C'est en sortant du Louvre, qu'il visitait pour la première fois à 18 ans, que François Rochon, président de Giverny Capital, a découvert sa passion pour l'art. Aujourd'hui âgé de 45 ans, il est devenu un important collectionneur d'art actuel et rêve de bâtir un musée pour y exposer ses trésors.
«Je ne suis pas un philanthrope, dit tout de go François Rochon. Quand j'achète une oeuvre d'art, j'acquiers quelque chose de précieux qui transcende la valeur financière et qui me donne du bonheur. Je le fais pour m'entourer de merveilles plutôt que de dépenser mon argent en achetant une voiture ou une grande maison.
«Et si ça permet de soutenir les artistes, c'est tant mieux.»
Même s'il ne se reconnaît pas dans l'étiquette de mécène - «j'achète avant tout pour mon plaisir» -, il soutient par le fait même le secteur de l'art actuel. D'ailleurs, bien qu'il ne se sente pas investi d'une mission, il n'a pas hésité à organiser une exposition des oeuvres de la photographe Lynne Cohen au Musée McCord en 2012, «parce que je considérais qu'elle n'était pas vraiment reconnue à sa juste valeur.»
La moitié de ses bénéfices pour l'art
Par «amour de l'art», il a décidé, lors de la création de son entreprise de gestion de portefeuille Giverny Capital, en 1998, de consacrer 50 % de ses bénéfices à l'acquisition d'oeuvres d'art. À raison de l'achat d'une dizaine d'oeuvres par année (au coût de 5 000 à 10 000 $ chacune), la collection a déjà une belle ampleur. À tel point qu'il a dû prévoir un entrepôt pour les abriter, les murs des 7 000 pi2 de ses bureaux ne suffisant plus à les exposer toutes.
Peintures, installations, sculptures, photos, vidéos : sa collection, très diversifiée, est axée sur l'art actuel et constituée à 80 % d'art québécois. Marc Séguin, Pierre Dorion, Michel De Broin, Lynne Cohen... Ce ne sont que quelques-uns des artistes qui figurent parmi les préférés de François Rochon. «Je veux bâtir un patrimoine artistique de notre ère, bâtir un sanctuaire de la beauté qu'on crée aujourd'hui. Pour moi, une grande oeuvre, c'est comme le testament d'une civilisation ; ce qui y survit, ce qui témoigne du passage d'un groupe d'humains. Une oeuvre d'art a donc un rôle de pérennité d'une civilisation et n'est pas un outil d'investissement», explique le collectionneur. Son but est de rassembler, un jour, ces oeuvres dans un bel et vaste endroit «en campagne, au bord de l'eau» pour partager son amour de l'art avec le public.
Collectionneur visionnaire
Une quête qui en surprend plus d'un. Issu d'une famille peu accoutumée à l'art, François Rochon a grandi loin des musées. En l'espace de 25 ans, il est devenu non seulement un fin connaisseur de l'histoire de l'art et des courants actuels, mais aussi un amoureux des oeuvres contemporaines avant-gardistes. Un goût qui laisse parfois ses proches pantois. «Certains pensent que c'est ridicule de passer autant de temps et de dépenser autant d'argent dans cela», souligne-t-il.
Une considération sans importance pour ce passionné qui passe ses vacances à courir les musées et les galeries du monde entier. Et qui sait que les collectionneurs de la grande histoire étaient des visionnaires qui, comme les artistes qu'ils soutenaient, étaient rarement reconnus de leur vivant.
Son projet - le musée - «donne un sens à ma vie, à mon quotidien», affirme le chef d'entreprise, qui choisit ses oeuvres comme il choisit les entreprises dans lesquelles il investit : méthodiquement. Car, avant d'acquérir une oeuvre, François Rochon fait un véritable travail de recherche. Pour qu'une pièce entre dans sa collection, elle doit non seulement être de grande qualité, mais aussi former un ensemble cohérent avec les autres.
«Je regarde les oeuvres des 30 à 40 artistes phares pour voir quelle serait la meilleure à acquérir en fonction de mon budget. C'est le même type de démarche que dans mon travail : rechercher les entreprises exceptionnelles, mais dont le marché n'a pas encore perçu le potentiel. J'essaie de trouver les perles qui ne sont pas encore reconnues comme telles.»
Goût pour l'innovation
Son critère principal : la nature innovatrice des oeuvres. «J'aime cet art avant-gardiste sûrement parce que ça me bouscule. C'est un art qui présente un défi intellectuel. J'aime le sentiment d'être dans de nouveaux territoires esthétiques», confie celui qui est aussi un admirateur inconditionnel des impressionnistes, au point d'avoir donné à son entreprise le nom des jardins de Monet, Giverny.
Derrière le collectionneur, qui bâtit peu à peu sa «cathédrale», se cache un philanthrope qui s'exprime à travers le prix Giverny Capital (www.prixgivernycapital.com). Tous les deux ans depuis 2007, une bourse de 10 000 $ est remise à un artiste en art visuel actuel repéré par un jury constitué de spécialistes. L'année dernière, c'est Jean-Pierre Aubé qui s'est vu décerner le prix après l'Action terroriste socialement acceptable (ATSA) en 2011. Auparavant, il y a eu Mathieu Beauséjour en 2009 et Diane Landry en 2007. François Rochon donne aussi de lui-même en siégeant notamment dans des comités d'acquisition d'oeuvres de divers musées.
Derrière cette vie bien remplie, François Rochon poursuit inexorablement un but vers lequel il concentre tous ses efforts : construire le musée dont il rêve depuis déjà plus de 20 ans afin de «partager» sa passion pour l'art.