Diane Bérard - Quelle est la mission du Reputation Institute ?
Charles Fombrun - Nous aidons les entreprises à évaluer, à développer et à protéger leur réputation.
D.B. - Pourquoi une entreprise doit-elle se soucier de sa réputation ? Après tout, il ne s'agit que de perceptions...
C.F. - Méritée ou pas, la réputation que l'on a d'une entreprise ou d'un individu influence notre comportement. Elle décide des gestes que l'on pose à son égard, comme acheter ou pas un produit. La réputation influence aussi les conversations et notre lecture de l'information. Si vous avez une mauvaise image d'une entreprise, cela teintera tout ce que vous lirez et entendrez à son propos. Vous ne retiendrez que les éléments négatifs, ce qui consolidera votre opinion.
D.B. - Quels sont les risques de réputation les plus sous-estimés ?
C.F. - Ce sont toujours les individus. Ceux qui prennent le contrôle d'un projet ou d'un service et qui posent des gestes ou prennent des décisions dommageables.
D.B. - Et les plus surestimés ?
C.F. - Tout ce qui est lié aux activités. Les erreurs de fabrication n'entacheront jamais autant la réputation d'une entreprise que les erreurs de jugement.
D.B. - On emploie souvent l'expression «gérer sa réputation». Cela ressemble à de la manipulation...
C.F. - La réputation n'est pas quelque chose que l'on possède. Elle se trouve dans l'esprit de ceux que l'on côtoie. On ne peut donc pas gérer la réputation d'une entreprise. On gère plutôt les perceptions que les autres entretiennent à son égard.
D.B. - Il est donc impossible d'influencer la réputation d'une entreprise ?
C.F. - Cela équivaut à travailler à l'envers. La réputation, c'est le résultat. Concentrez-vous plutôt sur la cause, soit les perceptions. Nous sommes tous bernés par des idées fausses, parce que les gens ou les organisations expriment mal ou de façon confuse ce qu'ils sont et ce qu'ils font.
D.B. - Comment le service des communications peut-il veiller sur la réputation de l'entreprise ?
C.F. - Ce n'est pas son rôle. La réputation d'une entreprise n'a rien à voir avec le talent du personnel du service des communications. Elle repose sur le travail de tous ceux qui se trouvent aux différents points de contact de l'entreprise. Les employés du centre d'appel, par exemple, influencent bien plus la réputation d'une entreprise que ceux du service des communications.
D.B. - Parlez-nous davantage des points de contact qui influencent une réputation.
C.F. - Prenons un salon de coiffure. Sa réputation se bâtit à travers les clients qui le fréquentent, bien sûr. Mais aussi à travers les passants, le quartier et l'extérieur. qui jugent l'apparence du lieu. Et à travers les autres commerçants, qui côtoient le propriétaire dans les réunions d'entrepreneurs. J'ai déjà ciblé trois points de contact pour ce petit commerce, imaginez combien une plus grande entreprise en compte.
D.B. - La réputation d'une entreprise repose sur sept dimensions, quelles sont-elles ?
C.F. - D'abord la performance financière. Ensuite, est-ce un bon employeur ? Se comporte-t-elle en bon citoyen ? Ses produits et ses services sont-ils de qualité ? Est-ce une entreprise innovante ? Fait-elle preuve de leadership, ses dirigeants sont-ils considérés comme influents ? Que peut-on dire de sa gouvernance : cette entreprise a-t-elle des valeurs ? Un code de conduite ? A-t-elle un comportement éthique ? Ce sont ces sept dimensions que nous mesurons avec le RepTrack. Ensemble, elles donnent le score de réputation d'une entreprise.
D.B. - Qu'est-ce que le pouls d'une réputation et comment le prend-on ?
C.F. - Le pouls d'une réputation, c'est la réaction instinctive que l'on manifeste à l'égard d'une entreprise. Ça se résume à «j'aime» ou «je n'aime pas». Prendre ce pouls est la première étape de la gestion des perceptions. La deuxième consiste à passer à travers les sept dimensions énoncées plus haut pour déterminer celle ou celles qui font baisser le pouls. La troisième étape consiste à examiner 30 indicateurs encore plus détaillés pour cerner les actions précises à poser pour faire grimper le pouls de votre réputation.
D.B. - Une entreprise peut-elle avoir une bonne réputation malgré un pdg peu charismatique ?
C.F. - Oui, à condition que cette entreprise possède une culture et des valeurs fortes. Prenez Johnson & Johnson. Pour la plupart desconsommateurs, c'est une société qui fabrique des produits pour bébés. Même si ces produits ne constituent plus qu'une faible portion de son portefeuille, l'image rassurante était si forte qu'elle est restée dans nos esprits. Tout comme les valeurs qui y sont associées.
D.B. - Qu'arrive-t-il si une moitié des parties prenantes d'une entreprise lui attribue une bonne réputation, et l'autre, une mauvaise ?
C.F. - C'est probablement le pire scénario, quand les actions que vous posez font grimper votre cote auprès du premier groupe et qu'elles provoquent la colère du second. Vous pouvez toujours établir une priorité parmi vos parties prenantes. Mais cela peut se retourner contre vous. Un groupe que vous jugiez moins influent peut le devenir en s'organisant. Pensez aux tribus qui se sont dressées violemment contre les minières ou les exploitants forestiers. Bref, vous ne voulez pas que vous battre contre l'une des vos parties prenantes ni que ces parties prenantes s'affrontent entre elles. Il vaut mieux que tout le monde soit un peu instatisfait qu'un seul groupe entièrement satisfait. Parfois, il faut viser la décision la moins mauvaise...
D.B. - Une entreprise qui mène des affaires dans plusieurs pays peut-elle «standardiser» sa réputation ?
C.F. - Non, aucune entreprise ne peut gérer sa réputation à l'échelle mondiale. Les influenceurs de réputation varient d'un pays à l'autre. Certains enjeux sont plus délicats, comme l'eau. Coca-Cola ne peut pas se présenter dans un pays d'Afrique et dire «vous n'avez pas d'eau potable ? Buvez du Coke !» Pour être acceptée localement, elle doit contribuer à l'apport en eau potable.
D.B. - Une entreprise peut-elle empêcher un dérapage local de contaminer sa réputation ailleurs ?
C.F. - Non, l'information voyage trop vite. Il ne reste qu'une solution : communiquer les faits rapidement, afin d'éviter les distorsions.
D.B. - Comment gère-t-on sa réputation auprès des politiciens et des autorités de réglementation, par exemple ?
C.F. - C'est délicat. Les politiciens se soucient de leur réélection. Ils ont besoin d'être rassurés, de savoir que votre entreprise ne portera pas préjudice à leur réputation. Vous devez leur prouver que n'avez pas de squelette dans votre placard.
D.B. - Un dernier conseil ?
C.F. - La réputation d'une entreprise est un actif, traitez-la comme tel.