Henry Mintzberg a publié The Nature of Managerial Work en 1973. Une grande réussite qui a propulsé ce professeur montréalais au rang de gourou international du management. Près de 40 ans plus tard, Mintzberg récidive avec un nouvel ouvrage intitulé Gérer, tout simplement (Éditions Transcontinental), dans lequel il revoit et décortique la vraie nature du travail de gestion.
Son ouvrage s'appuie sur l'étude d'une trentaine de gestionnaires issus de divers milieux : finances, santé, secteur social. D'abord publié en anglais, le livre a été encensé par le milieu. " Mintzberg est probablement le plus grand penseur du monde sur le management ", a dit Tom Peters - un autre gourou, américain celui-là. Les Affaires vous offre en primeur quelques extraits de ce livre qui vient de paraître en français.
À la défense des gestionnaires intermédiaires (p. 201)
[...] un certain nombre de gestionnaires, particulièrement les cadres intermédiaires de grandes organisations (dont Abbas Gullet, le gestionnaire de Stephen, et Doug Ward, de la CBC), semblaient plutôt habiles non seulement à acquérir un bon sens des opérations, mais également à se connecter aux échelons supérieurs de la gestion. Selon moi, ces gestionnaires sont d'une importance cruciale : chaque grande organisation a besoin de cadres intermédiaires qui bâtissent des ponts entre l'échelon dit supérieur et la base. Évidemment, il est préférable que les cadres supérieurs soient en contact avec les différents échelons de la hiérarchie, comme je l'ai observé chez John Cleghorn [pdg de la Banque Royale du Canada] alors qu'il se rendait dans les diverses succursales de la banque [...] Grâce à lui, la Banque Royale du Canada avait pour objectif que les cadres supérieurs passent 25 % de leur temps sur le terrain. Hélas, sauf dans le cas des organisations entrepreneuriales où le chef tend à s'engager à tous les niveaux, ce genre de situation ne se produit pas souvent. La strate unificatrice de gestionnaires intermédiaires est peut-être la clé pour éviter les ruptures entre les actions concrètes sur le terrain et les enjeux conceptuels aux niveaux supérieurs, problème qui semble sévir au sein des organisations. [...]
Surdirigés et sous-gérés (p. 24)
J'ai observé John Cleghorn, pdg de la Banque Royale du Canada, réputé au sein de son entreprise comme un type qui, en route pour l'aéroport, appelle au bureau pour signaler qu'un guichet automatique est en panne. Cette banque compte des milliers de guichets. John fait-il de la microgestion ? Veut-il donner l'exemple pour que d'autres gardent l'oeil ouvert ? En fait, nous devrions nous inquiéter davantage des personnes qui pratiquent le " macroleadership ". Ces individus, qui occupent des postes de direction, essaient de gérer à distance. Ils sont déconnectés de tout, sauf de la " vue d'ensemble ". De nos jours, les gens croient qu'ils sont " surgérés " et sous-dirigés. Je pense au contraire que nous sommes " surdirigés " et " sous-gérés ".
Konosuke Matsushita, le fondateur de la société éponyme, affirmait : "Mon travail, ce sont les grandes et les petites choses. Les tâches intermédiaires peuvent être déléguées. " En d'autres mots, le leader ne peut confier à d'autres les activités relevant de la gestion. Au lieu d'établir une distinction entre gestionnaires et leaders, nous devrions considérer les gestionnaires comme des leaders et le leadership comme le synonyme d'une saine gestion.
Garder l'équilibre sous la pression (p. 225)
Comment le gestionnaire peut-il garder son équilibre lorsqu'il est constamment soumis à des pressions qui le tiraillent dans toutes les directions ? [...] Les nuances, autant que l'esprit de décision, font partie intégrante de la gestion. Comme Paul Hirsch avait l'habitude de le dire aux nouveaux du programme de MBA de l'Université Northwestern : " Bienvenue au royaume du terme erroné ! " Dans le même ordre d'idées, voici quelques mots de Charles Handy, tirés de son ouvrage The Age of Paradox : Le paradoxe est à mon avis inévitable, endémique et perpétuel. Nous pouvons et devons réduire les contradictions, minimiser les incompatibilités, comprendre le casse-tête des paradoxes, mais nous ne pouvons ni les faire disparaître, ni les résoudre entièrement, ni y échapper. Ils sont comme le temps : il faut nous en accommoder, atténuer leurs pires aspects, apprécier leurs bons côtés et nous en servir comme indicateurs pour aller de l'avant.