À 32 ans, Adam Grant est le plus jeune professeur de la Wharton School, la plus prestigieuse école de finance américaine. C'est aussi le plus apprécié. Il a été nommé l'un de 40 meilleurs professeurs de gestion du monde parmi les 40 ans ou moins. Le Triomphe des généreux a été traduit dans 24 langues.
Diane Bérard - Votre livre affirme que, plus nous nous montrons généreux au travail, mieux nous réussissons. Comment êtes-vous parvenu à une conclusion aussi étonnante ?
Adam Grant - J'ai étudié le succès sous un autre angle. On a toujours cru que celui-ci tenait à notre personnalité. Que certains possédaient la personnalité requise pour réussir, d'autres pas. Et si le succès tenait plutôt aux interactions que l'on crée ? À force d'entrevues et de lectures, j'ai découvert que, même au travail, l'altruisme mène au succès.
D.B. - Que gagne-t-on à être altruiste au travail ?
A.G. - Prenons deux exemples : la résolution de problème et la rétroaction. Aider les autres à résoudre leurs problèmes nous rend meilleurs à résoudre les nôtres. Quant à la rétroaction, elle représente une source d'apprentissage. Sans compter que, chaque fois que vous partagez votre expertise, cela vous positionne comme un expert. En aidant vos collègues, vous devenez un contributeur recherché.
D.B. - Vous avez établi trois types de profils : les donneurs, les preneurs et les échangeurs. Décrivez-les-nous.
A.G. - Les donneurs n'ont qu'une motivation : avoir un impact positif sur la vie des autres. Les preneurs, eux, veulent gagner. Quant aux échangeurs, ils se soucient d'équité. Lors d'une fusion, le donneur dira : «Laisse-moi trouver comment améliorer ton sort et je te montrerai comment tu peux améliorer le mien». Le preneur se demandera : «Comment puis-je m'en tirer avec la plus grosse part ?» Et l'échangeur pensera : «Voyons ce que chacun de nous désire et cherchons un compromis acceptable pour les deux».
D.B. - Il y généreux et... bonasse.
A.G. - En effet, tous les donneurs ne connaissent pas le succès. Le donneur allocentrique consacre temps et énergie aux autres, au mépris de ses propres besoins. Il en paie le prix. Le donneur altruiste garde toujours un oeil sur ses propres intérêts. Ceux-ci orientent sa générosité et déterminent quand et comment, où et à qui il donne. Cela lui permet d'être à la fois prospère et généreux.
D.B. - Les donneurs sont-ils nécessairement de bons gars et de bonnes filles ?
A.G. - Non. Le bon gars, ou la bonne fille, est généralement gentil. De plus, il est souvent guidé par des valeurs morales. Le donneur, lui, n'est pas nécessairement gentil. Certains se révèlent carrément désagréables. Ils jouent l'avocat du diable et excellent dans la rétroaction critique. Mais ils le font pour aider. Et ils aident vraiment.
D.B. - Comment un donneur peut-il se protéger ?
A.G. - Le donneur veut aider, il peut avoir tendance à verser dans les sentiments. Mais, lorsqu'il négocie, il doit apprendre à se concentrer sur la raison et l'intellect de son interlocuteur plutôt que sur l'émotion, sinon il risque de trop lui céder.
D.B. - Les donneurs sont-ils productifs ? À force d'aider les autres, leur reste-t-il du temps pour accomplir leurs tâches ?
A.G. - À court terme, ils produisent moins. Mais, à moyen terme, ils prennent les devants. Les vendeurs-donneurs, par exemple, performent rarement bien au premier trimestre de l'année. En disant «je ne crois pas que ce produit comble vos besoins», ils perdent des ventes. Par contre, au dernier trimestre, ils cumulent plus de clients fidèles que leurs collègues. Prenons maintenant le cas des étudiants en médecine de type donneur. En première année, leurs notes sont plus faibles que celles de leurs collègues. Ils consacrent trop de temps à aider. Par contre, dès qu'ils amorcent leurs stages, leurs notes grimpent. Lorsqu'il faut collaborer et faire preuve d'empathie envers les patients, les donneurs ont l'avantage.
D.B. - Le donneur commet-il plus d'erreurs que le preneur ? En gaspillant son aide, par exemple ?
A.G. - Au contraire, le donneur possède un avantage sur le preneur, il réagit mieux à la critique. Le preneur maintient une mauvaise décision pour sauver la face. Le donneur, lui, regarde la réalité en face et reconnaît qu'il a fait un mauvais choix. Lorsqu'il se sent critiqué, le preneur est peu enclin à accepter les conseils pour s'améliorer. Il ne progresse donc pas. Le donneur, lui, accepte les conseils et les suit. Il s'améliore.
D.B. - Faut-il fuir les preneurs ?
A.G. - Pas nécessairement. Si vous vous trouvez dans une situation qui appelle un seul gagnant et un perdant, fuyez les preneurs. Mais, si vous partagez un but commun, vous pouvez faire alliance avec un preneur. Il demeurera loyal tant que vos buts coïncideront. Et, pour vous protéger, ajoutez un échangeur à l'alliance. Vous pouvez être certain qu'il veillera à ce que celle-ci demeure équitable.
D.B. - Un preneur peut-il se déguiser en donneur ?
A.G. - Bien sûr ! Les preneurs font de bons imposteurs. Je vais vous donner un truc pour les démasquer : ce sont des donneurs avec leurs supérieurs et des preneurs avec les égaux et leurs employés. Leur masque tombe dès qu'ils se trouvent en position de pouvoir.
D.B. - De quelle façon le rapport annuel dévoile-t-il si le pdg est un preneur ou un donneur ?
A.G. - Regardez la taille de la photo du pdg sur la page où son billet est affiché. Certaines sont énormes. D'autres, en revanche, semblent tout droit sorties d'un photomaton. Facile de déceler qui est le preneur... Un autre indice : les pronoms que le pdg emploie dans ses discours. Le preneur utilise le «je-me-moi», alors que le donneur emploie le «nous-notre-nos».
D.B. - Un preneur peut-il devenir un donneur ?
A .G. - Ce n'est pas facile. Mais si l'on désire vraiment changer, parce que notre comportement nous nuit par exemple, il faut observer les moments où il nous arrive de nous comporter en donneur. Qu'est-ce qui nous incite à être généreux ? Quel type de personne ou de situation nous invite à l'altruisme ? On peut tenter de les reproduire pour s'exercer.
D.B. - Parlez-nous de la force des liens faibles...
A.G. - Les liens faibles sont ceux que l'on établit avec des connaissances, soit avec des gens que l'on connaît superficiellement. On pense, à tort, que l'aide nous vient d'abord de nos proches. Ce n'est pas toujours le cas. Selon une étude menée auprès de professionnels par Mark Granovetter, de l'université Stanford, 17 % d'entre eux ont déniché leur emploi grâce à leurs proches, alors que 28 % en ont entendu parler par de simples connaissances. Normal, nos proches évoluent souvent dans les mêmes eaux que nous. Pour découvrir autre chose, il faut piger dans un autre bassin. Mais, entrer en contact avec une connaissance à qui l'on n'a pas parlé depuis quelques années peut être embarrassant. Sauf si l'on est un donneur. Les donneurs sont champions des liens faibles. Ils entretiennent un énorme réseau.
D.B. - Comment surmonter la peur de se faire avoir en étant trop généreux au travail ?
A.G - Il faut d'abord reconnaître que le monde n'est pas fait que de preneurs. Cherchez les donneurs et les échangeurs. Et apprenez à aider intelligemment.
D.B. - Êtes-vous un bon gars ?
A.G. - Vous devriez poser la question à mes collègues et mes proches ! Disons que je partage les valeurs des donneurs. Mon but est d'aider les autres chaque fois que cela m'est possible.