Ron Cao est un pionnier du capital de risque chinois. En 2006, Lightspeed Venture Partners, un capital-risqueur de la Silicon Valley, l'a mandaté pour ouvrir un bureau à Shanghai. Les premières années ont été difficiles. Depuis, le secteur s'est développé. Le portefeuille de Lightspeed China compte une trentaine d'investissements. J'ai rencontré Ron Cao au Forum économique mondial à Dalian, en Chine.
Diane Bérard - Vous êtes capital-risqueur en Chine. Êtes-vous nombreux dans ce domaine ?
RON CAO - En 2006, lorsque j'ai démarré le bureau chinois de Lightspeed Venture Partners, je me sentais bien seul. À cette époque, une poignée de firmes proposaient du capital de risque. Et les fonds d'investissement privés n'étaient pas légion. Et puis, tout le monde était généraliste. Aucun investisseur n'offrait d'expertise particulière en fonction du stade de développement de l'entreprise ou de son secteur d'activité. Aujourd'hui, notre industrie a gagné de nombreux acteurs et a atteint un certain niveau de maturité et de spécialisation. On trouve, entre autres, des investisseurs spécialisés en santé et en technologie.
D.B. - Quelle est la spécialité de Lightspeed China ?
R.C. - Nous finançons les entreprises technos chinoises en démarrage. À nos débuts, nous étions une filiale de Lightspeed US. Depuis 2011, nous avons développé une structure de financement indépendante. En plus de notre bureau de Shanghai, nous avons ajouté un bureau à Beijing.
D.B. - Comment se sont déroulées les premières années de Lightspeed China ?
R.C. - Elles ont été difficiles. Le rôle de pionnier n'est pas nécessairement simple. Vous êtes le premier, pour le meilleur et pour le pire. En 2006, la croissance phénoménale de la Chine nous dictait qu'il fallait occuper le territoire du capital de risque. Nous avons plongé. Mais notre argent est arrivé avant les projets de qualité. Ce n'est pas parce que la Chine connaissait une croissance de 10 % qu'elle regorgeait d'entrepreneurs doués. L'économie roulait presque toute seule grâce aux commandes de l'Occident.
D.B. - Et quelle est la situation aujourd'hui ?
R.C. - Tous les indicateurs se sont améliorés. La Chine comprend de nombreux entrepreneurs aguerris. Ceux-ci développent des modèles d'entreprise élaborés. Ils connaissent la technologie. Sans compter que la population en général aussi se convertit rapidement à la technologie. Ce qui accroît les occasions d'affaires pour les développeurs. Et, par conséquent, les occasions d'investissement pour nous. Et puis, comme l'offre et la demande se multiplient, il est plus facile de revendre ses parts lorsqu'on veut passer à autre chose. Bref, ma vie est beaucoup plus facile qu'en 2006 !
D.B. - Vous êtes de ces Chinois élevés entre la Chine et les États-Unis. Quelle est votre histoire ?
R.C. - Je suis né en Chine, à Shanghai. Quand j'avais 10 ans, ma famille a déménagé sur la côte est américaine. Au secondaire, j'ai étudié à Boston. Puis, j'ai décroché un diplôme en génie informatique du Massachusetts Institute of Technology (MIT). J'ai d'abord travaillé dans la grande entreprise. J'étais au marketing chez Intel. Ensuite, je me suis essayé à l'entrepreneuriat avant de décider que mon truc, c'était l'investissement.
D.B. - Vous avez travaillé à la Silicon Valley pour KLM Capital, un des plus importants capital-risqueurs technos américains. Quelle comparaison faites-vous entre le secteur de l'investissement techno américain et celui de la Chine ?
R.C. - Aux États-Unis, les acteurs Internet attirent beaucoup l'attention. Les Snapchat, Twitter et compagnie font constamment les manchettes. Mais, à part quelques exceptions, les rendements les plus importants proviennent encore d'un sous-secteur beaucoup moins sexy, celui des technologies de l'information (TI) pour l'entreprise. Ce secteur comprend, entre autres, les services de centres de données, d'infonuagique et les technologies d'entreposage de données. En Chine, c'est le contraire. Les applications pour consommateurs se développent plus vite et offrent un meilleur rendement aux investisseurs que les services TI aux entreprises.
D.B. - Qu'est-ce qui distingue les équipes chinoises dans lesquelles vous investissez des équipes américaines ?
R.C. - En Chine, nous nous montrons très pointilleux sur les qualités de gestionnaire du fondateur. Il doit être compétent, car nous savons qu'il nous sera impossible de le remplacer. Cela va à l'encontre de la culture chinoise. En Chine, le fondateur est là pour rester. Aux États-Unis, la plupart des start-up sont démarrées par des geeks. Ce sont des as de la techno, mais la gestion n'est pas leur point fort. Et ils le savent. Ils ne sont pas surpris lorsqu'un investissement est conditionnel au remplacement du pdg. De plus, en Chine, la bureaucratie est très lourde. Le pdg doit être assez solide pour naviguer dans l'appareil bureaucratique. Une autre raison pour laquelle un investisseur devrait se soucier davantage en Chine qu'aux États-Unis de la qualité du pdg.
D.B. - Les motivations des entrepreneurs chinois diffèrent de celles des entrepreneurs américains. Dites-nous-en plus à ce sujet.
R.C. - Je ne peux pas parler pour tous les entrepreneurs américains. Je vais me contenter de parler de ceux que je connais, les artisans des start-up de la Silicon Valley. Ils sont de plus en plus nombreux à manifester le désir de créer de la valeur pour la société. Ils aspirent à ce que leur projet d'entreprise ait un impact au-delà de l'accomplissement de leur rêve d'entrepreneur. En Chine, les entrepreneurs que je croise en sont encore à parler de leur rêve. C'est peut-être normal, car l'entrepreneuriat chinois n'est pas rendu à la même étape que l'entrepreneuriat américain.
D.B. - On a l'impression que les entrepreneurs technos chinois imitent les bonnes idées de leurs homologues étrangers plutôt que de trouver leur voie. Qu'en pensez-vous ?
R.C. - La Chine s'est beaucoup inspirée des États-Unis, c'est vrai. Mais ça change. Je suis convaincu qu'elle produira bientôt de nouveaux types de plateformes sans équivalent étranger. Toutefois, il reste deux défis à surmonter. D'abord, les entreprises devront investir davantage dans les TI pour implanter une infrastructure en mesure de soutenir leurs projets. Ensuite, il faut former davantage de techniciens compétents. Ils ne suffisent pas à combler les besoins des entreprises.
D.B. - Tous les discours du premier ministre Li Keqiang mentionnent le mot «entrepreneuriat». Qu'y a-t-il au-delà de ce mot ?
R.C. - Le gouvernement chinois est conscient que l'entrepreneuriat constitue le nerf de la guerre. Il sait que nous devons cesser de simplement fabriquer des biens pour commencer à en créer. On assiste à de nombreuses initiatives à la fois privées et publiques ; un réseau de soutien se développe. Les entrepreneurs ont maintenant accès à des incubateurs régionaux privés aussi bien que des incubateurs gouvernementaux.
D.B. - Comme investisseur, que vous manque-t-il pour mieux accomplir votre travail ?
R.C. - Ce n'est pas une question facile... Disons que le marché des capitaux chinois est beaucoup moins développé que celui des États-Unis. Et que, pour l'instant, il ne se dirige pas dans la bonne direction. Je comprends les investisseurs étrangers de ne pas avoir envie de se mouiller à la Bourse chinoise. Mais ça s'améliorera. La Chine bouge vite. Et le gouvernement s'inspire des meilleurs du monde.