En Italie, la concurrence est féroce entre les différentes marques de café. Rencontre avec Andrea Illy, le président du réputé illy caffè, qui nous explique comment il parvient à faire mieux que survivre, prospérer.
Auteur : Ivan Carvalho | Monocle
Lorsqu’on aborde en Italie le sujet sensible des entreprises familiales, on nous renvoie automatiquement un cliché : la première génération crée, la deuxième préserve et la troisième détruit… Si Andrea Illy connaît bien ce cliché, il se fait pourtant fort de le pulvériser en moins de deux, lui qui dirige aujourd’hui le groupe illy, né d’une petite boutique de torréfaction fondée à Trieste en 1933 par son grand-père hongrois.
«Comme dirigeant d’une entreprise familiale, on incarne la marque, surtout lorsque l’entrepise a pris le nom de la famille. À ce titre, on reçoit un héritage, un savoir-faire qu’on s’attache à préserver et transmettre aux générations suivantes», explique-t-il, assis à son bureau garni de bois, juste en face d’un portrait de son défunt père, Ernesto Illy.
En dépit du poids des responsabilités qui pèse lourdement sur ses épaules, Andrea a appris, au fil des années, à ne pas microgérer, c’est-à-dire à ne pas se soucier du moindre détail. «Nous voulons rester une entreprise familiale, mais sans tomber dans le travers de paternalisme. En fait, nous essayons de combiner une gestion familiale à celle de toute entreprise cotée en Bourse», dit-il.
En vertu de cette approche, Andrea Illy se doit d’accorder sa confiance à ceux qui ne portent pas son nom de famille, pour diriger au mieux une firme qui emploie quelque 800 personnes et génère des revenus annuels frôlant les 300 millions d’euros (410 millions de dollars). «Je dois pouvoir compter sur des collègues motivés, qui se sentent très impliqués dans mon projet, et qui y adhèrent à fond», souligne-t-il.
Ainsi, l’équipe de direction d’illy jouit d’une grande marge de manoeuvre. «Nous avons apporté un gigantesque changement l’an dernier, en confiant pour la première fois la direction générale à quelqu’un qui n’est pas de la famille. Il a pris ma place. Cela s’imposait, car je travaille le même nombre d’heures que quand j’ai commencé, il y a 20 ans, alors que l’entreprise est maintenant 10 fois plus grande et 100 fois plus complexe», illustre-t-il.
Une des grandes réalisations de la firme, qui n’apparaît pas au bilan financier, est son faible taux de roulement du personnel. «C’est que nous prônons deux valeurs fondamentales : d’une part, la passion de l’excellence; d’autre part, la volonté de bâtir quelque chose de durable», dit Andrea Illy. Aux yeux des employés, cela se traduit par la recherche continuelle d’améliorer les produits d’illy, et par suite de voir les ventes grimper. Aujourd’hui, on boit chaque jour six millions de tasses de son espresso, et ce à l’échelle mondiale.
Pas étonnant, par conséquent, d’apprendre que le premier poste occupé par Andrea Illy lorsqu’il est arrivé dans la firme, en 1990, ait été celui de superviseur du contrôle de la qualité. Rapidement, il a établi des protocoles extrêmement exigeants pour s’assurer de respecter les plus hauts standards de qualité, depuis le grain de café jusqu’à la tasse, une démarche qui a valu à l’entreprise les certifications ISO 9001 et ISO 14001. Illy s’est dotée, par exemple, d’une machine de triage qui analyse, à l’aide d’un laser, 200 grains de café par seconde, dans l’optique d’éliminer les mauvais. «En vérité, les chiffres ne m’intéressent pas vraiment. Pour moi, c’est la qualité qui compte», reconnaît-il.
Quand on fait la tournée de la principale usine d’illy, à Trieste, on passe devant un mur où sont inscrits les paramètres idéaux pour brasser un espresso : 7 g de café brassé durant 30 secondes à 90 degrés Celsius, sous une pression de 9 atmosphères. Ce calcul provient d’un livre qu’il a coécrit en 1995, un an après être devenu le PDG de la firme. Intitulé Espresso Coffee : The Science of Quality, cet ouvrage très complet aborde tout ce qui touche l’espresso, depuis l’ADN du grain de café jusqu’aux effets de la caféine.
Son autre passion, c’est le management. L’érudit Andrea Illy aime à fréquenter les rayons des librairies, dans l’espoir d’y dénicher de nouveaux ouvrages sur le sujet. Il dévore tout ce qu’il trouve.
Ne croyant guère aux seules vertus des MBA, il attache une grande importance aux bagages des gestionnaires. Lui détient un baccalauréat en chimie, ce qui, d’après lui, lui donne une longueur d’avance quand il s’agit d’appréhender une situation nouvelle. «En chimie, nous adoptons une approche systémique, du type A + B = C, soit une série d’étapes permettant de déceler les liens entre les différents éléments en place», indique-t-il. À son avis, cette mentalité lui a permis, entre autres, de prédire l’impact du réchauffement climatique sur les biens de première nécessité, ce qui l’a convaincu, dès le milieu des années 1990, de diversifier la provenance des grains de café utilisés par sa firme. Résultat : son arabica provient maintenant de 15 pays.
«En tant qu’entreprise familiale, nous ne sommes pas une machine à profits; nous sommes des parties prenantes qui bâtissent quelque chose à long terme», dit-il.
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Les 10 règles d’Andrea Illy
01 : Combien de temps aimez-vous passer à votre bureau?
En règle générale, j’arrive le matin à 9h. Quand ma famille est à Trieste, je quitte vers 20h.
02 : Quel est le meilleur endroit pour se préparer en tant que leader ─ le MBA ou le milieu du travail?
Les deux. Un dirigeant n’ayant que de l’expérience pratique échouera. Le MBA vous donne un grand plus, ainsi qu’un cadre de références.
03 : Décrivez-nous votre style de gestion…
Je dirais qu’il est visionnaire. Je conçois un plan, puis mon équipe le concrétise.
04 : Les décisions les plus difficiles doivent-elles se prendre seul?
De façon générale, je pense qu’il est toujours préférable d’en discuter en équipe.
05 : Préférez-vous être aimé ou respecté?
Respecté, mais pas au point d’être vénéré. Je pense qu’il doit surtout y avoir de la confiance.
06 : À quoi ressemble votre équipe de soutien?
Je travaille en étroite collaboration avec mon directeur général. Il est mon coordonnateur, et c’est lui qui traite avec les chefs de département.
07 : Quel type de technologie apportez-vous en voyage?
J’ai un MacBook Air tournant sous Windows, un BlackBerry 9300 et un iPhone ─ nous avons une application de localisation Illy qui nous permet de trouver les établissements où l’on sert notre café.
08 : Lisez-vous des ouvrages traitant de management?
Oui, j’explore les librairies chaque fois que je suis en voyage d’affaires.
09 : Vous courez le matin? Prenez-vous du vin au repas? Socialisez-vous avec le personnel après les heures de bureau?
Je cours 6 km trois fois par semaine, avant de me rendre au bureau. Je ne prends pas de vin aux repas. Si j’ai des invités, je sers du brunello provenant de notre société sœur Mastrojanni, mais je bois ensuite deux espressos.
10 : Quel serait votre principal conseil en matière de management?
Nous vivons dans une société non durable. La communauté des affaires se doit d’explorer de nouvelles voies de développement.