Dans un monde en perpétuel changement, la priorité des entreprises est à l’innovation. Mais cela n’est pas le fort des baby-boomers, qui vont bientôt devoir céder leur poste de direction aux membres de la génération X, plus créatifs et audacieux.
Auteure: Tamara J. Erickson, Harvard Business Review
La génération X va bientôt prendre le pouvoir. Les postes de cadres supérieurs seront occupés par ceux qui sont nés entre 1961 et 1981. Résultat: fini le statu quo instauré depuis des décennies par les baby-boomers et, avec lui, certaines notions obsolètes comme la hiérarchie et les primes individuelles.
Bien que toute généralisation soit hasardeuse, on peut affirmer qu’il existe d’énormes différences entre les générations baby-boomers et X. Les baby-boomers sont nés dans un monde trop étroit pour eux. Ils ont, par exemple, fait leur secondaire dans des bâtiments préfabriqués construits à la hâte derrière des écoles qui n’étaient plus assez vastes pour les accueillir. Ils ont grandi à une époque où la compétition était omniprésente — que ce soit pour faire partie d’une équipe sportive, pour être admis au collège ou à l’université, ou pour décrocher un travail ou une promotion. Pour eux, gagner était quelque chose de vraiment important.
Quant aux années de formation des membres de la génération X — 1980 et début 1990 —, elles ont été marquées largement par l’incertitude économique et les bouleversements sociaux. Leur adolescence a été marquée par d’importantes restructurations pour les entreprises, lesquelles ont mené à une rupture sans précédent des contrats psychologiques entre employeurs et employés. D’où une certaine méfiance des personnes issues de la génération X à l’égard des promesses faites par les entreprises.
La vision dépassée des baby-boomers
Les leaders de la prochaine génération ont une façon de concevoir le travail qui échappe souvent aux gestionnaires en poste. Et ils éprouvent un certain ressentiment envers les baby-boomers, qui sont omniprésents et qui semblent persuadés, non sans une certaine insouciance, que leurs façons de voir et de faire sont immuables. Pire, les membres de la génération X ont l’impression d’être les laissés-pour-compte du monde des affaires, des chevaux de trait dont on méconnaît le labeur, pris entre deux générations beaucoup plus nombreuses: d’une part les baby-boomers, qui risquent de travailler plus longtemps que leurs prédécesseurs; et d’autre part la génération Y, qui semble partager beaucoup d’affinités avec les baby-boomers.###
Bien sûr, l’insatisfaction sur le marché du travail n’est le propre d’aucun groupe particulier, et ce n’est pas d’hier que des employés éprouvent des frustrations. Nombre de baby-boomers affirment, entre autres, être fatigués d’entendre la génération X se plaindre des employés issus de la génération Y — lesquels auraient des attentes démesurées parce qu’ils sont persuadés que le monde leur doit quelque chose. Quant aux travailleurs plus âgés, ils ont de tout temps déploré certaines attitudes des employés plus jeunes, qu’ils considéraient comme des «incompétents, jamais responsables de rien».
Soit. Mais à l’aube de la quarantaine, devant ce que semble leur réserver l’avenir au travail, les membres de la génération X sont de plus en plus frustrés. Par conséquent, les grandes entreprises risquent de les perdre en chemin: plusieurs ne cachent pas qu’ils se préparent à quitter leur emploi — pour lancer leur propre entreprise ou pour aller travailler dans un organisme à but non lucratif, par exemple. Même si les conditions économiques sont difficiles, cela ne les empêche pas de chercher davantage qu’un simple boulot.
Les atouts de la génération X
Mais voilà, tient-on compte de ces nouvelles réalités? Et souhaite-t-on vraiment que ces mécontents, issus de la génération X, prennent la barre des organisations de demain? La réponse à ces questions devrait être affirmative. Pourquoi? Précisément parce que ces futurs patrons rejettent les principes traditionnels du leadership.
Aujourd’hui, les entreprises doivent relever de nouveaux défis. Les aptitudes d’hier en matière de leadership (établir des lignes directrices, contrôler les résultats, répondre aux questions de son équipe, etc.) ne sont plus pertinentes dans un monde en perpétuel changement. Pour être un bon leader, alors que l’incertitude et l’imprévisible règnent en maître, il faut savoir créer un environnement propice à l’innovation et à la participation du plus grand nombre. Or, les leaders de la génération X sont capables de relever ce défi, comme en témoignent ces cinq atouts clés dont ils disposent:
1. L’esprit de collaboration: L’information joue un rôle névralgique dans la réussite des entreprises. D’où la nécessité d’obtenir les bonnes informations rapidement, si possible avant tout le monde. Pour cela, disposer d’un vaste réseau de contacts constitue un atout primordial. Comme les membres de la génération X attachent beaucoup d’importance aux relations avec les autres, contrairement aux baby-boomers qui ne jurent que par la compétition, ils sont plus à même de nouer des liens avec des personnes qui, un jour ou l’autre, leur permettront d’innover ou de se sortir d’une impasse.
Comment expliquer ce phénomène? Sans doute par l’arrivée massive des mères des enfants de la génération X sur le marché du travail, qui a fait en sorte que, très tôt, ceux-ci ont dû apprendre à se débrouiller seuls et à faire appel aux amis pour avoir de la compagnie ou obtenir de l’aide. Ces enfants «clé autour du cou» ont maintenu de solides liens avec leurs amis d’enfance ou d’études, tout en veillant à sans cesse élargir leur réseau de contacts. Ils ont aussi grandi avec les technologies numériques, qui favorisent la coopération, transforment les méthodes de travail, voire changent les modes de vie. Il s’agit d’un atout qu’ils partagent avec les membres de la génération Y, ce qui devrait permettre de rapprocher les deux groupes au fur et à mesure de leur évolution respective au sein des entreprises.
2. La remise en question stimulante: Pour les dirigeants actuels, la nécessité de présenter les défis d’une manière captivante — afin de mobiliser toutes les forces de leur organisation vers les objectifs à atteindre — constitue l’une des plus importantes ruptures avec la conception traditionnelle du leadership. Car plutôt que d’axer leur leadership sur la prise de décision individuelle comme le faisaient les baby-boomers, les membres de la génération X prônent l’effort collectif pour résoudre un problème. Aujourd’hui, poser des questions originales et audacieuses est l’une des clés du succès en affaires.
Jusqu’à présent, les critères pour sélectionner les gestionnaires étaient l’expérience, la connaissance des affaires, la vision de l’avenir, l’esprit de décision et l’autorité. Ce sont toujours des atouts valables, mais moins que de savoir poser des questions judicieuses, de pressentir les nouvelles tendances ou de stimuler ses troupes. S’étant sentis écartés des institutions et de l’univers des adultes à l’adolescence, plusieurs membres de la génération X sont portés à voir plus loin. Leur scepticisme et leur capacité à aller au-delà des apparences, qui s’expriment par un humour corrosif, sont devenus très utiles maintenant que les entreprises doivent redéfinir et remettre en cause les «valeurs fondamentales» qui ont favorisé leur croissance.
Vu leur manque de confiance dans la hiérarchie, les membres de la génération X préfèrent établir des relations égalitaires avec les employés plutôt que des rapports axés sur le pouvoir. Ils ont moins tendance que les baby-boomers à avoir recours à l’autorité pour appuyer leurs dires — ce qui est essentiel pour poser des questions étonnantes et stimuler l’innovation.
3. Le bon usage de la complexité: Ignorer ou simplifier à l’extrême les défis qui se présentent est improductif. Les leaders doivent faire face aux questions complexes, puis les analyser en remettant en cause les points de vue établis. Autrement dit, ils doivent rejeter les réponses toutes faites, et donc être convaincus qu’aucune analyse n’est a priori meilleure qu’une autre. Ils savent que face à un problème multidimensionnel, il n’existe pas de solution simple ni absolue.
Les membres de la génération X ont grandi dans un monde secoué par des bouleversements — hausse des divorces, vague de licenciements, effondrement de l’URSS, etc. La plupart d’entre eux ont adopté une attitude prudente face à l’avenir, perçu comme un flot incessant de changements. Ignorer ou minimiser les risques ne fait pas partie de leur conception de la vie.
En conséquence, leur instinct de survie surdéveloppé les amène à se poser systématiquement la question «Et si…?», laquelle entraîne un nombre considérable de solutions de rechange et positions de repli.
4. La quête de l’authenticité: Plus que jamais, les gens cherchent à savoir ce qui les relie. «Qu’y a-t-il d’unique à faire ce travail, au sein de cette entreprise?», se demande-t-on. Si bien que tenir compte de ces désirs humains fondamentaux, comme le sentiment d’appartenance à un groupe et l’adéquation entre travail et valeurs personnelles, constitue une habileté essentielle pour les leaders d’aujourd’hui, désireux de stimuler et de mobiliser les énergies au sein de l’entreprise. Car aux capacités traditionnellement associées au leadership (motiver, attirer et retenir) s’ajoute le respect de ses propres valeurs et des caractéristiques de l’organisation. Pour y parvenir, l’authenticité est essentielle, en plus d’une vision systémique des activités de l’organisation.
Qui plus est, les membres de la génération X font preuve d’une grande sensibilité à l’égard des valeurs. Elle se traduit notamment par la volonté de concilier travail et famille. Certains d’entre eux ont vu leurs parents faire de douloureux compromis au détriment de la famille, et ils s’efforcent de proposer de nouveaux modèles, afin d’éviter de tomber à nouveau dans le piège.
5. La valorisation de la diversité: Les leaders de demain devront reconnaître le bien-fondé de chaque point de vue, sans a priori. C’est une façon de penser difficile à adopter pour ceux qui, comme les baby-boomers, ont grandi dans un monde où tout était perçu dans l’optique «gagnant/perdant»; mais plus facile pour les membres de la génération X. Pourquoi? Parce qu’ils ont assisté durant leur jeunesse à des remises en cause draconiennes de l’autorité: les femmes ont acquis de plus en plus d’autonomie, les gais et lesbiennes ont obtenu des droits qui leur étaient longtemps contestés, etc. Sans compter qu’ils ont connu le multiculturalisme et qu’ils ont, inconsciemment ou non, apprivoisé et accepté plus facilement la diversité que leurs prédécesseurs.
La revanche des X
Près de 90% des 200 entreprises les plus importantes du monde sont dirigées par des baby-boomers, voire des personnes encore plus âgées. Seulement 23 d’entre elles ont à leur tête des membres de la génération X. Il ne fait donc aucun doute que l’on assistera à des changements majeurs d’ici les prochaines années.
L’énergie, l’idéalisme, l’optimisme, la croissance, la productivité, mais aussi parfois la cupidité et l’arrogance, sont le legs des générations précédentes. Les leaders de cette époque en voie d’être révolue ont bâti d’importantes organisations, le plus généralement à partir de modèles en accord avec l’air du temps, c’est-à-dire basés sur une structure pyramidale, hautement hiérarchisée.
Pour eux, toute décision et toute action entraînent invariablement un gagnant et un perdant. Qu’en est-il des leaders de demain? Ils devront faire face à un environnement complexe, en constante mutation, et résoudre des problèmes difficiles sur plusieurs fronts. Désormais, il n’y aura plus de patrons ayant réponse à tout ni de solution unique. Personne ne pourra, seul, trouver la bonne solution. Les leaders de la génération X ont justement les talents nécessaires pour relever ce type de défis. Ils sont les mieux outillés pour remplacer l’idéalisme par le réalisme. Ils sont sans conteste les leaders dont nous avons besoin pour diriger les entreprises de l’avenir.