Au tournant de 2010, la direction de Leroy Merlin s’est sérieusement inquiétée pour l’avenir de la chaîne française de bricolage et de jardinage.
Elle venait en effet d’atteindre les objectifs qu’elle s’était fixés ; son chiffre d’affaires frôlait en France les 5 milliards d’euros (7 G$ CA), ce qui la plaçait en tête de son secteur d’activité sur le marché français. Si bien que la question lui a sauté aux yeux, terrifiante : « Et après ? »
De cette réflexion est née l’idée de redoubler d’audace : « Nous devons nous transformer. De fond en comble. En misant sur notre force principale, l’esprit d’entreprise dont savent faire preuve nos employés », a confié à l’époque l’un des dirigeants de Leroy Merlin à Nathalie Nowak, la présidente cofondatrice d’ImFusio, un cabinet-conseil en innovation et transformation ayant des bureaux à Paris (France), Barcelone (Espagne) et Montréal (Canada). Et de souligner : « Nous avons 10 années pour y parvenir. Pas une de plus ».
Tous explorateurs
L’opération de transformation a démarré par une phase d’exploration. Une vingtaine de groupes composés de 20 employés venus de toutes parts ont été formés. Leur mission : partir en voyage, en quête d’idées neuves. Et ce, en sortant loin des sentiers battus. « Certains sont allés au Japon, pour y étudier l’inventivité de ceux qui habitent dans de minuscules appartements. D’autres ont visité les ruches situées sur les toits de l’Opéra de Paris, pour analyser l’ingéniosité des abeilles », raconte Mme Nowak.
Résultat ? Tous les explorateurs se sont retrouvés par la suite lors d’une semaine « Innover pour inventer demain ». Le principe était simple : trois journées d’échange d’idées, puis deux journées d’idéation et de prototypage, histoire de passer de l’idée au projet. « C’était une semaine folle ! Des centaines d’idées ont été brassées et des dizaines de projets ont été montés, tous plus emballants les uns que les autres », dit Mme Nowak.
Tous pionniers
Puis, les explorateurs se sont transformés en pionniers. C’est-à-dire qu’il leur a fallu, d’une part, expérimenter le projet qu’ils avaient monté et, d’autre part, lui donner vie sous la forme d’un prototype.
Chaque groupe avait de quatre à six mois pour y parvenir, en ne recourant qu’aux moyens du bord. Ils ne disposaient d’aucun budget particulier pour réaliser le prototype en question, et ils devaient s’arranger comme ils le pouvaient pour se rencontrer entre eux sans que cela nuise à l’accomplissement de leurs tâches habituelles. Bien sûr, ils n’étaient pas pour autant abandonnés à eux-mêmes : un comité de pilotage avait été créé pour donner un coup de main, quel qu’il soit, à ceux qui en exprimeraient le besoin.
Une fois les prototypes réalisés, une immense réunion a été organisée afin de les dévoiler à tout le monde. Chaque groupe y a tenu un kiosque, son objectif principal étant d’attirer l’attention de dirigeants afin d’obtenir le financement nécessaire à la commercialisation de son projet, à l’échelle d’un magasin, d’une région, voire du réseau national.
« Un groupe, par exemple, a eu l’idée de rendre habitables des conteneurs d’environ 25 mètres carrés destinés aux étudiants sans le sou. Ces logements tout équipés ont tellement plu qu’ils ont croulé sous les investissements, y compris de la part de la société mère de Leroy Merlin, le Groupe Adeo, généralement considéré comme le troisième groupe mondial en matière de bricolage et de décoration », illustre la présidente d’ImFusio.
Tous acteurs
Enfin, Leroy Merlin a veillé à ce que la voie tracée par les explorateurs devenus pionniers serve d’inspiration à tous les autres employés. « L’idée était alors de contaminer tout le monde, ce qui est justement en train de se produire ces temps-ci », indique Mme Nowak.
Un exemple parmi d’autres : des magasins forment à présent par eux-mêmes des mini-groupes d’explorateurs. Leurs membres – du chef de rayon à la caissière – partent en demi-journée d’exploration, pas trop loin du magasin, afin de visiter un lieu qui pourrait leur apporter des idées neuves. Puis, ils en font un projet, suivi d’un prototype. « C’est grâce à ça que trois magasins ont entrepris de changer du tout au tout, tant devant (les rayonnages, etc.) que derrière (l’aménagement des bureaux du personnel, etc.) », explique Nathalie Nowak.
De la même manière, certains mini-groupes ont eu l’idée d’intégrer en leur sein des clients fidèles, ou encore des fournisseurs, pour partir ensemble en voyage exploratoire. « Un excellent moyen de diversifier les points de vue, et donc de concocter des projets vraiment novateurs. »
Leroy Merlin est aujourd’hui arrivée à mi-chemin de son opération de transformation, et d’ores et déjà de grands changements se sont produits. Une performance remarquable à la portée de tout un chacun, finalement : « Innover est l’occasion de vivre une véritable aventure humaine, où la collaboration est la clé du succès. Ce qui peut se faire, à l’image de Leroy Merlin, en explorant des voies qui ne font pas consensus de prime abord et en haussant toujours d’un cran les capacités de réflexion et d’action d’un groupe », résume Nathalie Nowak.