Avec son nom provocateur, No Pay MBA, le site de l'Américaine Laurie Pickard a fait le tour du monde. Plutôt que de s'inscrire à un MBA au prix d'une université américaine - de 60 000 $ US à plus de 180 000 $ US, selon le type de programme et l'université -, la jeune femme a suivi depuis 2013 plusieurs cours en ligne ouverts à tous (mieux connu sous l'acronyme anglais MOOC, pour massive open online course). Des cours offerts dans différentes matières, dispensés par des sommités pour un prix dérisoire - moins de 1 000 $ US, selon la jeune femme.
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Le hic : l'accumulation de MOOC ne donne pas droit à un diplôme MBA en bonne et due forme, alors que les candidats à ce titre prestigieux veulent pouvoir utiliser les trois lettres pour faire avancer leur carrière. Sans compter qu'il faut faire preuve d'une discipline de fer pour réussir à suivre tous ces cours sans le soutien d'un enseignant en chair et en os, et de coéquipiers engagés dans la même galère. «Il faut une saprée motivation pour y parvenir seul. L'équipe tire les individus et certains arrivent au bout du processus grâce au groupe. Seuls, ils n'auraient pas réussi», dit Guy Cucumel, directeur des programmes de MBA pour cadres en exercice de l'ESG UQAM.
Certains choisiront plutôt de se tourner vers des formations en ligne menant à un diplôme. Si aucune présence physique n'est obligatoire dans ces formules, le cursus est bien encadré par l'université qui l'offre, des devoirs écrits doivent être rendus à dates fixes et les apprentissages sont sanctionnés par des examens.
Avec près de 900 étudiants inscrits par an, l'Université Athabasca, en Alberta, se vante d'être la première du monde à avoir conçu un programme de MBA exécutif totalement en ligne en 1994. Elle attire même des étudiants du Québec. «Dans une proportion de 97 %, ils occupent un emploi à temps plein, principalement dans les domaines médical et pharmaceutique, de la finance et de l'assurance, de l'énergie et de la fabrication», dit Farid Noordin, responsable du marketing et des relations avec les diplômés de l'université.
Offre encore timide au Québec
Des prix moins élevés, des horaires plus flexibles, un meilleur accès aux outils technologiques... Les arguments pour se tourner vers ces nouvelles façons de préparer un MBA sont nombreux.
Toutefois, aucune université québécoise n'offre encore de programmes de MBA totalement en ligne. Le seul moyen pour un Québécois de faire un MBA de cette façon est de s'inscrire à un programme d'une université canadienne ou étrangère, comme l'Université Queen's, à Kingston, ou l'Université Athabasca.
Par contre, quelques universités québécoises proposent des formules hybrides, soit des programmes traditionnels comprenant certains cours en ligne. À l'Université Laval, particulièrement avancée dans ce domaine avec 70 programmes offerts en ligne, seul le MBA Gestion pour cadres en exercice est réellement en formule hybride. «Les gestionnaires qui travaillent tout en faisant un MBA aiment cette solution qui n'exige une présence physique aux cours qu'une journée toutes les deux semaines pendant les 20 à 22 mois que dure le programme», explique André Gascon, directeur des programmes de MBA. De 25 à 30 étudiants suivent ce programme chaque année.
Daniel-Paul Lavallée, directeur général de la Fédération québécoise de ski alpin, a expérimenté cette formule. Vivant à Montréal et ayant une activité professionnelle très prenante, il a choisi de faire son EMBA (executive MBA) à l'Université Laval, en grande partie parce que le cursus hybride exigeait une présence moindre que les autres formations. Il a aimé l'expérience, sauf les examens en ligne, qu'il a trouvé «plus stressants». «C'est intense quand on appuie sur le go. En classe, c'est une ambiance plus rassurante», souligne-t-il.
Grâce à l'autonomie acquise durant sa carrière, il n'a pas eu de difficulté à rester motivé pour travailler. Les rencontres d'équipes régulières, deux fois par mois pendant les deux ans que dure la formation, lui ont également permis de tenir le cap. «J'ai découvert de nouveaux logiciels, notamment d'autres solutions que Skype, dont je me sers maintenant dans mon travail, ajoute-t-il. On avait des cours en vidéo ou en direct à certains moments, on remettait des devoirs par Internet, on avait des réunions d'équipe en ligne. Mais le professeur était toujours accessible pour répondre à des questions.»
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La rencontre en personne, essentielle
Alors pourquoi ne pas accroître l'offre de programme de MBA dispensé intégralement en ligne ? «Le volet présentiel est incontournable», affirme Daniel-Paul Lavallée. Question de motivation et d'esprit d'équipe. «Ce ne serait pas adapté au MBA, répond quant à lui André Gascon. Les gens ont besoin de se parler, de travailler ensemble. La grande force du MBA est d'élargir un réseau d'affaires. Pour cela, on a besoin de se rencontrer.»
La base même de l'enseignement est parfois peu compatible avec une formation à distance. L'EMBA offert par l'Université McGill et HEC Montréal est fondé sur l'expérience et l'apprentissage par les autres. «Les cours sont donnés en classe, en face à face, car la force du modèle vient de l'échange d'expériences entre les participants. Cela leur permet de tester des idées et des théories liées à leurs propres réalités et en temps réel», dit Marianne Vandenbosch, codirectrice du programme.
Dimension collective de l'apprentissage
Quels que soient les programmes, «il y a une dimension collective à l'apprentissage que ne permettent pas les formules entièrement en ligne ou les MOOC», ajoute Louis Hébert, directeur du programme de MBA de HEC Montréal. Il reconnaît cependant que les offres de formules originales sont un aiguillon utile pour faire évoluer les programmes.
Tout de même, le MBA est reconnu pour être difficile. Le cadre inhérent à un parcours traditionnel ainsi que les rencontres régulières avec les enseignants et les autres candidats sont souvent nécessaires pour maintenir la motivation.
Stéphane Plante, propriétaire de plusieurs pharmacies à Rimouski, a fait son MBA au campus de l'Université du Québec à Rimouski. Si le MBA n'avait pas été accessible sur place, il aurait peut-être essayé une formule en ligne. Mais il n'est pas convaincu. «Une formation à distance demande qu'on soit très discipliné pour se remettre à la tâche après avoir terminé sa journée de travail et s'être occupé des enfants le soir. Quand il n'y a pas de rencontres fréquentes pour maintenir l'ambiance de travail et l'intérêt, ça doit être plus difficile», juge-t-il.
Régler le problème des distances
L'intérêt pour les formules en ligne existe bel et bien : les responsables de programmes MBA reçoivent régulièrement des demandes en ce sens. «Il y a une tendance globale du marché pour aller vers ce genre de formules, constate Guy Cucumel. Mais je le vois comme un créneau complémentaire. Je ne pense pas qu'il se substituera au présentiel.»
Les avantages, notamment en région, sont évidents. «Cela pourrait régler le problème des distances, surtout en hiver, lorsqu'il n'est pas toujours facile de se déplacer», reconnaît Ahmed Marhfor, responsable du MBA à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. L'Université n'offre pour l'instant que des cours en présentiel à Val-d'Or et à Rouyn-Noranda pour réduire les déplacements des candidats. Aucun cours n'est dispensé à Amos, faute d'un nombre suffisant de candidats. Reste à convaincre le corps enseignant des bienfaits des formules à distance et de s'adapter aux nouvelles technologies.
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