Si le gouvernement du Québec compte sur les arrangements de reconnaissance mutuelle (ARM) avec la France pour recruter de la main-d'oeuvre spécialisée dans l'Hexagone, il devrait revoir sa stratégie, estiment les trois présidents d'ordres professionnels que nous avons interrogés.
Un ARM est un accord permettant aux membres des ordres québécois de pratiquer leur profession en France et vice-versa. Les ARM ont été créés en octobre 2008, lorsque le premier ministre du Québec, Jean Charest, a annoncé une entente Québec-France qui obligeait les 45 ordres professionnels à entreprendre des discussions avec leur équivalent français.
L'Ordre des vétérinaires du Québec s'apprête à conclure une entente avec son homologue français. Son président, Joël Bergeron, en est fier. " Le campus de Saint-Hyacinthe comporte la seule faculté vétérinaire francophone en Amérique du Nord. Établir des relations professionnelles avec la France nous réjouit. "
Par contre, M. Bergeron ne se berce pas d'illusions : les ARM ne résoudront pas le problème de pénurie de main-d'oeuvre spécialisée. " Nous manquons de vétérinaires en milieu agricole, mais la France et tous les autres pays vivent la même pénurie. Cette entente peut nous faire autant gagner que perdre des vétérinaires. "
Assouplir les conditions de mobilité
Chez les urbanistes, la situation est différente, puisqu'il n'y a de pénurie ni au Québec ni en France. Néanmoins, Robert Chicoine, président de l'Ordre des urbanistes du Québec, croit que la France pourrait avoir plus de facilité à attirer des Québécois que l'inverse. " Il n'y a pas d'ordre professionnel pour les urbanistes en France. Il est plus difficile de travailler comme urbaniste ici que là-bas. "
L'Ordre des comptables agréés du Québec a signé un ARM en octobre 2008 avec l'Ordre des experts comptables de France et en signera un autre avec la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, qui regroupe les comptables travaillant en entreprise.
L'Ordre du Québec avait déjà des ententes de réciprocité avec 13 pays, dont la France; l'ARM assouplit les conditions de mobilité. " Les ententes de réciprocité et l'ARM ne nous apportent pas beaucoup de main-d'oeuvre ", explique Diane Messier, vice-présidente, formation professionnelle et relève, de l'Ordre des CA du Québec. Il n'y a pas de pénurie de comptables agréés au Québec.
Un pas vers le libre-échange avec l'Europe
" Il n'y a pas d'obligation de résultats, puisqu'il y a des ordres qui existent au Québec et pas en France et vice versa, explique Jean-François Thuot, directeur général du Conseil interprofessionnel du Québec. L'objectif était de signer une vingtaine d'ententes en deux ans. "
Quand M. Charest se rendra en France en décembre pour sceller le cycle de discussion de deux ans, une vingtaine d'ordres professionnels, de chaque côté de l'Atlantique, auront effectivement signé un ARM. Ces ententes établissent les conditions de reconnaissance de qualifications pour exercer sur le territoire de l'autre : l'entente est parfois automatique, mais parfois elle impose une formation d'appoint pour pratiquer chez les cousins.
Avant même la fin prochaine du cycle de discussion des 45 ordres professionnels, le gouvernement a lancé un deuxième cycle concernant les métiers réglementés. Ceux-ci comprennent les peintres en bâtiment, les maçons, les techniciens en métallurgie, les pâtissiers, les boulangers, les poissonniers, les bouchers, les techniciens en climatisation, les spécialistes en chauffage, etc.
Un accord de libre-échange dans la mire de Québec
" Le gouvernement veut construire des ponts avec la France dans l'éventualité d'un accord de libre-échange entre le Québec et l'Union européenne ", explique Gil Rémillard, négociateur en chef et secrétaire général du Comité bilatéral pour la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles.
La recherche de candidats talentueux dans le contexte de pénurie de main-d'oeuvre constitue une autre cible. Quand on fait remarquer à M. Rémillard - avocat chez Fraser Milner Casgrain et professeur à l'École nationale d'administration publique - que les échanges peuvent aller dans les deux sens, il répond que nous avons un avantage, puisqu'il y a un plus grand nombre de Français à venir s'établir au Québec qu'il n'y a de Québécois à aller vivre en France.
Cela dit, l'entente comprend une clause qui permet aux deux parties " de tenir compte du flux migratoire ". Autrement dit, si une des deux parties perdait trop de main-d'oeuvre dans un métier ou une profession, elle pourrait restreindre ou mettre fin à l'entente.
Enfin, les ARM pourraient stimuler les investissements français au Québec. " Quand une société étrangère s'installe chez nous, elle amène souvent ses professionnels et ses techniciens. S'ils ne peuvent pas exercer chez nous, cela un effet dissuasif ", soutient M. Rémillard.