Si vous apprenez quelque chose à votre évaluation annuelle de rendement, c'est que votre supérieur n'a pas fait son travail depuis 12 mois !
C'est l'argument défendu par de plus en plus de spécialistes de la gestion des ressources humaines, qui remettent en question la bonne vieille grand-messe annuelle de l'évaluation du personnel. Selon eux, il est inconcevable de dire à un subalterne qu'il est sur la mauvaise voie depuis des mois et de ne pas lui avoir fourni l'occasion de redresser le tir.
" C'est complètement dépassé comme méthode, affirme Denis Chênevert, professeur agrégé au Service de l'enseignement des ressources humaines de HEC Montréal. Les entreprises les plus efficaces sont passées à la gestion continue du rendement. Les gestionnaires doivent faire des mises au point régulièrement avec leurs employés. "
Sandra Provencher, conseillère en ressources humaines agréée à Trois-Rivières, pense elle aussi qu'il n'est pas nécessaire que l'évaluation du rendement se fasse toujours à la même période chaque année. " Les Ubisoft et autres entreprises innovatrices de ce monde n'utilisent probablement plus la traditionnelle formule de l'évaluation annuelle de la performance, explique Mme Provencher. De toute façon, les entreprises de création donnent beaucoup de rétroaction à leur personnel. Mais je ne sais pas si on peut en demander autant à une entreprise manufacturière. " Cela dit, d'une manière ou d'une autre, il faut qu'un employé sache régulièrement s'il va dans la bonne direction ou non, et pas seulement une fois par année, ajoute-t-elle.
" L'évaluation annuelle n'est plus adaptée à la réalité d'aujourd'hui, croit aussi Janie Duval, conseillère en ressources humaines agréée à Notre-Dame-du-Lac, dans le Bas-Saint-Laurent. Jadis, les gens restaient 20 ans avec le même employeur alors que maintenant, c'est plutôt cinq ans. Les cycles sont plus courts et une seule évaluation annuelle n'est plus appropriée. "
Ni la formation, ni les outils
Un autre point sur lequel nos experts s'entendent est qu'une bonne partie des cadres intermédiaires qui soumettent leurs subalternes à une évaluation n'ont ni la formation ni les outils pour accomplir cette tâche.
" Beaucoup de dirigeants de PME sont des émotifs, et leur émotivité teinte leurs évaluations, estime Mme Duval. L'évaluation du personnel est un exercice pénible pour eux, parce qu'ils n'en comprennent pas le but. Ils pensent que c'est un moyen de récompenser les '' bons et de punir les '' moins bons , alors que l'objectif est d'encourager tout le monde à devenir meilleur. En conséquence, cet exercice crée souvent plus de frustrations que de motivation. "
Ainsi, Mme Duval croit que la plupart des gestionnaires sont mal à l'aise de mentionner à leurs employés ce qui ne va pas, alors que ceux-ci, au contraire, trouvent valorisant de connaître leurs faiblesses afin de s'améliorer.
" À condition que le gestionnaire sache s'y prendre, précise Mme Duval. L'approche '' forte performance égale augmentation de salaire crée une situation conflictuelle qui risque de devenir délicate. "
Gérer la performance des employés exige des outils et une formation que la plupart des cadres n'ont pas, confirme M. Chênevert, coauteur, avec Anne Bourhis, d'À vos marques, prêts, gérez ! La GRH pour gestionnaires. " Ce n'est pas pour rien que les syndicats n'aiment pas ce système; l'exercice comporte une part importante de subjectivité. "
" Chose certaine, dans les entreprises où il n'y a pas de service de ressources humaines, les cadres qui évaluent les employés n'ont ni le soutien ni les compétences pour le faire ", note Mme Provencher.
Des hausses plus faibles pour les plus anciens
Par ailleurs, M. Chênevert soutient qu'il est normal que les employés qui ont plus d'ancienneté obtiennent des augmentations de salaire plus faibles que les moins expérimentés. Les premiers sont plus près du sommet de l'échelle salariale; une fois au sommet, il n'y a plus de possibilité d'augmentation de salaire, ce qui est démotivant. Ainsi les employeurs restreignent ces augmentations pour éviter que leurs employés les plus expérimentés n'atteignent ce sommet.
" Cela peut vouloir dire que pour une performance satisfaisante, un employé plus jeune pourra recevoir une augmentation de salaire de 3 ou 4 %, alors que pour la même efficacité, son collègue plus expérimenté ne touchera que 1 %, voire aucune hausse, explique M. Chênevert. C'est pourquoi un système de rémunération au mérite perd de son attrait auprès des employés plus expérimentés. "
D'autre part, la rémunération en fonction des compétences est basée sur l'acquisition et la maîtrise individuelle de compétences. Vous suivez une formation et votre salaire de base augmente, que votre rendement s'améliore ou non. " On utilise ce système à propos de tout et de rien, de nos jours ", déplore l'universitaire.
Or, selon lui, la rémunération par compétences ne cadre pas avec la nouvelle loi de l'équité salariale. " La rémunération par compétences est basée sur l'individu, alors que la loi sur l'équité évalue des postes, et non des personnes. Rien n'empêche d'ajouter un système de primes, mais si le salaire est basé sur les compétences, il y a un problème ! "