«Au début, ce n'était qu'une joke.» Nicolas Turgeon raconte qu'il flânait en décembre 2012 dans une quincaillerie, à la recherche de matériel pour se confectionner un support à vêtements, quand il est tombé sur des tuyaux de plomberie qui ont déclenché une étincelle en lui. «Je me suis dit qu'on pourrait faire toutes sortes de meubles rien qu'avec des tuyaux.»
Il en a parlé à ses chums, peu après, lors du souper de Noël, et - à sa grande surprise - les uns et les autres ont surenchéri, si bien qu'ils se sont dit qu'il leur fallait absolument créer ensemble une entreprise basée sur cette idée. Le hic ? Tous fraîchement titulaires d'un bac en économie et politique de l'Université de Montréal, aucun d'eux n'avait d'expérience sérieuse en matière de bricolage.
Mais qu'importe, ils étaient gonflés à bloc ! Nicolas Turgeon, 27 ans, Frédéric Landry, 26 ans, et Robin de Millo Terrazzani, 25 ans, se sont lancés dans l'aventure, corps et âme. Ils ont enregistré leur entreprise, Tuyaux & Co. Ils ont dépensé plusieurs milliers de dollars pour s'équiper en outils et en matériel, pour s'acheter un camion et pour louer un petit local dans un immense immeuble du quartier Mile-End, à Montréal. Et ils se sont attelés à la tâche au printemps 2013, en commençant par confectionner une bibliothèque mariant bois et tuyaux.
Un bonheur contagieux
Dans le local voisin de celui de Tuyaux & Co., l'ébéniste Benoît Therrien, 38 ans, bricolait de temps à autre. «J'y passais quelques soirées et dimanches pour me faire des meubles», raconte-t-il. Un beau jour, il a vu débouler à côté de lui ces jeunes gars bourrés d'énergie et de joie de vivre, «tripant» jour après jour comme de jeunes chiens fous lâchés sur une pelouse verte.
«C'était clair qu'ils ne connaissaient pas grand-chose à la confection de meubles, mais ça ne les empêchait pas d'avoir des idées brillantes. Et plus que tout, ils dégageaient un bonheur contagieux», dit-il. Ne faisant ni une ni deux, Benoît Therrien a quitté son emploi chez Bombardier pour se joindre à eux. «Il ne leur manquait qu'un peu d'expertise en ébénisterie pour percer», précise-t-il.
La priorité est vite devenue de trouver des clients : le cercle d'amis, certes utile au départ, ne suffisait plus à faire tourner la petite entreprise. Les quatre collègues se sont donc mis à écumer les salons professionnels du mobilier et à se faire connaître sur les médias sociaux : les commandes ont vite suivi.
«Nous faisons du sur-mesure, car ce que nous voulons, ce n'est pas écouler des séries de meubles standards comme Ikea, mais résoudre les problèmes de maximisation de l'espace de chaque client», explique Frédéric Landry.
C'est simple, les personnes qui approchent Tuyaux & Co. ne sont pas, en général, à la recherche de belles chaises, mais d'aménagements inédits. «Par exemple, il y a une designer montréalaise qui vient maintenant souvent nous voir en nous disant qu'un de ses clients ne sait pas quoi faire d'un grand mur blanc chez lui ou qu'un autre voudrait changer la configuration d'une grande garde-robe. Notre job, c'est de faire des propositions à l'aide de croquis, puis d'assurer la confection et l'installation, une fois le go du client obtenu», dit Robin de Millo Terrazzani.
Ça leur demande donc de faire preuve d'une souplesse incroyable, en ce sens qu'il leur faut se plier à de fortes contraintes (l'espace disponible et les besoins spécifiques du client, etc), et parvenir tout de même à innover chaque fois. Une souplesse qui découle d'une particularité étonnante de Tuyaux & Co. : la petite entreprise fonctionne en cercle.
Zéro boss
En cercle ? «Il n'y a aucun boss ici. Chacun participe sur un pied d'égalité à toutes les tâches menées au sein de l'entreprise, et chacun a la liberté d'exprimer son talent particulier là où c'est le plus utile», indique Frédéric Landry.
«Toutes les idées sont les bienvenues, toutes les idées sont brassées en commun et, au final, toutes les décisions sont prises ensemble, par consensus», ajoute Nicolas Turgeon.
«La meilleure idée émerge d'elle-même de ce processus de prise de décision. Ça paraît étrange, mais c'est vrai. Grâce au cercle, on le sent en nous, presque physiquement, lorsqu'on tient enfin la bonne idée. Et nous tombons alors tous d'accord», raconte Benoît Therrien.
Une façon de procéder qui séduit, à commencer par les clients. Un exemple frappant : La tablette de Miss Choco, une boutique spécialisée en produits de cacao équitable qui vient tout juste d'ouvrir sur l'avenue du Mont-Royal. «Les fondateurs nous ont approchés parce qu'ils aimaient notre démarche du travail artisanal, différente de ce qui se fait ailleurs, et aussi parce qu'ils appréciaient nos réalisations en bois noble (cerisier, merisier et noyer) et tuyaux. Ils nous ont donné carte blanche pour aménager leur boutique», dit Nicolas Turgeon.
Résultat ? «Nous leur avons proposé plusieurs innovations toutes simples, mais qui leur ont fait briller les yeux. Comme cette idée de trou dans le comptoir à côté de la machine à espresso, muni d'un tuyau en travers, histoire de vider la poignée d'un seul coup de main», explique M. Terrazzani.
Et Nicolas Turgeon de souligner : «Nous sommes convaincus d'avoir la meilleure façon de faire des affaires. Nous tripons, et nos clients aussi, par effet d'entraînement».
Vous rêvez de trouver la meilleure idée qui soit, et surtout de la concrétiser ? Rien de mieux que de fonctionner en cercle sur un projet en particulier. C'est-à-dire de décréter qu'aucun membre de l'équipe en question n'est le boss et que chaque décision doit être prise par consensus.