À partir de 2020, les entreprises et les citoyens canadiens pourraient devoir changer radicalement la façon dont ils consomment les ressources naturelles et gèrent leurs émissions polluantes, incluant leurs déchets. Et l'écofiscalité sera le moyen privilégié pour les inciter à changer leurs habitudes de consommation.
Un groupe d'éminents économistes canadiens dirigé par Chris Ragan, professeur d'économie à l'Université McGill, a annoncé mardi matin la création de la Commission sur l’écofiscalité du Canada.
Cette commission sera appuyée par un comité consultatif formé d’anciens leaders politiques issus de tous les horizons, dont de l’ancien premier ministre du Québec, Jean Charest, ou encore l’ancien chef de l’Opposition officielle à Ottawa, le réformiste Preston Manning.
La Commission étendra ses travaux sur cinq ans, soit d'ici 2020. Elle procédera à des consultations publiques, et elle émettra des recommandations destinées à tous les ordres de gouvernement, particulièrement ceux des provinces et des municipalités.
L’écofiscalité est un ensemble de mesures qui vise à corriger les signaux de prix de marché.
Cette fiscalité écologique à deux objectifs: accroître l’activité économique souhaitée (création d’emplois, investissement et innovation) et réduire celle indésirable (émissions de gaz à effet de serre, pollution de l’air et de l’eau, contamination des sols).
Selon l’Association médicale canadienne, les effets néfastes de la pollution sur la santé – maladies et décès prématurés – entraîneront des coûts de 228 milliards de dollars pour l’économie canadienne entre 2008 et 2031, d'une moyenne de 10G$ par année.
Pour sa part, l’OCDE estime chaque dollar investi aujourd’hui dans le secteur de l’électricité à faible émission de carbone, par exemple, se traduira par une économie de quatre dollars pour les générations futures.
Une stratégie qui peut être fiscalement neutre
Dans un entretien à Les Affaires, Jean Charest, aujourd'hui conseiller stratégique chez McCarthy Tétrault, souligne que l'écofiscalité n'implique pas nécessairement une hausse de taxes. Bref, elle peut être fiscalement neutre. «Elle nous permet seulement de faire des choix plus intelligents», dit-il.
Ce type de politique existe déjà dans le monde, surtout dans les pays industrialisés. Elles encadrent des enjeux fondamentaux liés à la qualité de l’eau, la pollution atmosphérique, la congestion routière, sans parler de l’enfouissement des déchets.
Or, le Canada traîne la patte dans ce domaine. Il se situe bien loin derrière d’autres pays membres de l’OCDE tels que l'Allemagne, la Norvège et le Royaume-Uni.
À Londres, par exemple, la tarification de l'utilisation de l'automobile a contribué à réduire de 36% la circulation dans une zone de congestion routière. De plus, cette chute a généré de nouveaux revenus qui ont permis aux autorités d'améliorer le réseau de transport dans la métropole britannique.
À l'autre bout du monde, Singapour tarifie la consommation d'eau - cette politique est toutefois assortie d'un crédit d’impôt pour en compenser l’impact sur les ménages à faible revenu. Cette stratégie a permis de réduire de 9% la consommation d'eau dans la cité État.
Le Québec n'est pas en reste, où l'on compte déjà quelques exemples d'écofiscalité.
Des exemples d'écofiscalité au Québec
En Estrie, le canton de Potton a diminué ses déchets résidentiels de 42% en un an, et ce, grâce à une stratégie de tarification.
Pour sa part, la ville de Beaconsfield – l’une des plus grandes productrices de déchets dans la grande région de Montréal – a mené un projet pilote pour réduire ses déchets résidentiels.
La stratégie est simple: tarifer les déchets afin d'inciter les citoyens à composter, permettant ainsi à la ville d'économiser sur les coûts de la collecte des ordures. Les premiers résultats montrent que les ménages participants ont réduit de 33% leurs rejets de déchets solides ramassés par la ville.
Le défi pour le Canada sera d'implanter une fiscalité écologique dans un contexte où les États-Unis sont réticents à ce type d'approche. Mais Jean Charest demeure néanmoins optimiste, car les mentalités changent, dit-il.
«Je suis convaincu qu'il y a aura une taxe sur le carbone [comme au Québec] dans 10 ans aux États-Unis. Des entreprises incluent désormais ce scénario dans leur plan d'affaires à long terme», souligne l'ancien premier ministre.
De plus, il est convaincu que le Canada peut influencer les États-Unis, comme il l'a fait sur d'autres enjeux environnementaux dans le passé. En 1991, Ottawa et Washington ont signé l'Accord sur la qualité de l'air, une entente qui a permis de réduire les pluies acides en Amérique du Nord.