On le surnomme «le professeur bonheur». Tal Ben-Shahar enseigne la psychologie positive aux gestionnaires en Israël. Longtemps professeur à Harvard, il est l'auteur de L'apprentissage de l'imperfection, traduit en 25 langues. Je l'ai rencontré à New York.
DIANE BÉRARD - Comment les entreprises peuvent-elles améliorer leur performance en se concentrant sur ce qui va bien plutôt que sur ce qui ne tourne pas rond ?
TAL BEN-SHAHAR - Les questions que vous posez définissent la réalité. Changez vos questions, vous changerez votre réalité. Ne demandez pas «pourquoi ce projet a échoué». Demandez plutôt «pourquoi cet autre projet a réussi». Il est plus efficace d'accroître ce qui va bien que de tenter de réduire ce qui va mal. Il faudrait le dire aux consultants qu'on paie le gros prix pour mettre en lumière tout ce qui cloche dans notre organisation.
D.B. - Pouvez-vous donner un exemple d'une organisation qui s'est concentrée sur ce qui fonctionne ?
T.B-S. - Parlons de l'aide aux pays pauvres. Pendant des décennies, on s'est demandé : «Pourquoi les enfants pauvres ne réussissent-ils pas ?». Ces recherches n'ont pas mené bien loin. Tout le monde tournait en rond et le sort des enfants pauvres ne s'améliorait guère. Puis, on a renversé la question : «Pourquoi certains enfants pauvres réussissent-ils, malgré tout ?». La réponse : parce qu'ils sont résilients. Cette fois, on tenait quelque chose. On s'est mis à étudier la résilience, à montrer aux enfants de quartiers défavorisés à se donner des buts ; on a découvert l'importance d'avoir des modèles, de cultiver l'optimisme. Vous savez, l'optimisme, ça s'apprend. Cela s'applique autant à un enfant né dans un milieu défavorisé qu'au pdg d'une grande organisation.
D.B. - Vous évoquez beaucoup l'influence du bonheur sur la performance des entreprises. Expliquez-nous.
T.B-S. - Plus un employé ressent d'émotions positives au travail, plus il est productif. Le succès crée un état de contentement temporaire. Mais le bonheur, lui, mène au succès durable.
D.B. - Quel rôle un leader joue-t-il dans le bonheur de ses employés ?
T.B-S. - Le leader est lui-même un employé. Il doit prendre soin de ses émotions, afin de devenir un modèle positif pour son équipe.
D.B. - Doit-on recruter uniquement des leaders «positifs», même s'ils sont moins compétents ?
T.B-S. - Il y a beaucoup à dire sur le choix des leaders. Le meilleur ingénieur ne fera pas toujours le meilleur directeur. Mais la plupart des ingénieurs se dirigent vers un poste de directeur d'équipe ou de bureau, qu'ils en aient vraiment envie ou pas. Tout cela parce que l'ultime preuve de réussite sociale et professionnelle consiste à devenir gestionnaire. Il s'ensuit que réussite professionnelle et bonheur ne sont pas nécessairement corrélés. Et que bon nombre de leaders n'arrivent pas à rendre leurs employés performants, parce qu'ils ne sont pas heureux eux-mêmes.
D.B. - On ne peut pas congédier tous les leaders, il faut composer avec ceux qu'on a. Comment peut-on les rendre plus positifs ?
T.B-S. - On ne transformera pas tous les leaders en mère Teresa ! Toutefois, être un leader plus positif s'apprend. Concentrons-nous sur l'erreur de gestion la plus fréquente : chercher la bonne réponse au lieu de se mettre en quête de la bonne question. Les dirigeants perdent un temps fou et gaspillent leur énergie à chercher les réponses qu'ils pensent devoir donner pour remplir leur rôle adéquatement.
D.B. - Pourquoi estimez-vous qu'il faut revoir le système de récompenses pour augmenter le bonheur et la performance dans les entreprises ?
T.B-S. - Tout le monde aime être récompensé. C'est normal. Or, les récompenses les plus importantes sont attribuées aux gestionnaires. Les honneurs autant que l'argent. Voilà qui renforce l'idée qu'il faut aller en gestion pour être reconnu. Et qui y attire une cohorte de gens qui ne devraient pas y être. Ces employés ne se concentrent pas sur leurs forces.
D.B. - Faut-il aussi revoir les méthodes d'évaluation annuelle ?
T.B-S. - La moitié de cette rencontre devrait porter sur ce qui va bien. Il faut demander à l'employé quels aspects de son travail ne font pas suffisamment appel à ses forces. Quant aux faiblesses - les vôtres, celles de votre personnel -, cessez de viser leur disparition. Cela exige trop d'énergie, une énergie négative. Apprenez plutôt à vivre avec l'imperfection, la vôtre et celle de vos employés, et adoptez le concept «assez bon». Visez à ce que votre personnel devienne «assez bon» dans ses faiblesses pour que celles-ci ne nuisent plus à ses forces. Ça suffira. La même logique s'applique aux faiblesses des leaders.
D.B. - Et la formation continue ?
T.B-S. - La formation rend vos employés excellents dans les domaines où ils sont déjà bons. Là où ils sont faibles, n'investissez pas plus que ce qui est nécessaire pour les rendre «assez bons».
D.B. - Comment nos lecteurs peuvent-ils rendre leur vie professionnelle et personnelle plus positive ?
T.B-S. - La réalité est plus vaste que ce que nous en voyons. Il faut être conscient que nous n'avons accès qu'à une infime partie de celle-ci. Ne pas le reconnaître, c'est s'exposer à en payer le prix.
«Adoptez le concept «assez bon». Visez à ce que votre personnel devienne «assez bon» dans ses faiblesses pour que celles-ci ne nuisent plus à ses forces. Ça suffira.»
LE CONTEXTE
Les entreprises cherchent toutes les avenues de croissance possibles : technologie, design, innovation, etc. Tal Ben-Shahar aborde ce défi sous un autre angle : le facteur humain et l'effet d'entraînement de la pensée positive sur le succès.
SAVIEZ-VOUS QUE...
Tal Ben-Shahar a été champion national de squash en Israël.