Impossible de transformer la culture de travail de votre organisation ? Les travaux publics de Trois-Rivières ont pourtant réussi. Les cols bleus ont le respect de leurs patrons et l'estime de la population. Ils remportent des prix d'innovation et livrent des conférences sur leur nouveau modèle de travail. Tout ça grâce à la méthode japonaise des 5S. Voici la recette qui pourrait inspirer votre entreprise.
Lorsqu'il a été nommé directeur des travaux publics de la nouvelle Ville fusionnée de Trois-Rivières, en avril 2002, Ghislain Lachance a hérité de six équipes de travail différentes, six groupes syndicaux rattachés à deux centrales, et beaucoup de mécontents. Les cadres devaient postuler leur emploi pour le conserver. Du côté des employés syndiqués, les salaires, les postes et les horaires n'étaient pas uniformes. Sans parler des cultures de travail : au secteur Cap-de-la-Madeleine, la sous-traitance était diabolisée, alors qu'à Saint-Louis-de-France, elle faisait partie du modèle d'entreprise.
" Cela me prenait un projet mobilisateur ", relate M. Lachance.
Aussi, lorsque le consultant Denis Carpentier, recommandé par un conseiller municipal, a frappé à sa porte pour lui parler de la méthode japonaise des 5S, Ghislain Lachance s'est montré ouvert, même s'il avait déjà signé un contrat de coaching pour ses cadres et une démarche de réorganisation avec Grant Thornton et Associés. " M. Carpentier m'a promis que le 5S allait non seulement me permettre d'optimiser les espaces de travail et de réduire le nombre de blessures, mais aussi d'inculquer une culture de collaboration au sein des équipes, se souvient-il. Je lui ai dit : si tu es capable de faire ça, on a de l'ouvrage pour toi ! "
Faire le ménage
De prime abord, la méthode 5S est simple : les équipes revoient leurs espaces de travail, éliminent ce qui n'est pas nécessaire, puis abordent l'étape de standardisation. Mais surtout, les 5S obligent les gens à participer et à travailler ensemble. Et c'est là que la magie opère.
Ainsi, à Trois-Rivières, les équipes de chantier sont composées en grande majorité de syndiqués. Ce sont eux - pas la direction - qui prennent les décisions, et ce, par consensus. Un comité décisionnel pilote les chantiers. Paritaire, il regroupe autant de représentants syndicaux que de cadres. Là aussi, le consensus est exigé.
Lors d'une visite dans divers ateliers - mécanique, menuiserie, électricité, réparation des camions -, nous avons vu des espaces où rien ne traîne, où tout est à sa place - une place délimitée par une signalisation visuelle forte. " J'adore les 5S, parce que je ne passe pas mon temps à chercher mes outils ", nous a lancé le menuisier Marc Thériault.
Nous avons vu plusieurs équipements qui, sans être brevetés, sont des inventions des ouvriers. " Des ingénieux, pas des ingénieurs ", dira Yvan Roux, coordonnateur du comité de pilotage. Supports à panneaux, distributrice à fils électriques, table à sablage...
Les employés apprécient qu'on accueille leurs suggestions et, si leurs idées sont jugées bonnes par l'équipe, qu'on y donne suite, explique Michel Sauvageau, vice-président et responsable des griefs du Syndicat des employés manuels de Trois-Rivières. " Avant, quand t'avais une bonne idée, tu la cachais ", dit-il. Sur les babillards, des fiches d'amélioration sont présentées à côté de bulletins internes relatant les bons coups : à l'atelier de menuiserie, le contremaître a reçu 50 propositions d'améliorations depuis l'an dernier, relate M. Roux. Près de l'atelier électrique, tout un mur est tapissé de slogans et de remerciements : on l'appelle le mur de la reconnaissance ".
Baisse marquée de l'absentéisme
Robert Brûlé, un employé affecté à l'aqueduc, avait des problèmes d'absentéisme avant de s'investir dans les 5S. L'an dernier, c'est lui que la direction a convié au colloque de l'Association des travaux publics d'Amérique, à Mont-Tremblant, en guise de reconnaissance. " Je me sens valorisé maintenant ", nous dit-il.
" Il faut comprendre les gains à long terme de cette démarche ", explique le consultant Denis Carpentier. Les employés sont mobilisés et fiers, parce qu'ils se sont donné un environnement de travail de classe mondiale et ont pu éliminer les irritants de leur travail. Les relations au travail et de travail sont meilleures, poursuit-il.
Ghislain Lachance se souvient que les mécaniciens et les électriciens se snobaient jusqu'à ce qu'on les réunissent au sein du même chantier 5S : " Quand ils ont présenté leurs solutions, je n'en revenais pas ! " dit-il.
Côté syndical, Michel Sauvageau est impressionné par le degré de confiance dont jouissent maintenant les employés. " Ils ont en main une carte de crédit de la ville et peuvent s'en servir lorsqu'ils sont en déplacement s'ils jugent plus pratique d'acheter un outil manquant que de retourner à l'atelier pour en récupérer un ". Lorsque des représentants d'Hydro-Québec sont venus visiter les ateliers pour voir les résultats des 5S, c'est un syndiqué qui leur a servi de guide, sans patron.
Et l'an dernier, les négociations en vue du renouvellement de la convention collective se sont tenues en mode 5S. " Au lieu de déposer des demandes, on a proposé des problèmes à régler et on les a réglés ", relate le vice-président syndical. N'eut été d'un point touchant le régime de retraite, la convention aurait été signée avant la date d'échéance, précise-t-il.
Tout le monde y gagne. Le directeur Ghislain Lachance est fier de souligner que la Ville a épargné 50 000 $ en frais d'avocat.
Trois-Rivières rafle des prix grâce aux 5S
> Prix Mérite Ovation de l'Union des Municipalités du Québec
> Prix Innovation Santé et sécurité au travail CSST, région Mauricie-Bois-Francs, pour un pousse-conteneur conçu par le soudeur Ronald Houle (octobre 2007)
> Prix Innovation Santé et sécurité au Travail CSST, région Mauricie-Bois-Francs, pour un support à benne conçu par le soudeur René Gagnon (novembre 2010) en lice pour le prix provincial
> Prix Coup de coeur du Mouvement québécois de la qualité (MQQ) décerné au Salon des meilleures pratiques d'affaires (novembre 2009)