Tecsys, Exfo, Mediagrif, BRP et CAE. Leur point commun ? Ces sociétés consacrent un montant important de leurs revenus en R-D. Des gestionnaires de portefeuille se prononcent sur les défis que ces cinq entreprises persévérantes doivent relever.
Tecsys poursuit le filon du secteur hospitalier
R-D : 6,1 M$ ; 10 % des revenus¹
Symbole : TCS
Cours actuel du titre : 8,65 $
Achat : 5
Conserver : 0
Vendre : 0
Cible moyenne : 11,50 $
¹ Dépenses nettes, après les crédits d'impôt
Il aura fallu 32 ans au spécialiste des logiciels d'optimisation de la chaîne d'approvisionnement Tecsys pour franchir le cap de 50 millions de dollars de revenus.
Aujourd'hui, l'entreprise des frères Breton veut doubler ses revenus et tripler son bénéfice d'exploitation d'ici 3 à 5 ans.
Malgré une progression annuelle de 13 % de ses ventes depuis quatre ans, la société de Montréal n'y arrivera pas sans réaliser d'autres acquisitions, comme celle de la lavalloise Logi-D en 2014 qui lui a ouvert plus grand les portes du marché hospitalier américain, selon Ralph Garcea, analyste chez Cantor Fitzgerald.
En avril, la société a d'ailleurs émis 6,1 M$ d'actions à 8,90 $ chacune pour financer sa croissance.
Comme un chat et ses neuf vies, la société a maintes fois adapté sa stratégie à la conjoncture changeante depuis 1983, un parcours houleux qui a vu son action exploser jusqu'à 51 $ en 2000, puis dégringoler jusqu'à 0,60 $ en 2001.
Nick Agostino, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne, aimerait toutefois voir les bénéfices croître autant que les revenus dans l'avenir.
Or, l'entreprise dépense sans cesse davantage pour mettre ses logiciels à niveau et muscler son effort de vente et de marketing, afin de rester au-devant de son industrie, dit-il.
Ses investissements en R-D lui ont valu un brevet américain pour son système de transmission d'instructions visuelles aux exploitants d'entrepôts, en 2014.
Ses effectifs ont aussi bondi de 44 %, à 350 employés depuis avril 2010.
D'ici deux mois, Tecsys rouvrira un bureau à Leeds en Grande-Bretagne, un marché qu'elle avait quitté en 2011. Cette fois, elle y offrira les solutions de Logi-D aux hôpitaux d'Europe tout en servant mieux ses clients existants.
M. Agostino a donc réduit ses prévisions de bénéfice de 9 % pour 2017, à 0,49 $ par action, mais il maintient son cours cible d'un an à 11,50 $.
« La société investit parce qu'elle voit des occasions dans le secteur hospitalier avec ses solutions bout-en-bout. Étant donné le long cycle de vente de 12 à 24 mois, il lui faudra plus de temps que prévu pour profiter de son levier de rentabilité », explique M. Garcea.
Ses solutions de gestion de la distribution pour les hôpitaux et les cliniques lui procurent 40 % de ses revenus et représentent 82 % de ses nouvelles commandes.
D'ici 3 à 4 ans, la croissance des ventes devrait être plus rapide que celle des dépenses d'exploitation, ce qui pourrait enfin relever ses marges, espèrent les financiers.
Même si Tecsys est méconnue, elle compte plusieurs actionnaires fidèles tels que Fiera Capital, Gestion Pembroke et PenderFund Management Capital qui apprécient ses marges brutes de 50 %, son encaisse de 11,9 M$, ainsi que la hausse annuelle composée de 13 % de son dividende depuis 5 ans.
Marc Lecavalier, gestionnaire de portefeuille chez Fiera Capital, est de ceux qui pensent justement que l'entreprise montréalaise s'approche d'un tournant.
Si la croissance des revenus récurrents et la bonne répartition du capital lui plaisent, M. Lecavalier reconnaît que son évaluation de 40 fois les bénéfices prévus en 2016 et de 17 fois son bénéfice d'exploitation témoigne d'attentes élevées.
« Je serais plus inquiet si la société n'avait pas un bon bilan et de bons flux excédentaires et si ses dirigeants n'étaient pas aussi investis dans leur entreprise. Ça me fait patienter », évoque pour sa part Ian Aitken, président de Gestion privée de placement Pembroke.
Exfo recrute du renfort et un dauphin pour raviver sa croissance
R-D : 44 M$ ; 19,8 % des revenus¹
Symbole : EXF
Cours actuel du titre : 4,20 $
Achat : 2
Conserver : 4
Vendre : 2
Cible moyenne : 4,63 $
¹ Dépenses nettes, après les crédits d'impôt
Exfo fête ses 30 ans, et son président-fondateur Germain Lamonde se donne de nouveaux moyens pour raviver sa croissance et sa rentabilité.
Les équipements et les logiciels de la société de Québec assurent le bon fonctionnement des réseaux filaires et sans fil qui transmettent sans cesse plus de données et d'images.
Un ex-cadre de la société américaine Ciena, Philippe Morin, vient en renfort dès novembre en tant que chef de l'exploitation pour améliorer la performance de la société, tant en matière de ventes, de gestion de produits que de stratégie technologique.
Au cours des 18 à 24 prochains mois, M. Lamonde lui confiera de plus en plus de responsabilités et lui transmettra éventuellement le flambeau de la présidence pour se consacrer davantage à la stratégie.
« Je connais M. Morin depuis longtemps, c'est la meilleure personne pour devenir mon successeur », a dit M. Lamonde lors de la conférence téléphonique annuelle.
Les analystes espèrent que le cheminement de M. Morin et les relations étroites qu'il a développées depuis 25 ans avec les grands fournisseurs de télécommunications, de même que les nouveaux opérateurs de centres de données et de services Web, donneront un nouvel élan aux ventes d'Exfo. L'entreprise de Québec a en outre 13 nouveaux produits et améliorations majeures à leur offrir.
Exfo multiplie les efforts pour que son leadership technologique se transpose dans sa croissance, sa rentabilité et le cours de son action.
Les revenus du spécialiste des solutions de tests déclinent depuis quatre ans, et son bénéfice a reculé à un rythme annuel de 25 % depuis cinq ans. Cette période a été marquée par des changements technologiques rapides, la consolidation de ses clients américains, des soubresauts économiques sans précédent en Europe et dans les marchés émergents, ainsi qu'une grande volatilité des devises.
L'implantation d'une usine à Shanghai en 2007, quatre acquisitions depuis 2008, deux rationalisations, ainsi que le rachat de 23 % de ses actions en Bourse n'ont pas réussi jusqu'ici à soulever sa croissance ni son action, qui se négocie au même point qu'en 2002.
M. Lamonde a promis une hausse de 40 %, à 20 M$ US, de son bénéfice d'exploitation en 2016, grâce aux économies cumulées de 10 M$ de ses deux plus récents programmes de réduction de coûts. La venue de M. Morin ranime les espoirs. Cependant, le degré de conviction varie selon les analystes, parce qu'Exfo a raté ses objectifs lors de 9 des 15 derniers trimestres, rappelle Robin Manson-Hing, de Marchés mondiaux CIBC.
« La société pose les bons gestes, mais le déclin des tests optiques et la diminution des dépenses par les grands opérateurs de télécommunications sont des vents de front trop forts à combattre pour le moment », écrit-elle.
Chez BMO Marchés des capitaux, Thanos Moschopulos est d'avis que M. Lamonde atteindra ses cibles en 2016. Il voit en outre, dans la nomination de M. Morin, un important « catalyseur potentiel ».
Deepak Kaushal, de GMP Valeurs mobilières, craint que les coûts élevés d'innovation de sa transformation en fournisseur de solutions bout-en-bout (au lieu de tests physiques) continueront de nuire à sa rentabilité, à un moment où la demande est encore imprévisible.
Il signale que la marge d'exploitation de 9 % promise pour 2016 reste loin de l'objectif de 15 % que s'est fixé M. Lamonde à long terme.
Son cours cible de 4,15 $ US repose sur un multiple de 0,8 fois les ventes prévues en 2016, par rapport à une moyenne de 2,2 fois pour ses semblables.
« L'action est attrayante pour les amateurs d'aubaines patients, mais il sera difficile à Exfo d'atteindre ses objectifs de croissance », soutient-il.
Mediagrif retourne du capital en attendant une acquisition
R-D : 15,3 M$ ; 22 % des revenus
Symbole : MDF
Cours actuel du titre : 17,00 $
Achat : 6
Conserver : 1
Vendre : 1
Cible moyenne : 20,29 $
Avec ses 16 plateformes Web (dont LesPAC) à soutenir, Technologies Interactives Mediagrif dépense bon an mal an le cinquième de ses revenus en recherche et développement.
Ce seuil est tout à fait conforme à la moyenne des acteurs canadiens de technologie de taille intermédiaire, indique Amr Ezzat, d'Euro Pacific.
Au cours des quinze mois terminés le 30 juin, Mediagrif a raffiné ses plateformes d'appels d'offres MERX et SourceSuite, ainsi que les solutions de transfert électronique de documents pour la chaîne d'approvisionnement d'InterTrade de Laval.
Le site d'offres d'emplois Jobboom a remanié sa plateforme mobile ; celui de rencontres Réseau Contact a été entièrement rafraîchi ; et le site de petites annonces LesPAC a conçu de nouveaux outils promotionnels destinés aux annonceurs.
Ces investissements sont nécessaires pour revigorer ces marques dont les revenus déclinent de 5 à 10 % depuis deux trimestres, indique Nick Agostino, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne.
Bien qu'elle dépense d'importantes sommes pour concevoir et mettre à jour ses sites et logiciels, Mediagrif est surtout une « histoire » de gestion financière.
En attendant les acquisitions promises ici ou aux États-Unis dans le domaine de l'échange de données, la société partage les fonds que génèrent ses plateformes transactionnelles avec ses actionnaires sous forme de dividendes croissants et de rachats d'actions.
L'entreprise dirigée par Claude Roy a racheté 12 millions de dollars depuis 2014, éliminant environ 5 % de ses actions. Son dividende est aussi passé de 0,10 $ par action en 2010 à 0,40 $ en 2014-2015.
« C'est financièrement avantageux de racheter ses actions lorsqu'elles s'échangent à un cours inférieur à 17 $, puisque le dividende procure un rendement de 2,4 % près de ce cours, alors que le coût de la dette bancaire est de 2,25 % », explique M. Ezzat.
À son avis, le moment est propice pour acheter l'action en attendant la prochaine acquisition qui fouettera le titre en Bourse. Son cours cible d'un an, de 21,50 $, dépasse le sommet de 20,93 $ atteint en novembre 2013. Il recèle un gain potentiel de 21,7 %.
Un achat pourrait survenir en tout temps, puisque le pdg Claude Roy en analyse actuellement deux, au Canada et aux États-Unis, révèle M. Agostino.
Au premier trimestre, Mediagrif a dépensé 300 000 $ en revue diligente pour une transaction qui a finalement achoppé.
Le principal actionnaire, M. Roy, 67 ans, est très motivé à répéter la réussite qu'il a connue avec Logibec, le petit fournisseur de logiciels de gestion d'organismes de la santé. Celui-ci a procuré un rendement de 600 % à ses actionnaires, de 2003 à 2012, lors de sa vente pour 235 M$ à la caisse de retraite OMERS.
BRP hausse encore la cadence pour gagner des parts de marché
R-D : 158 M$ ; 4 % des revenus¹
Symbole : DOO
Cours actuel du titre : 24,00 $
Achat : 11
Conserver : 2
Vendre : 1
Cible moyenne : 31,20 $
¹ Dépenses nettes, après les crédits d'impôt
Chez BRP, l'innovation est une sorte de course contre la montre, tellement les besoins du marché et les goûts des consommateurs changent.
L'entreprise de Valcourt doit non seulement s'adapter à ses rivaux, qui sont plus nombreux et plus audacieux que jamais, mais aussi aux nouvelles règles de pollution et de bruit des divers gouvernements.
Le grand défi est d'offrir des produits performants, à un prix concurrentiel, répète souvent le président, José Boisjoli.
Il est heureux que l'ex-division des produits récréatifs de Bombardier tienne à conserver au Québec les fonctions critiques de l'ingénierie et du design de tous ses motomarines, motoneiges, véhicules tout-terrain et motos.
BRP se targue notamment d'un brevet pour son système de réduction de bruit sur ses motomarines. Elle a aussi reçu le prix innovation 2014 de la National Marine Manufacturers Association pour sa motomarine Spark lancée à grand renfort de marketing en 2014.
« La Spark et sa structure en Polytec renforcent l'idée que l'innovation fait encore partie de l'ADN de BRP. Les concurrents auront du mal à rivaliser étant donné qu'un nouveau produit peut prendre de 3 à 5 ans à venir au monde », déclarait Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux, lors du lancement de la Spark il y a deux ans.
Dans le segment des véhicules utilitaires côte à côte, qu'elle vient de percer avec le Defender SxS, BRP compte lancer un nouveau modèle tous les six mois, au lieu d'une fois l'an, au cours des quatre prochaines années.
« La société consacre une bonne part de ses ressources en R-D à ce véhicule afin d'atteindre des objectifs ambitieux », précise M. Poirier.
BRP a besoin du Defender SxS pour espérer renouer avec une croissance annuelle de plus de 10 % dans les prochaines années.
L'équipe de conception a notamment visité 30 fermes, pendant une semaine chacune, pour mieux comprendre les besoins de la clientèle agricole.
Les véhicules utilitaires côte à côte constituent un élément essentiel de la stratégie de BRP pour doubler ses ventes à 6 milliards de dollars d'ici 2021, ajoute l'analyste.
Le Defender SxS attirera de nouveaux concessionnaires, puisque le segment utilitaire représente 60 % de ce marché, prévoit Benoit Poirier.
« La société peut y aspirer grâce au processus plus flexible de la fabrication modulaire de sa nouvelle usine mexicaine à Juarez », croit Cameron Doersken, de la Financière Banque Nationale.
Par contre, il faut s'attendre à une période de dépenses en capital plus élevées au cours des prochaines années. M. Doersken estime que la cadence passera de 160 millions de dollars à une fourchette de 180 à 210 M$.
BRP vient aussi de lancer une moto à trois roues dotée d'une capacité supplémentaire de rangement et de plus de protection contre le vent lors des trajets prolongés. La Spyder F3-T est offerte à un prix inférieur à la Freewheeler trike de Harley-Davidson.
M. Poirier recommande l'achat du titre de BRP et établit son cours cible d'un an à 31 $. La société lui paraît beaucoup mieux équipée qu'avant pour affronter sa grande rivale, l'américaine Polaris Industries (NY, PII, 109,95 $US).
M. Doersken juge le titre de BRP justement évalué. Il se négocie presque au même multiple que celui de Polaris, au moment où la concurrence s'intensifie. L'analyste établit son cours cible à 28 $.
CAE veut récolter les fruits de ses investissements milliardaires
R-D : 7 % des revenus
Symbole : CAE
Cours actuel du titre : 14,98 $
Achat : 7
Conserver : 6
Vendre : 1
Cible moyenne : 16,60 $
Le spécialiste des simulateurs de vol a beau se hisser en tête de son industrie, il prend de nouvelles mesures pour rester en première place et donner un meilleur rendement financier aux investisseurs.
Avec la suppression de 350 postes d'ici le milieu de 2017, CAE procède à ses plus importantes abolitions de postes en six ans. « Il vaut mieux agir lorsque l'entreprise se trouve en position de force et peut investir dans les technologies », a déclaré le président Marc Parent, en août.
La société montréalaise rehausse la barre et améliore ses processus de production parce que de nouveaux rivaux, soit L-3 Link, Textron et Lockheed Martin, veulent aussi se tailler une place dans sa niche des simulateurs de vol civil.
« CAE reste le leader en ce qui concerne les coûts, grâce à l'avantage que lui confèrent ses simulateurs déjà installés et la fabrication annuelle d'un plus grand nombre d'unités. La concurrence des prix peut tout de même faire pression sur les marges », explique Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale.
Cette nouvelle cure lui coûtera 19 millions de dollars et lui permettra d'économiser de 15 à 20 M$, après 2017. « Le rendement de l'investissement sera rapide », note Fadi Chamoun, de BMO Marchés des capitaux.
Ces nouvelles réductions, ainsi qu'un meilleur taux d'utilisation de ses 10 écoles de pilotage, devraient faire passer les marges de la division civile de simulation et de formation de 16 à 20 % d'ici 2018.
Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux, apprécie l'approche proactive des dirigeants dans l'environnement plus concurrentiel, ainsi que leur engagement à améliorer les marges.
CAE a besoin de moins d'effectifs parce qu'elle a adopté une plateforme commune 7000XR pour tous ses simulateurs de vol civil. La plateforme unique requiert moins d'ingénierie et d'employés à la fabrication.
Son assemblage par modules accélère aussi le temps de fabrication et évite au client d'avoir à tester l'appareil deux fois, chez CAE et chez lui, explique Walter Sprakling, de RBC Marchés des Capitaux.
CAE offre aussi le plus large éventail de simulateurs de soins de la santé, mais il faudra que leurs ventes doublent ou même triplent pour qu'elles contribuent véritablement aux bénéfices.
M. Chamoun salue les mesures que prend CAE pour réduire ses dépenses en capital (de 50 à 60 M$ par année), pour diminuer ses coûts et pour augmenter les revenus réalisés à partir de chaque dollar d'actif.
Le rendement du capital employé, qui baisse depuis cinq trimestres, est aussi une priorité des dirigeants.
« Une meilleure performance financière pourrait justifier une évaluation plus élevée pour son action en Bourse, au fil du temps », croit M. Chamoun. Son cours cible de 16,50 $ est porteur d'un gain potentiel de 15 %.
En 2016, il prédit un bénéfice de 0,85 $ par action, qui surpassera pour la première fois le sommet de 0,79 $ atteint en 2009.
En générant plus de flux de trésorerie, CAE serait aussi en mesure d'augmenter encore plus rapidement son dividende et de racheter des actions, souhaite de son côté M. Doerksen.
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