Décrocheur à 16 ans, entrepreneur à 17 ans et millionnaire à 18 ans, Gurbaksh Chahal est l'archétype du rêve américain.
À 28 ans, il en est à sa troisième entreprise de vente d'espaces publicitaires sur Internet. La deuxième, BlueLithium, a été achetée par Yahoo en 2007 pour 300 millions de dollars américains. Ce fils d'immigrants indiens, débarqués sans le sou en Californie avec leurs quatre enfants, a raconté son odyssée dans un livre à succès, The Dream, et ouvert son coeur aux millions de téléspectateurs d'Oprah Winfrey. Élevé dans la Silicon Valley, l'adolescent dévorait les émissions d'affaires de CNBC. Nous l'avons joint à ses bureaux de San Francisco.
Diane Bérard - À 16 ans, vous abandonnez l'école. À 17 ans, vous lancez Click Agent. Comment peut-on inspirer confiance à des clients à 17 ans ?
Gurbaksh Chahal - On ne peut pas. C'est pour cette raison qu'au cours des six premiers mois, j'ai fait affaire avec mes clients uniquement par téléphone et par Internet. Ensuite, j'ai recruté des employés expérimentés qui m'ont servi d'interface avec les clients. Je suis demeuré dans l'ombre, personne n'a jamais su mon âge.
D.B. - À quoi ressemble un pdg de 17 ans ?
G.C. - C'est un mélange de naïveté et d'audace ; vous ne savez pas grand-chose et vous n'avez rien à perdre, alors vous osez n'importe quoi. Dans mon cas, cela a fonctionné.
D.B. - Vous avez lancé BlueLithium à 21 ans et gWallet à 28 ans. Qu'avez-vous appris d'une entreprise à l'autre ?
G.C. - Chaque lancement m'a permis de corriger les erreurs de gestion de l'entreprise précédente. Entre Click Agent et BlueLithium, j'ai appris à recruter. Click Agent était mon oeuvre ; sans moi, tout s'écroulait. Depuis, je reconnais l'importance de m'entourer de stars qui peuvent mener mon entreprise plus loin. Entre BlueLithium et gWallet, j'ai appris à former un conseil. Celui de BlueLithium était déséquilibré, il comptait des gens d'expérience, mais aussi des administrateurs qui ne comprenaient rien à mon secteur. Ils m'ont presque fait rater la vente de l'entreprise ; leur manque d'expérience a créé de la confusion au conseil. J'ai appris ma leçon ; cela ne se produira pas avec gWallet.
D.B. - Avant de lancer gWallet, vous avez fait un détour sous les projecteurs. On vous a vu en entrevue avec Oprah, dans un épisode de Secret Millionaire, ainsi que dans America's Most Eligible Bachelor. Cherchiez-vous à changer de carrière ?
G.C. - Non. J'avais 25 ans, et je voulais m'occuper en attendant la fin de la clause de non-concurrence de trois ans imposée par Yahoo. L'agence William Morris m'a proposé des projets de télé, j'ai accepté.
On s'est intéressé à moi parce que mon histoire n'est pas conventionnelle. Mais, en fait, elle l'est. C'est l'histoire classique de celui qu'on donne pour perdant (underdog), qui n'a pas grand-chose pour lui, ni éducation ni argent ni réseau. À 16 ans, je ressemblais à de nombreux jeunes dont l'avenir semble perdu d'avance. Des jeunes qui n'ont qu'une porte de sortie pour réussir : se montrer plus créatifs que les autres. Cela dit, je me suis vite ennuyé à la télé. Ma passion, ce sont les affaires.
D.B. - Tous les entrepreneurs cherchent l'innovation qui transformera leur secteur. Vous croyez plutôt qu'il faut se lancer en misant sur ce qui existe déjà et innover ensuite. Expliquez-nous ce point de vue.
G.C. - Avant Google, il y a eu Alta Vista. Et avant Facebook, MySpace. Google et Facebook n'ont rien inventé, ils ont simplement occupé le marché en bonifiant ce qui existait. Aucune idée ne vous rendra millionnaire ; c'est l'exécution qui fait la différence. Commencez par occuper une part de marché : vous aurez alors les moyens de vos ambitions et pourrez innover.
D.B. - Doit-on comprendre que vous n'aimez pas le risque ?
G.C. - Ma relation au risque est complexe. En affaires, je prends tous les risques. Mais dans ma vie privée, c'est autre chose. Je ne sais pas nager, j'ai le vertige et je laisse très peu de gens pénétrer dans mon cercle d'amis intimes.
D.B. - Plus vous prenez de l'expérience, moins vous faites confiance aux autres. Pourquoi ?
G.C. - Le succès a changé les règles du jeu, au travail comme dans ma vie privée. À 17 ans, j'étais un inconnu. Mes employés se sont battus à mes côtés pour que nous développions l'entreprise ensemble. Ils étaient aussi affamés que moi. Aujourd'hui, je reçois des milliers de CV pour gWallet, et tout le monde veut être mon ami. Des gens qui désirent se joindre à l'entreprise, parce qu'ils sont convaincus qu'ils gagneront beaucoup d'argent facilement. Je ne veux pas de ce type de personne. D'ailleurs, BlueLithium comptait 175 employés ; je n'en ai rappelé que 6 pour leur proposer de se joindre à gWallet. Les autres sont rassasiés par le succès qu'ils ont connu chez BlueLithium et ont perdu leur esprit combatif.
D.B. - Vous affirmez que la passion crée les entreprises et que l'émotion les détruit. Comment peut-on être passionné sans être émotif ?
G.C. - La passion vous permet de mener votre projet jusqu'au bout. L'émotion vous pousse à défendre une idée coûte que coûte. gWallet est devenue une réalité, mais l'entreprise n'a rien à voir avec le projet initial. Je suis entêté, mais pas émotif. Je suis ouvert à toutes les idées qui améliorent la mienne. Les entrepreneurs sont si émotifs qu'ils refusent de lancer un produit s'il n'est pas parfait. De mois en mois, ils peaufinent, et perdent ainsi leur temps et leur argent. Je préfère lancer un produit à moitié fini, occuper le marché et l'adapter par la suite.
D.B. - Vous ne jurez que par les collaborateurs-vedettes. Les prima donna ne sont-elles pas difficiles à gérer ?
G.C. - Plus mes employés sont compétents, moins j'ai besoin de faire leur travail et plus je peux me concentrer sur le mien. Pour ce qui est de gérer des vedettes, c'est très facile : je ne crois pas en la démocratie en entreprise, seule la dictature fonctionne. Vous écoutez les idées des autres, puis vous décidez. Évidemment, cela demande du courage et des règles claires dès le départ.
Le pourquoi
À 28 ans, Gurbaksh Chahal a vécu plus d'expériences que la plupart des entrepreneurs au cours d'une vie. Il a démarré trois entreprises, négocié la vente de deux d'entre elles, travaillé pour Yahoo et navigué dans l'univers du capital de risque de Silicon Valley.
Le chiffre
5 000 $ US
C'est le montant que Gurbaksh Chahal a investi dans Click Agent, sa première entreprise vendue à un concurrent, un an et demi plus tard, pour 40 millions de dollars américains.