En 35 ans, le fondateur de CGI a créé un empire technologique présent dans 125 pays en misant sur le travail d'équipe, le partage du pouvoir et la participation des employés au rêve du groupe informatique mondial.
R.V. - Un jour, vous m'avez dit : " Mon capital prend l'ascenseur tous les matins. " Qu'entendez-vous par là ?
S.G. - Nous sommes une entreprise de service qui compte aujourd'hui 31 000 personnes partout dans le monde. Nos revenus proviennent de gens qui facturent leur temps chez les clients. Il faut qu'ils reviennent travailler le matin. C'est dans ce sens-là que je vous avais dit que nos actifs prenaient l'ascenseur tous les jours : il fallait se doter de politiques très intéressantes, de manière à ce nos employés aient un sentiment d'appartenance très fort. Aujourd'hui, 87 % de nos employés sont actionnaires de CGI. C'est une façon de nous assurer de leur fidélité.
R.V. - Est-ce que vous êtes fier de cette proportion ?
S.G. - Bien sûr ! Je pense que c'est un record qui s'explique par notre politique qui prévoit que la société verse un montant équivalent à celui mis par nos employés pour acheter des actions de CGI. Si l'action est à 20 $, la personne paie 10 $. Et il n'y a aucune pénalité si elle acquiert des actions et les revend le lendemain. Les gens sont libres de faire ce qu'ils veulent. La preuve en a été faite : dans 99 % des cas, ils conservent leurs actions, et on en est très heureux. La proportion varie selon les pays. Par exemple, dans certains pays d'Europe où le capitalisme est plus nouveau comme système économique, on a atteint 50 ou 55 %. En Inde, 98 % de nos employés sont actionnaires. Ici, au Canada, c'est 95 %.
R.V. - Quel est votre rôle maintenant chez CGI ? Vous voyez-vous comme le capitaine de ce bateau, le motivateur ?
S.G. - Je pourrais être vu comme le capitaine au quotidien. Je pense que le seul leadership qui soit valable et durable est un leadership partagé. Cela vient probablement de mes origines. Je suis né au beau milieu d'une famille de neuf enfants. J'imagine que, dans cette situation, on développe des qualités pour arriver à des consensus...
R.V. - Et le sens du partage !
S.G. - Exactement. Quand j'ai lancé l'entreprise en juin 1976, j'étais seul. Il n'y avait pas grand-chose à partager. Le deuxième employé a été André Imbeau, qui s'est joint à moi le 18 octobre. À la fin de la première année, on était 6, puis 25 à la fin de la deuxième et, graduellement, nous avons grossi.
R.V. - En 1976, vous aviez 26 ans. Ce n'est pas vieux pour décider de se lancer en affaires. Comment s'est produit le déclic ?
S.G. - On m'a souvent posé cette question. À bien y penser, cela vient de mon environnement familial. Mon père a toujours été en affaires. Quand j'étais jeune, ma mère m'envoyait avec lui, probablement parce que j'étais le plus turbulent de la famille...
R.V. - Que faisait-il ?
S.G. - Comme je le dis souvent à la blague, il était dans le softwood. J'ai décidé que je ne briserais pas le moule, alors je me suis lancé dans le software... En fait, il avait des moulins à scie. Cela a été sa vie. Lorsque mon père réussissait à vendre son bois, il avait toujours un beau grand sourire. Je pensais alors : " Ça doit être le fun d'avoir du plaisir à gérer son entreprise. " Plusieurs années plus tard, chez CGI, nous avons décidé de définir tout cela, car la majorité des entreprises qui sont en Bourse ont une mission, une vision, un ensemble de valeurs. Nous avons quelque chose qui vient tout chapeauter. Cela s'appelle le rêve. Un rêve tout simple : créer un environnement dans lequel on a du plaisir à travailler ensemble. Et, comme propriétaire, bâtir une entreprise dont on peut être fier.
R.V. - Aviez-vous déjà le sentiment que vous alliez créer une grande entreprise qui, un jour, serait un phare du Québec inc ?
S.G.- Absolument pas. Au début de CGI, l'intention était vraiment d'avoir du plaisir dans notre métier, de relever des défis tout en ayant du fun à travailler ensemble dans un esprit de famille. D'ailleurs, les premiers à se joindre à CGI, c'était des amis avec qui j'avais étudié. Évidemment, il fallait être un peu fou ; c'était au début de l'informatique. Qui d'autre que des amis pouvaient accepter de se joindre à une entreprise où il n'y avait qu'un employé, moi ?
R.V. - Vous parlez de rêve : vous aviez donc une vision. Laquelle ?
S.G. - Nous sommes une entreprise de service. Il s'agit de rendre un service à un client et, à la toute fin, de recevoir une tape dans le dos : " Merci beaucoup, tu m'as donné un coup de main ". Aujourd'hui, nos gens visent encore le même objectif.
R.V. - Comment avez-vous réussi à transmettre cette valeur à vos employés ?
S.G. - Aujourd'hui, avec des employés répartis dans 125 bureaux, les concepts de base restent identiques. Ils ont même été structurés. Qu'ils soient à Düsseldorf, à Londres, à Montréal, à Québec ou à Bangalore, les employés doivent poser les mêmes 13 questions aux clients pour évaluer leur niveau de satisfaction sur une échelle de 1 à 10. Au dernier trimestre, on a obtenu 9,2 sur 10 à l'échelle mondiale. Au centre de notre travail, il y a les relations humaines. Évidemment, cela laisse supposer que le travail doit toujours être de grande qualité. Il faut que les gens se distinguent et essaient de surpasser leurs résultats au trimestre suivant dans un processus d'amélioration continue.
R.V. - CGI a grandi notamment grâce aux acquisitions. Comment convainc-t-on un groupe de gens qui constituent le noyau dur de passer à la vitesse supérieure ?
S.G. - Lorsque vous êtes un leader chez CGI, vous travaillez en équipe de manière organisée. Par exemple, chaque année, en juin, l'ensemble des 380 vice-présidents du monde entier se retrouvent à Montréal pour la planification stratégique. Les questions qui sont analysées par les membres du conseil d'administration sont posées aussi à tous les employés. Un groupe collige ces informations. Et lorsque les vice-présidents se rassemblent, ils connaissent les conclusions de l'ensemble des employés et réfléchissent en focus group sur chacune des propositions. Et, comme les gens ont travaillé à bâtir le plan eux-mêmes, ils le maîtrisent. Mon rôle consiste à être le gardien de cette façon de travailler. Je tiens à cela. Je veux que les gens partagent la même information, utilisent les mêmes façons de procéder, travaillent en équipe. Et c'est mesuré.
R.V. - D'ailleurs, du temps du magazine Commerce, on avait dressé un portrait de vous comme bâtisseur et vous aviez demandé qu'on prenne en photo votre équipe et vous, ensemble.
S.G. - Exactement. C'est toujours comme cela. D'ailleurs, cela me met toujours un peu mal à l'aise lorsqu'on veut faire un portrait de moi. Évidemment, si vous m'interviewez aujourd'hui, c'est CGI que vous interviewez. Les gens avec qui je travaille dans la vie de tous les jours y ont autant droit que moi, parce qu'on a travaillé de très près ensemble.
CV
Nom : Serge Godin
Âge : 60 ans
Titre : Président exécutif du conseil
Entreprise : CGI
Né à Shipshaw, au Saguenay, Serge Godin avait 26 ans quand il a fondé CGI, qui s'appelait à l'origine Consultants en gestion informatique. La firme tire aujourd'hui 60 % de ses revenus de mandats d'impartition. Membre de l'Ordre du Canada et de l'Ordre du Québec, il s'engage dans de nombreuses causes, notamment la Fondation Jeunesse-Vie qu'il a créée pour améliorer la santé d'enfants et d'adolescents de milieux défavorisés.