L'entrepreneure Maria Seidman est née à Kiev, en Ukraine. Elle a amorcé sa carrière chez Goldman Sachs avant de migrer vers le secteur du divertissement numérique chez MGM et Warner Bros. En 2011, elle fonde Yapp, une plateforme permettant à n'importe qui de développer une application mobile. En 2014, elle est nommée «Entrepreneure émergente de l'année». Elle sera conférencière au Women's Forum, à Deauville.
Diane Bérard - En 2014, vous avez été nommée «Entrepreneure émergente de l'année» par le magazine américain Entrepreneur. Quelle est la nature de votre entreprise ?
Maria Seidman - Yapp est une réponse à «l'applification du monde». Nous avons créé une plateforme qui permet à tous ceux qui ne sont pas des cracks de l'informatique de créer une application mobile en quelques minutes.
D.B. - Votre modèle d'entreprise a évolué depuis le lancement en 2011. Expliquez-nous.
M.S. - Il y a quatre ans, nous avions peu de concurrents. Nous avions donc décidé de servir toutes les clientèles. Depuis, le mobile a explosé et le mouvement «d'applification» s'est amplifié. Nous sommes donc en train de pivoter. Nous visons désormais les groupes et les événements associatifs. Ainsi, l'association des pédiatres peut utiliser Yapp pour mettre au point une application destinée aux congressistes de son rendez-vous annuel. Yapp peut aussi servir à rassembler des individus éparpillés. Des gens qui partagent un hobby, par exemple.
D.B. - Pourquoi avoir lancé ce type de produit ?
M.S. - Tout simplement parce que j'en avais besoin ! En 2012, le groupe de femmes auxquelles j'appartenais préparait une retraite fermée. Nous voulions créer une application mobile autour de l'événement. J'ai cherché et cherché, mais tous les outils de développement proposés à l'époque étaient trop compliqués.
D.B. - Votre expérience dans le secteur de la technologie vous a-t-elle servie ?
M.S. - J'ai travaillé comme investisseuse en capital de risque dans le secteur technologique. Puis, chez MGM, dans la vidéo sur demande, et chez Warner Bros., pour le groupe de distribution numérique. J'ai donc développé une bonne compréhension de l'univers numérique. Mais je ne possède aucune connaissance technique. Je ne sais pas programmer et je voulais créer un métasystème qui permettrait de créer des applications en tous genres.
D.B. - Votre défi le plus important a été de trouver un partenaire, une quête épuisante... Racontez-nous.
M.S. - J'étais nouvellement installée à New York, où je ne disposais d'aucun réseau de connaissances. Pendant six mois, j'ai parlé de ma quête du partenaire d'affaires idéal à tout le monde : ma coiffeuse, les parents de l'école où allaient mes enfants, les inconnus lors de soirées mondaines, mes voisins de table au restaurant, etc. Je me suis aussi présentée à tous les rendez-vous de geeks dont j'entendais parler. J'ai traqué des inconnus sur LinkedIn. Je n'avais plus aucun ego ! Puis, alors que je prenais un autre café en compagnie d'une énième source potentielle... bingo ! La dame avait ses entrées au club des chefs de la technologie de New York. Elle m'a refilé la liste des membres et leur adresse courriel. Je leur ai envoyé une description du poste que j'avais à pourvoir. Luke Melia a répondu à mon appel ; ma quête était terminée.
D.B. - Votre chemin vers l'entrepreneuriat est passé par la grande entreprise. C'était une mauvaise piste. Pourquoi ?
M.S. - Il y a longtemps que je m'intéresse à l'entrepreneuriat. J'ai d'abord voulu me lancer en affaires pendant que je faisais mes études de MBA à Stanford. J'ai laissé tomber parce que je ne comprenais pas suffisamment l'industrie que je visais. J'ai donc décidé d'aller y travailler et je me suis jointe à Warner Bros. Je pensais que cela me permettrait de cerner des problèmes précis que je pourrais résoudre par l'entrepreneuriat. C'était un raisonnement naïf. Toutes les innovations importantes de cette industrie ont été imaginées à l'extérieur des studios.
D.B. - Qu'est-ce qui a grincé ?
M.S. - Dès que j'ai rejoint Warner, je me suis adaptée à la façon de penser et de travailler de l'entreprise. Il fallait demander la permission à mes supérieurs, aux actionnaires. Or, pour innover, il ne faut pas demander la permission avant. Il faut plutôt dire «pardon» après.
D.B. - Dites-nous-en davantage...
M.S. - Prenons le cas de Flickster, un service de recommandation et de visionnement de films acquis par Warner en 2011. J'ai participé à cette transaction. Warner aurait dû mettre au point Flickster à l'interne, pas l'acheter. Mais c'était impossible. Il y a trop de processus rigides et d'habitudes bien installées pour que fleurissent de tels projets chez Warner.
D.B. - Six mois après le lancement de Yapp, vous avez fait une présentation devant des investisseurs. Vous étiez enceinte de plusieurs mois. Cela vous a-t-il nui ?
M.S. - Mes réflexions sur la façon dont on traite les femmes dans le secteur techno sont plutôt nuancées. Puis-je affirmer que j'ai été victime de discrimination ? Non. Il y a tant de raisons pour lesquelles on peut refuser de vous financer. Très souvent, l'entrepreneur ne connaîtra jamais les véritables raisons du refus. Comment affirmer que le fait d'être une femme a influé sur la décision ? Je crois toutefois qu'il est sain que le débat ait lieu, pour qu'on reste vigilants.
D.B. - Peut-on réduire les risques de discrimination ?
M.S. - Oui. Il faut multiplier les modèles de réussite et en parler. Plus on mettra en avant les femmes qui réussissent dans le secteur de la technologie, plus cela en inspirera d'autres à s'engager dans ce secteur. Et plus cela normalisera leur présence.
D.B. - Lors de vos études en entrepreneuriat à l'université californienne Stanford, qu'avez-vous appris de plus utile pour votre quotidien d'entrepreneure ?
M.S. - C'est un programme incroyable. Je suis impressionnée de la rapidité avec laquelle l'université adapte le contenu pour qu'il soit contemporain. J'y ai appris le marketing, la finance, la comptabilité et toutes les matières de base, bien sûr. Mais le cours dont le contenu me sert chaque jour est celui qui abordait les relations interpersonnelles. Il m'a appris, entre autres, la façon d'amorcer des conversations difficiles et de composer avec tous les types de personnalités.
D.B. - Comment décririez-vous le rôle d'un entrepreneur ?
M.S. - Il existe plusieurs perceptions, et elles ne correspondent pas toujours à la réalité. Je vais vous parler de ma réalité. L'entrepreneur est celui qui résout des problèmes pour que tout le monde autour de lui puisse travailler.
D.B. - On dit souvent qu'on ne peut pas évaluer le rendement des entreprises du secteur techno en se fiant aux mesures traditionnelles. Qu'en pensez-vous ?
M.S. - Pendant le démarrage, nous avons souscrit à ce raisonnement. Nous suivions seulement le nombre de nos clients. S'il grimpait, nous étions satisfaits. Aujourd'hui, nous regardons, par exemple, les revenus récurrents - les clients qui reviennent - et le coût d'acquisition - certains clients n'en valent pas la peine. Vous savez, l'argent sonnant qui entre chaque mois dans vos coffres reste une mesure significative.