Dans son édition du 22 au 28 janvier 2011, Le Journal Les Affaires dresse un constat troublant sur l’entrepreneuriat au Québec. Si rien ne change, en 2018, la province comptera près de 12% moins de propriétaires d’entreprises qu’en 2008. Vous êtes peut-être de ceux qui peuvent renverser la vapeur. Comment le savoir ? en faisant le test ci-joint.
Devenir entrepreneur, être son propre patron, c'est le rêve de plusieurs. Mais que ce soit pour devenir consultant, lancer un produit sur le marché ou ouvrir un resto, l'entrepreneuriat n'est pas pour tout le monde.
"C'est très difficile de se lancer en affaires", dit Sylvain Darche, président de Darche Solution Relève, un organisme spécialisé dans le démarrage, mais aussi le soutien à la pérennité d'entreprises familiales. "On ne le dit pas assez : ça nécessite beaucoup d'efforts et d'énergie. Et comme un boxeur, il faut savoir recevoir des coups, se relever et se battre. La compétition est terrible."
Savoir gérer stress et incertitude
Un nouvel entrepreneur n'a pas d'horaire fixe. Il peut devoir vivre plusieurs mois sans revenus. Sa paie n'est jamais la même. Son principal client peut faire faillite du jour au lendemain.
"Il doit composer avec l'insécurité, cela doit devenir une seconde nature", dit Patrick Lacasse, jeune président de Gestion Sun, de Sherbrooke, qui aide au démarrage d'entreprises. Ces jours-ci, M. Lacasse rencontre plusieurs ex-salariés de grandes entreprises comme Domtar. Des gens qui, depuis 20 ans, recevaient une paie directement dans leur compte bancaire, toutes les deux semaines... Après une évaluation de leur résistance au stress et à l'incertitude, la moitié seulement se lanceront dans l'aventure.
Car gérer une entreprise n'a rien de routinier. "Votre fournisseur ferme après trois mois de collaboration... Que faites-vous ? Vous vous retournez rapidement ou vous restez tétanisé ?" demande Nathaly Riverin, vice- présidente, recherche, vigie et développement, de la Fondation de l'entrepreneurship. Comme dans une partie d'échecs, poursuit-elle, les pièces de l'adversaire ne se déplacent pas toujours comme vous l'aviez prévu. "Un bon entrepreneur ne s'accroche pas à un plan, il a toujours plusieurs options en tête."
Avoir confiance en soi
Se lancer en affaires et porter à bout de bras une entreprise exigent une bonne dose de confiance, même si celle-ci ne doit pas être aveugle, note Sylvain Darche. Comme un cheval dans une course à obstacles, il sera plus sage, si la barre est trop haute, de s'arrêter avant de s'y fracasser les pattes.
Cette confiance en ses moyens est fondamentale, dit Yvon Gasse, titulaire de la Chaire en entrepreneuriat et innovation de l'Université Laval. Plus encore, observe-t-il, l'entrepreneur a l'intime conviction de contrôler son destin. "Il ne croit pas au hasard, mais à sa propre force." Pour lui, le salut n'est pas dans l'alignement des astres mais dans celui des chiffres, ceux qu'il aura contribué à faire croître.
Un trait, souligne M. Gasse, qui est particulièrement valorisé dans la culture protestante, peu encline au fatalisme et qui promeut davantage les réalisations terrestres que le bonheur dans l'au-delà.
Être persévérant
Cela vous empêchera de quitter le navire - ou l'excursion de vélo - à la première difficulté. Dans un sondage récent commandé par la Fondation de l'entrepreneurship auprès des Québécois, la persévérance et la ténacité étaient d'ailleurs citées comme les deux plus grandes forces de nos entrepreneurs.
Bien sûr, on doit distinguer persévérance et entêtement, dit Yvon Gasse, mais la première est essentielle pour survivre.
Louise Péloquin, chargée de formation et responsable du profil entrepreneur au premier cycle à HEC Montréal, constate que les étudiants qui se destinent à l'entrepreneuriat sont "intra-déterminés", c'est-à-dire qu'ils ont le sentiment intrinsèque qu'ils sont capables de surmonter les difficultés. Comme le taux de placement des diplômés atteint près de 100 %, dit-elle, il faut être drôlement motivé et persévérant pour ne pas se tourner vers une entreprise bien établie, offrant salaire régulier, avantages sociaux et ordinateurs dernier cri, et bâtir de toutes pièces son entreprise.
Être passionné
Il aurait été si simple d'envoyer mon CV au gouvernement... Pourquoi me suis-je embarqué dans cette aventure ? La passion donne un sens à cette question pas toujours évidente.
C'est la passion qui vous donnera l'énergie nécessaire pour traverser les moments difficiles, comme lors de votre cinquième soirée d'affilée au bureau à tenter de comprendre pourquoi vous venez de perdre votre plus lucratif client.
On ne compte pas son temps lorsqu'on est en affaires. "Il faut y consacrer entre 50 et 70 heures par semaine pendant plusieurs mois", selon Sylvain Darche.
Ce dernier voit tout de suite si une personne a le feu sacré. "Quand elle parle de son produit ou de son projet, le débit s'accélère, les yeux s'agrandissent, il y a de l'excitation."
Dans cette passion qu'Yvon Gasse décèle lui aussi d'emblée chez ses étudiants, il y a un besoin de réalisation. "L'entrepreneur a des objectifs, il prend les moyens pour les atteindre. Il est branché sur les résultats et sur l'action."
Être créatif et innovateur
Nul besoin d'avoir inventé le cube Rubik ou de fabriquer une tapisserie géante à partir de chutes de tissus recyclés bengalis pour être qualifié de créatif ou d'innovateur. Mais l'entrepreneur doit s'exercer à penser out of the box, en dehors de la petite boîte remplie d'évidences.
Louise Péloquin le constate avec ses étudiants : par de petits projets nécessitant très peu de capital, dans des secteurs encombrés comme les services, ils arrivent à créer des petites entreprises innovantes grâce à leur créativité. "Comme ils doivent se distinguer pour survivre, ils développent des processus originaux. J'ai des étudiants qui se sont lancés dans un service de rénovation domiciliaire, là où il y a beaucoup de monde, et ils ont innové dans leur façon de soumissionner. Les clients ont été séduits."
L'entrepreneur doit avoir la capacité de voir et de résoudre des problèmes autrement. "On dit souvent que l'entrepreneur voit le verre à moitié plein, et que les autres le voient à moitié vide, dit Louise Péloquin. La perspective n'est pas la même."
Avoir le sens de l'occasion
C'est la capacité de faire des liens, "de voir des choses que les autres ne voient pas", dit Nathaly Riverin.
Pierre Péladeau, par exemple, a profité d'une grève à La Presse et de la construction du métro pour créer un tabloïde, le Journal de Montréal.
"Tous les éléments sont là et tout le monde les voit. Mais à partir de ces éléments, l'entrepreneur va trouver une occasion", dit Claude Ananou, chargé de formation au Service de l'enseignement du management de HEC Montréal. Il qualifie cette bonne fortune de "synchronicité", une notion développée par le psychiatre Carl Jung : l'occurrence simultanée d'au moins deux événements qui ne présentent pas de lien de causalité, mais dont l'association prend un sens pour la personne qui les perçoit. Certaines cultures savent mieux que d'autres reconnaître les bonnes occasions, croit Nathaly Riverin. "Elles ont le réflexe de transformer en valeur économique des biens qui apparaissent sans valeur aux yeux de la majorité."
Être curieux
Sans curiosité, l'entrepreneur est condamné au surplace et, à terme, à l'asphyxie. "C'est bien d'avoir une vision, dit Nathaly Riverin, mais il faut l'actualiser, se tenir constamment informé de sa clientèle, de la concurrence. Il faut une bonne capacité d'écoute et d'analyse. Si un entrepreneur n'est pas curieux et ne veut pas apprendre, il sera limité. Ses concurrents seront plus intelligents que lui !"
"Il faut lire, tout lire, et lire encore", dit Marvin Garellek, président de Tableau d'affichage des capitaux Internet, qui conçoit des logiciels et des plans d'affaires. L'entrepreneur dirige aussi l'antenne québécoise de la firme BizLaunch, spécialisée dans les séminaires de formation aux entrepreneurs. "Les entrepreneurs doivent être constamment à l'affût", ajoute-t-il.
Être prêt à prendre des risques
Sans être casse-cou, il faut un certain goût du risque pour se lancer dans l'aventure de l'entrepreneuriat. "Sans une once de risque, on se fait devancer par la concurrence", dit Patrick Lacasse, de Gestion Sun.
Un bon entrepreneur ne prend jamais de risques inconsidérés, dit Yvon Gasse, il les calcule. Mais qui dit risque dit possibilité d'échec. Il ne faut pas être allergique à cette éventualité. "Chez un entrepreneur, l'attitude devant le risque et l'échec est fondamentale, constate-t-il. Silicon Valley, la Mecque de l'entrepreneuriat, est bâtie sur cette culture. L'échec est valorisé comme un élément d'apprentissage et non pas comme une catastrophe. Pour autant qu'on apprenne de ses erreurs."
Aux États-Unis, tous les grands entrepreneurs ont connu des échecs et racontent leurs bons et mauvais coups dans leur biographie. Au Québec, l'échec est mal vu. "On a de la difficulté à s'en relever", dit Nathaly Riverin. Nos cousins français ont le même problème, selon M. Gasse : "Ils ont une aversion épouvantable au risque et à l'échec."
Avoir des compétences relationnelles
Un entrepreneur n'a pas à être une bête sociale ou un monstre de charisme - on n'a qu'à penser à Steve Jobs, d'Apple, ou à Bill Gates, de Microsoft. Mais à tout le moins, il doit avoir suffisamment d'habiletés sociales pour communiquer ses idées et susciter l'adhésion. "L'entrepreneur a toujours à se vendre, dit Louise Péloquin. D'abord à ses clients, puis à ses fournisseurs, et enfin à ses employés. Il faut pouvoir convaincre des gens de nous suivre." Elle insiste pour que ses étudiants sachent écrire et parler avec clarté et précision.
Vous avez décidé de rénover votre maison seul, durant vos vacances. Après tout, qui ne sait pas cogner un clou ? Commencés il y a 12 ans, ces travaux ne sont toujours pas achevés. Entre-temps, votre conjoint vous a quitté et votre chien est mort d'une allergie grave à la poussière.
Savoir s'entourer et déléguer
"Certains sont bons en finance, d'autres en gestion et d'autres en marketing. Rares sont ceux qui possèdent les trois compétences. Or, les trois sont nécessaires dans une entreprise. Il faut donc savoir bien s'entourer. Personne ne connaît tout", dit Marvin Garellek, qui croit aux vertus du mentorat et des vastes réseaux, formels ou pas.
Claude Ananou, de son côté, estime que toute entreprise, aussi petite soit-elle, devrait avoir un conseil formé de gens provenant d'horizons divers.
L'entreprise repose sur un travail d'équipe, rappelle Nathaly Riverin : "Elle n'évolue jamais en vase clos. L'entrepreneur doit s'entourer des bonnes personnes et déléguer. Il doit avoir la modestie et l'humilité de reconnaître ses limites."