Guy Kawasaki, qui fut évangéliste en chef chez Apple, est aujourd'hui capital-risqueur à Silicon Valley. Entrepreneur en série, il est aussi auteur de 10 livres et un conférencier de renom. Il a toujours Apple tatoué au coeur, mais l'appel de l'entrepreneuriat était trop fort pour qu'il y résiste. Je l'ai rencontré à New York, au World Innovation Forum, en juin.
Diane Bérard - Depuis la crise, on mise beaucoup sur l'entrepreneuriat. Malgré tout, il se crée peu d'entreprises. Est-ce par manque d'idées ou par manque d'argent ?
Guy Kawasaki - Il ne manque pas d'idées, il manque plutôt de bonnes idées. Car de l'argent, il y en a.
D. B. - Aux États-Unis, au Canada, on multiplie les incitatifs à l'entrepreneuriat. En Chine, l'encadrement et le capital de risque manquent, mais on compte de plus en plus d'entrepreneurs chinois. Que faut-il en conclure ?
G.K. - Qu'on n'a pas encore trouvé la bonne formule ! Personne ne sait vraiment comment encourager une population à se lancer en affaires. Et puis, on dira et on fera ce qu'on voudra, l'entrepreneuriat n'attirera toujours qu'un groupe restreint de la population. Ce n'est pas une carrière exigeante, c'est une vie exigeante.
D.B. - Le modèle de Silicon Valley a tout de même fait école. Or, il a vu le jour grâce à son industrie du capital de risque, non ?
G.K. - On attribue trop d'importance à l'argent dans l'histoire de Silicon Valley. L'Université Stanford, et particulièrement sa faculté d'ingénierie, a autant contribué à la réussite de ce modèle que les firmes de capital-risque.
Vous conseillez donc de miser sur les ingénieurs pour stimuler l'entrepreneuriat...
D.B. - Vous conseillez donc de miser sur les ingénieurs pour stimuler l'entrepreneuriat...
G.K. - Absolument. Les ingénieurs créent des inventions cool. Et surtout, ils créent des produits qui fonctionnent et qu'on aime. Les entreprises ont bien plus besoin d'ingénieurs que de marketeurs. Leurs produits se vendront mieux. Vous voulez créer des villes technos ? Créez des facultés d'ingénierie de haut niveau et produisez plus d'ingénieurs !
D.B. - Vous comptez parmi les pionniers du capital de risque de Silicon Valley. Comment qualifieriez-vous la relation entre les capital-risqueurs et les entrepreneurs ?
G.K. - Un capital-risqueur n'a qu'un but : transformer un dollar en vingt dollars. Il met ses ressources et son expertise au service de l'entrepreneur, tant que les choses vont bien. Si la situation tourne mal, il ne faut pas compter sur lui. La loyauté, ce n'est pas le truc des capital-risqueurs. Le pire péché que vous puissiez commettre à ses yeux consiste à rater vos cibles. Que vous soyez le fondateur ou pas, cela n'aura aucune importance à ses yeux. Vous êtes cuit. La solution : fixer vos cibles en deçà de ce que vous pouvez atteindre.
D.B. - L'entrepreneur doit-il nécessairement céder sa place après les premières années ?
G.K. - Steve Jobs est parti, puis on lui a demandé de revenir. Bill Gates, lui, est resté en poste, mais voilà plusieurs années déjà qu'il s'occupe surtout de sa Fondation. Un entrepreneur mérite sa place tant qu'il se renouvelle. Ce n'est pas facile, et ce n'est certainement pas donné à tous. Il faut savoir partir lorsqu'on commence à s'ennuyer ou qu'on a atteint son niveau d'incompétence, par exemple. Si vous ne vous en rendez pas compte, vos capital-risqueurs, eux, le remarqueront. Personne ne veut investir dans une société dont l'entrepreneur a perdu le feu sacré et qui étire ses vieilles idées.
D.B. - Comment assurer la pérennité de son entreprise ?
G.K. - La réponse est facile : vous n'avez qu'à satisfaire vos clients. Évidemment, c'est plus facile à dire qu'à faire. Le problème tient à ce qu'il faut changer votre produit ou votre service pendant que tout va bien. Avant qu'on s'en lasse. Or, ce n'est pas un comportement naturel pour un entrepreneur. On se projette très peu dans «l'après-réussite».
D.B. - Le Web est à la fois incontournable et surpeuplé. Comment s'y faire remarquer ?
G.K. - C'est simple : posez-vous en expert de votre secteur. Je ne parle pas de marketing, mais bien d'expertise. Un expert connaît les bonnes sources d'information et il les relaie. Il partage avec sa communauté ce qu'il estime intéressant. Si bien qu'on peut lui faire confiance. On accorde de la valeur à son opinion. Cela s'applique aux entreprises aussi bien qu'aux personnes. Une entreprise peut devenir experte en son domaine à condition de ne pas parler que d'elle sur son site. Elle nous tiendra plutôt au courant des derniers développements dans son secteur.
Vous répétez qu'en affaires, il faut «laisser 1 000 fleurs éclore». Que voulez-vous dire ?
D.B. - Vous répétez qu'en affaires, il faut «laisser 1 000 fleurs éclore». Que voulez-vous dire ?
G.K. - Lorsque vous lancez un produit ou un service, il ne vous appartient plus. Le marché décide s'il l'adopte et ce qu'il en fait. Avon a conçu la lotion Skin So Soft pour adoucir la peau. Des mères ont découvert que ce produit éloignait les moustiques. Elles en ont donc enduit leurs enfants avant de les envoyer jouer dehors. On s'est passé le mot. Skin So Soft est aujourd'hui un chasse-moustiques très populaire... même si Avon ne l'a jamais conçu pour cet usage. Et que dire des tampons de laine d'acier et savon Brillo. Un vendeur itinérant de casseroles les a développés avec l'aide de son beau-frère bijoutier. Ledit vendeur les offrait en prime aux ménagères pour les convaincre d'acheter ses casseroles. L'aluminium venait tout juste de remplacer la fonte, et les femmes ignoraient comment l'entretenir. Le tampon Brillo a fait fureur. À tel point que le vendeur a délaissé ses casseroles pour se concentrer sur son produit-vedette ! Laissons 1 000 fleurs éclore.
D.B. - Les accélérateurs d'entreprises sont à la mode. Peut-on forcer les bonnes idées ?
G.K. - Ces accélérateurs ont leur utilité. Ils permettent aux entrepreneurs de raffiner leur idée d'entreprise. Mais on n'y trouve qu'une fraction des innovations. Les autres se développent quand même. Elles le font autrement.
D.B. - Vous avez entendu et donné beaucoup de présentations. De votre expérience, vous avez tiré la règle du 10-20-30. De quoi s'agit-il exactement ?
G.K. - Une bonne présentation doit apporter de la valeur à celui qui l'écoute. Cela suppose que vous donniez de l'information pour ensuite la décortiquer et la relier à ce que votre auditoire connaît déjà. Finalement, vous aidez votre auditoire en lui proposant des avenues supplémentaires pour fouiller le sujet. Tout cela dans un format : 10-20-30. Votre présentation PowerPoint ne doit pas compter plus de 10 images. Elle ne doit pas dépasser 20 minutes... sauf dans mon cas, évidemment ! Et vous devez toujours utiliser des caractères de 30 points. La population vieillit, votre auditoire également...
«On attribue trop de mérite à l'argent dans l'histoire de Silicon Valley. L'Université Stanford, et particulièrement sa faculté d'ingénierie, a autant contribué à la réussite de ce modèle que les firmes de capital de risque.»
LE CONTEXTE
Entre le mouvement Startup America, l'École d'Entrepreneurship de Beauce et les centaines d'accélérateurs d'entreprises partout dans le monde, tous les pays cherchent la formule magique qui suscitera des vocations d'entrepreneurs. Entre autres, pour accélérer la création d'emplois que l'on croit proportionnellement plus élevée chez les PME. Et si la solution se trouvait dans les écoles d'ingénierie plutôt que dans les écoles d'entrepreneurs ?