Le livre Innovation is Everybody's Business de Robert Tucker est bien en vue dans le bureau de Carl Blanchet, au rez-de-chaussée du siège social de Cascades à Kingsey Falls. Un livre dont le réputé auteur américain aurait d'ailleurs très bien pu trouver l'inspiration chez Cascades. Car, malgré son rôle de responsable du développement stratégique de l'innovation au sein de l'entreprise, Carl Blanchet sait qu'il peut d'abord et avant tout compter sur la matière grise des quelque 12 000 employés de Cascades pour susciter de nouvelles façons de faire.
«Innover, c'est l'affaire de tous. Cascades s'est bâtie grâce à l'esprit entrepreneurial de ses employés, des idées qu'ils génèrent, et ça continue encore aujourd'hui», souligne le directeur corporatif, développement durable et innovation, qui occupe ce poste depuis un an, après avoir été directeur de plusieurs usines des différents groupes de l'entreprise depuis son arrivée en 1995.
Pour Cascades, qui célèbre ses 50 ans cette année, l'innovation n'est pas un concept nouveau. L'entreprise est justement née d'une idée novatrice, à l'époque où les mots recyclage et développement durable étaient loin d'être à la mode. Elle est dans l'ADN de cette pionnière du recyclage dont le modus operandi a toujours été de faire du neuf avec du vieux.
«L'innovation est ancrée dans notre culture, c'est dans nos gènes. Nous sommes nés en faisant de la récupération, au moment où le Canada produisait des quantités importantes de papier à partir de fibre vierge. Par la force des choses, il a toujours fallu innover pour développer des produits, des procédés ou des équipements qui n'existaient pas», rappelle le pdg de Cascades, Mario Plourde, devenu en mai dernier le premier dirigeant de l'entreprise à ne pas faire partie de la famille Lemaire.
Recherche et solutions maison
C'est d'ailleurs afin de rester à l'avant-garde de l'industrie que Cascades s'est dotée, au milieu des années 1980, d'un centre de recherche et développement qui est devenu le plus important centre privé de R-D du pays dans l'industrie des pâtes et papiers.
«Comme nous utilisons des matières recyclées, nos défis étaient différents de ceux des producteurs de pâte vierge. Il fallait trouver des façons d'améliorer la qualité de la pâte, d'enlever les contaminants, l'encre, la couleur, pour créer des papiers blancs et améliorer nos produits», souligne Jean Morin, qui dirige le centre depuis trois ans.
Mais au fil des ans, l'entreprise a surtout profité d'une multitude de «solutions maison» proposées par des employés. «Des centaines d'innovations ont été apportées à des équipements ou des façons de faire dans nos usines, parce qu'on est à l'écoute des employés, qui sont sur le terrain et qui proposent des solutions», fait valoir M. Blanchet.
C'est d'ailleurs à l'initiative d'un employé, Antoine Baril, que le Groupe d'intervention en énergie (GIE) a vu le jour, en 1997. Sa mission est de réduire la facture énergétique annuelle des usines de Cascades, qui s'élevait à 350 millions de dollars.
«Il a réussi à démontrer aux frères Lemaire que beaucoup d'argent était gaspillé et qu'une partie pouvait être récupérée si on se préoccupait d'efficacité énergétique», raconte Fabien Demougeot, directeur de Cascades GIE, qui compte aujourd'hui une vingtaine d'employés, comparativement à trois lors de sa mise sur pied. Depuis, Cascades GIE a réalisé plus de 200 projets d'efficacité énergétique, qui ont permis à l'entreprise d'économiser 55 M$.
La gestion de l'innovation
Mais tous les projets d'innovation ne se concrétisent pas. Et lorsque des idées proposées par des employés ne tiennent pas la route, «c'est très important de leur donner du feedback, de bien leur expliquer les raisons, sinon ça peut être démotivant», dit M. Blanchet.
Malgré ses succès en matière d'innovation, Cascades décidait en 2007 de mettre en place une stratégie visant une orientation plus intégrée. «Il fallait être mieux structuré, plus efficace et aussi être en mesure de mieux évaluer les efforts et les retombées liés à l'innovation», explique M. Plourde.
Le système de gestion de l'innovation (SGI) mis en place par Cascades a mené à la création d'un comité de gestion de l'innovation, responsable de rassembler et de sélectionner les idées. En mettant en place de telles structures plus organisées, Cascades devait toutefois s'assurer de ne pas éteindre la fibre entrepreneuriale de ses employés.
«Cascades a une culture très décentralisée et l'esprit d'initiative des employés est une valeur fondamentale qu'il faut conserver. Nous voulons que les employés continuent d'innover. L'objectif est surtout de mieux s'organiser, et non pas de créer des structures hiérarchiques qui freineraient cet esprit entrepreneurial», souligne Carl Blanchet.
De l'innovation à la commercialisation
Cascades visait aussi à étendre son potentiel d'innovation à l'ensemble de ses activités. Ainsi, le comité de gestion de l'innovation regroupe des membres qui travaillent dans les différents secteurs de l'entreprise, de la production aux finances, en passant par la logistique, les ressources humaines, les ventes et le marketing. «On est des producteurs, on est très forts pour innover dans nos procédés, nos équipements. Mais on veut aussi que tous les secteurs de l'entreprise mettent l'épaule à la roue», indique M. Blanchet.
Cascades souhaitait que cette intégration produise aussi de meilleurs succès commerciaux. «Il faut mieux arrimer le développement de nos produits aux besoins du marché, des clients», dit le dirigeant.
Par le passé, l'entreprise a en effet dépensé d'importantes sommes d'argent afin de développer des produits qui, pour diverses raisons, n'ont pas récolté les ventes escomptées. Par exemple, le papier essuie-mains antibactérien, lancé par Cascades en 2012, tarde encore à obtenir la faveur de la clientèle.
Ainsi, depuis son arrivée en poste il y a moins d'un an, Mario Plourde ne cesse de répéter à ses employés de «s'assurer que ce qu'on produit puisse aussi nous faire faire des factures ! On a souvent anticipé les besoins, mais parfois en étant trop en avance sur notre temps. Il ne faut pas développer juste pour développer, mais aussi être capable de commercialiser notre produit».
Cascades s'est d'ailleurs dotée d'un indicateur de performance en innovation qui mesure le pourcentage des ventes attribué aux nouveaux produits mis en marché au cours des trois années précédentes, par rapport aux ventes totales. En 2012, Cascades a atteint un volume de ventes issues de nouveaux produits et d'innovation de 8 %, un résultat légèrement sous l'objectif fixé à 10 %.
Ces trois dernières années, Cascades a investi 40 M$ de dollars en moyenne annuellement en R-D, soit 1,2 % de son chiffre d'affaires. Cet engagement financier, jumelé à la culture d'innovation qui la caractérise, lui a permis de maintenir le cap dans la tempête qui a frappé l'industrie des pâtes et papiers, laquelle fait face entre autres à la hausse du dollar et à la crise qui sévit depuis 2008, selon l'entreprise. «Une chance que nous sommes innovateurs, autant pour ce qui est de nos procédés que de nos produits, sinon nous aurions eu beaucoup plus de difficultés à passer au travers», dit M. Blanchet.