Devenir non plus local, mais mondial, fait rêver tout autant que trembler, y compris les entrepreneurs les plus audacieux. Parce que sortir de sa zone de confort n’est jamais chose aisée, pour qui que ce soit. Parce qu’aller voir ailleurs comporte toujours une part de risque, plus ou moins grande. Bref, parce que l’inconnu est tout aussi attirant qu’épeurant.
Comment surmonter de telles difficultés ? Une voie fort intéressante à explorer peut être celle qu’a empruntée au tournant de 2010 Unilever, une multinationale anglo-néerlandaise à la tête de marques mondialement connues comme Lipton, Hellmann’s, Dove et Sunsilk. Une voie d’une redoutable efficacité, ainsi que l’a explicité Pascal Visée, consultant sénior du cabinet-conseil McKinsey, dans un récent article du McKinsey Quarterly. La voie de... la simplicité !
Il y a de cela six ans, Paul Polman, pdg d’Unilever, a chargé M. Visée et son équipe d’une mission cruciale : « Élaguer les branches d’activité de la multinationale, afin de permettre à chacune d’elles de grandir en harmonie avec les autres et, ultimement, afin de ne plus faire payer aux consommateurs le coût inhérent à la structure chaotique actuelle ». Rien de moins.
C’est que, comme nombre d’entreprises devenues internationales, Unilever a surtout grandi à coups d’opérations de fusions-acquisitions, un peu partout sur la planète. Et ce, en sautant sur chaque occasion qui se présentait à elle, et donc, sans véritable plan ni méthode. Jusqu’au moment où la haute direction s’est rendu compte que la multinationale était devenue ingérable, ou presque. D’où l’idée de M. Visée de miser sur une simplification extrême de la structure et des opérations de la multinationale.
Apprendre à mieux se connaître
Pour commencer, le consultant de McKinsey a établi un réseau de communication entre les principaux centres névralgiques d’Unilever, en privilégiant les marchés dits émergents : Bangalore (Inde), Istanbul (Turquie), Katowice (Pologne), Omsk (Russie) et Shanghai (Chine). Puis, il a instauré l’habitude de tenir des réunions communes, par l’intermédiaire de vidéoconférences, dans l’optique que les uns et les autres se connaissent mieux, et même plus, harmonisent leurs efforts. Autrement dit, il a procuré une nouvelle vigueur au tronc d’Unilever.
Bien entendu, ce n’était qu’un début. M. Visée s’est ensuite attaqué à l’architecture même de la multinationale, branche par branche. Avec pour mot d’ordre, une fois de plus : simplifier, simplifier, et encore simplifier. Lisez-en ci-dessous trois exemples concrets.
« Lentement mais sûrement, Unilever est en train de se métamorphoser. La multinationale a entrepris de renouer avec sa simplicité fondatrice, celle qui lui a permis de devenir le géant qu’elle est devenue, celle qui lui permettra de devenir plus forte que jamais », a résumé le consultant de McKinsey, en martelant que « la simplification n’est pas une voie facile, mais une voie assurément enthousiasmante pour qui a le cran de s’y lancer ».
Trois exemples concrets de simplification chez Unilever
> Internaliser le marketing. Traditionnellement, Unilever confiait ses opérations de marketing à des agences, chaque division se devant de faire appel aux services des meilleures de son marché. Or, en vérité, l’excellent côtoyait le mauvais. Du coup, M. Visée et son équipe ont recommandé à Unilever de retourner sa veste, en internalisant ses actions. Des experts en marketing ont ainsi été recrutés et affectés à Bangalore, ce qui a permis d’« uniformiser, à faible coût » les opérations d’Unilever à l’échelle de la planète. « D’ores et déjà, l’impact sur les consommateurs s’est révélé phénoménalement positif », a souligné le consultant de McKinsey dans son article.
> Un seul et unique site intranet. Unilever comptait plus de 400 sites intranet. Tous ont été supprimés pour ne laisser la place qu’à un seul, offert en 20 langues différentes. À noter que cet intranet est devenu le seul véhicule pour diffuser les rapports de la haute direction, avec interdiction de les envoyer, comme cela se faisait jusqu’alors, par courriel. Cela a eu un double effet : les quelque 12 000 rapports émis chaque année ont diminué d’eux-mêmes de moitié (chacun a compris qu’il était inutile de diffuser tous leurs rapports qui faisaient doublon) ; et les boîtes de courriel des employés ont été grandement soulagées des innombrables envois de rapports aux uns et aux autres. « À présent, chacun n’est plus qu’à deux clics de l’information qui l’intéresse vraiment », a indiqué M. Visée.
> Uniformiser les critères de recrutement. Chaque pays, ou à peu près, avait sa propre procédure de recrutement, si bien qu’il arrivait que ce qui était considéré comme une qualité professionnelle quelque part était perçu comme un grave défaut ailleurs. Ce qui était un véritable fléau pour la mobilité des employés au sein de la multinationale. En conséquence, on a créé une grille de critères unique pour l’ensemble des embauches, partout dans le monde. Cette grille est utilisable sur n’importe quel ordinateur portable ou sur tablette numérique. Elle doit être remplie par le recruteur à chaque embauche, si bien que n’importe quel gestionnaire d’Unilever peut aisément repérer les recrues talentueuses et suivre leur évolution, dans le but de mettre le grappin dessus, le moment venu. « Grâce à toutes ces données, la gestion du talent n’a jamais été aussi efficace chez Unilever », a dit M. Visée.