Si vous feuilletez des magazines de design ou de décoration ces jours-ci, il y a de fortes chances que vous trouviez, parmi les dernières boutiques en vogue, celle d'un club sportif. Des lieux avant-gardistes, très léchés, où le marchandisage va au-delà des présentoirs de maillots pêle-mêle, des étagères de tasses à café ou de casquettes du club.
Des espaces créés pour titiller le partisan, éveiller en lui une émotion pure, accroître son sentiment d'appartenance et, accessoirement, lui faire acheter un maillot à 180 $.
La dernière en date, la boutique officielle du Real Madrid, sur la célébrissime Gran Via de la capitale espagnole, vient d'être récompensée par un réputé magazine de design pour ses lignes graphiques audacieuses et sa brillante utilisation de la technologie.
En 2012, l'agence montréalaise Sid Lee a conçu pour l'équipe de soccer Ajax d'Amsterdam un espace du genre, sur la place Rembrandt, au coeur de la ville, à la fois boutique, musée et lieu de divertissement, avec ses salles de jeux interactifs et multimédias.
Le fait que l'Espace Ajax - son nom officiel - se soit construit au coeur d'Amsterdam l'a rapproché de ses inconditionnels «et lui a fait bénéficier d'une vitrine additionnelle», explique son concepteur, l'architecte Jean Pelland, associé chez Sid Lee Architecture.
Ces deux boutiques ont plusieurs points communs, dont celui-ci : on les a sorties de leur milieu naturel - le stade - pour les installer au coeur de la vie commerciale de leur ville respective.
Un lieu rassembleur
Le Club de hockey Canadien, l'une des équipes les plus médiatiques de ce sport et la troisième la plus valorisée de la LNH, selon Forbes, n'a pas cette chance. Le CH a certes deux boutiques, mais l'une d'elles est située au Centre Bell, en périphérie du centre-ville, et l'autre en périphérie tout court, soit au centre d'entraînement de l'équipe, à Brossard.
Pourquoi pas un espace au goût du jour, rue Sainte-Catherine, l'une des artères commerciales les plus achalandées du pays ? Le Canadien aurait tout intérêt à en faire autant, répond Jordan Le Bel, directeur du Centre d'excellence Luc-Beauregard de recherche en communication à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia. Un match au Centre Bell coûte très cher. Pour une famille de quatre, c'est presque hors de prix. Un espace ludique, techno, à l'esthétisme raffiné, situé au coeur du centre-ville peut pallier ce désagrément. Il pourrait même avoir un bar et un resto avec des écrans géants, histoire de concurrencer les Cage au sport de ce monde, commente M. Le Bel. «Ça devient un lieu rassembleur, qui contribue à raconter l'histoire et à promouvoir l'image de marque.»
Mais c'est aussi un pari risqué.
Ce spécialiste en magasins phares (il a travaillé sur la boutique Hershey, à Manhattan, qui ne connaît pas le succès de celle de son concurrent M&M) estime que, si l'idée est bonne, sa réalisation n'est pas aisée dans le contexte actuel.
Même si on n'exige pas des rendements similaires au pied carré que ceux des boutiques ordinaires, la baisse d'activité dans les rues commerçantes montréalaises influe sur la décision d'investir jusqu'à 10 millions de dollars dans l'ouverture d'une telle boutique. Sa réalisation doit être minutieuse et sa gestion, exemplaire. «Mal gérée, une telle boutique peut devenir néfaste pour la marque.»
Le recrutement de la main-d'oeuvre est aussi devenu extrêmement ardu dans tout le secteur du commerce de détail.
Cela dit, l'idée a de quoi séduire. «Montréal a besoin de quelque chose qui la fasse vibrer, surtout avec la relative baisse du tourisme. Ça donnerait un peu de souffle à la Sainte-Catherine», dit Jordan Le Bel. Et au boulevard Saint-Laurent, qui pourrait devenir le lieu idéal pour la boutique d'une autre équipe sportive, l'Impact, qui aurait intérêt à sortir de son stade, ajoute-t-il.