrence celle produite par la ville de Stockholm. Pour contourner le monopole de Stockholm, il la vend à l'extérieur des limites de la ville. Et il offre gratuitement le trajet en bateau jusqu'à sa distillerie. En 1917 : le gouvernement nationalise l'industrie de l'alcool. C'est la société d'État V&S qui assure la gestion de cette industrie. Elle nomme ses vodkas Renat Brännvin et Absolut Rent Brännvin. En 1985, l'association avec Andy Wharhol lance le phénomène mondial Absolut. Vingt ans plus tard, il faut conquérir une génération qui ignore tout de ce phénomène. C'est le début de notre quatrième vie.
D. B. - Absolut s'est «inventée» en 1985 avec Andy Warhol. Comment se réinvente-t-elle aujourd'hui ?
J. T. - Nous bâtissons sur notre passé. On ne doit pas créer quelque chose d'artificiel. Surtout lorqu'il est question d'une marque emblématique comme Absolut. Si nous tournions complètement le dos à notre ADN, les consommateurs seraient désillusionnés et confus.
D. B. - Depuis 2013, vous avez choisi le slogan «Transform Today». Quel est le lien entre la vodka et la transformation ?
J. T. - Le lien ne se situe pas dans notre produit. Il se trouve plutôt dans notre marque. Ce en quoi nous croyons, ce que nous voulons incarner. Absolut croit en la transformation. En 1979, nous avons transformé la catégorie vodka en nous lançant à l'international. Et nous n'avons cessé de le faire depuis. Le slogan «Transform Today» veut inspirer la génération millenium à façonner un avenir meilleur.
D.B. - Ce slogan est taillé sur mesure pour les consommateurs que vous voulez conquérir, les millenium...
J.T. - En effet, cette génération n'aspire pas au même style de vie que nous. Ils ne veulent pas la maison et un boulot de 9 à 5. Ils veulent utliser leur créativité pour modeler un monde qui leur convient mieux. Absolut les y encourage.
D. B. - Pourquoi la plupart des marques se transforment-elles en créateurs de contenu ?
J. T. - La publicité traditionnelle ne fonctionne plus. On ne peut plus forcer les gens à écouter nos messages télé ou radio. Les consommateurs ne réagissent plus. Des messages, il y en a trop. Le seule façon d'entrer en contact avec les consommateurs est de créer du contenu qu'ils ont vraiment envie de lire ou d'écouter. Les bons services de marketing se comportent comme des salles de nouvelles. On partage des informations, on réagit à ce qui se passe, on tient compte des réactions, tout cela en temps réel. Il est révolu, le temps où nous placions une belle image au dos d'un magazine en papier glacé. Ça ne fonctionne plus.
D. B. - Il se crée beaucoup de contenu. N'y a-t-il pas risque de saturation ?
J. T. - Tout à fait, tout le contenu créé est loin d'être pertinent. Un bon contenu doit toucher le lecteur ou le faire réagir. La lecture doit se conclure par une action, par exemple joindre une communauté d'intérêt ou assister à un party.
D. B. - Absolut était liée à la méga agence de publicité TBWA depuis des décennies. Vous êtes maintenant polygame. Qu'y gagnez-vous ?
J. T. - Nous gagnons de la flexibilité, de la rapidité et de l'agilité. Nous pouvons aller d'une agence à l'autre, selon son expertise.
D. B. - Vos différentes agences communiquent-elles entre elles ?
J. T. - Oui, il arrive que nous fassions travailler cinq agences ensemble sur le même problème. Chacune d'entre elles a pour mandat de résoudre une portion différente. Nous les forçons à travailler ensemble. Toute agence qui veut durer doit apprendre à collaborer avec ses concurrents.
D. B. - Travailler avec plusieurs agences en même temps, est-ce une mode ou une tendance lourde ?
J. T. - Ça va durer. Internet nous impose un rythme beaucoup plus rapide. Nous ne pouvons plus nous permettre de passer des semaines, voire des mois, en symbiose avec une seule agence pour développer une idée de génie.
D. B. - Comment mesurez-vous l'efficacité de votre présence sur les médias sociaux ?
J. T. - Notre mesure clé est la part de conversation (conversation share). Quelle proportion de toutes les conversations qui se déroulent sur les médias sociaux Absolut Vodka prend-elle par rapport à ses concurrentes ? Si les internautes parlent de nous - et surtout de la façon dont nous le souhaitons - cela prouve que le contenu que nous créons et les conversations que nous amorçons sont pertinents. Nous voyons à plus long terme, au-delà de l'effet immédiat sur les ventes.
D. B. - Quel conseil donnez-vous aux marques de biens de consommation qui doivent se réinventer ?
J. T. - Ne visez pas les «super cool» ni le super cool. C'est rarement payant ni pertinent. Nous avons erré en tentant le coup. Nous avons demandé aux internautes de produire de la musique et des vidéos inspirés du cocktail Absolut Greyhound. Les vidéos étaient cool, mais le lien avec notre produit, totalement inexistant.