La décision de réaliser une première ronde de financement est importante et souvent incontournable dans l'existence d'une jeune start-up.
J'ai eu le plaisir d'être invité récemment à titre de mentor pour mener une discussion sur la façon de «lever sa première ronde de financement» avec les finissants de la cohorte du nouvel accélérateur Dobson X-1, de l'Université McGill. Voici quelques questions clés auxquelles j'ai invité les entrepreneurs à réfléchir avant de lever un montant important de capital, auprès d'anges ou de fonds de capital de risque.
1. En avez-vous vraiment besoin ?
La première question est de savoir si l'équipe devrait lever des fonds ou non, de façon générale. Il y a deux profils principaux d'entreprise : l'entreprise à croissance modeste qui peut s'autofinancer à court ou à moyen terme (comme une agence de développement Web) et l'entreprise qui nécessitera des investissements importants pour devenir un chef de file dans son domaine (une start-up techno comme Airbnb ou Uber). Avec le coût de démarrage d'une start-up, qui est à la baisse, avez-vous vraiment besoin de capital externe ? Y a-t-il d'autres moyens moins dilutifs de financer votre projet, auprès de vos clients, de vos fournisseurs, de vos fondateurs ou par des bourses d'aide au démarrage ?
2. Pour quoi faire ?
La raison principale pour lever du capital est de soutenir et d'accélérer une croissance existante. Il est acceptable et même probable que vous n'ayez pas encore atteint votre adéquation produit-marché (product market fit), mais vous devriez voir des signes de traction clairs, sur le plan des ventes, du trafic, de l'engagement des usagers ou des inscriptions. Dans l'absence de toute traction mesurable, vous devrez convaincre les financiers que votre équipe est la meilleure du monde pour bâtir le produit que vous proposez, et que le marché a absolument besoin de ce produit, ce qui est une tâche beaucoup plus ardue. Dans tous les cas, l'infusion de capital servira à vous faire parvenir à la prochaine étape de votre plan d'affaires.
3. Quel est le meilleur moment ?
Oui, la tentation de lever des fonds sera forte quand il ne restera plus d'argent dans le compte de votre entreprise (ou dans votre compte personnel), mais le bon moment pour en lever est plutôt quand vous aurez une bonne histoire de croissance à raconter et que vous serez capables de bien définir vos objectifs pour atteindre le prochain palier de croissance, ainsi que le chemin pour vous y rendre.
4. Qui solliciter ?
Une fois que vous avez décidé de lever des fonds, encore faut-il trouver le bon partenaire ! Pour un montant inférieur à 250 000 $, mieux vaut penser à rallier quelques anges financiers. Cela n'empêche pas que certains fonds puissent vouloir se joindre à la partie. Idéalement, vous cherchez des anges qui ont de l'expérience dans votre domaine, qui sont capables d'ajouter de la valeur et qui ont un réseau pour vous ouvrir des portes.
Auprès des fonds de capital de risque, vous cherchez à la fois un fonds qui connaît votre domaine et un investisseur avec lequel il vous sera possible de bâtir une bonne relation. Cela est d'autant plus important que ces investisseurs siégeront généralement à votre conseil d'administration une fois la ronde terminée.
5. Où chercher ?
Vous devrez vous interroger sur votre préférence entre les investisseurs locaux (à Montréal ou au Québec) et internationaux. Il me semble préférable d'avoir quelques investisseurs locaux qui pourront plus facilement vous suivre à vos débuts, vous rencontrer fréquemment à votre bureau et qui connaissent bien la réalité de votre écosystème. Les investisseurs internationaux peuvent cependant ajouter prestige et expérience, voire un réseau d'envergure mondiale.
6. Faut-il multiplier les demandes ?
Vous avez avantage à lancer le processus de financement «en parallèle» avec plusieurs firmes, plutôt qu'en série. Une levée de fonds prend de trois à six mois en moyenne. Les investisseurs ont souvent plusieurs étapes à franchir (rencontre exploratoire, réunion avec les associés du fonds, etc.). Une fois que l'entrepreneur aura reçu la lettre d'intention du financement, il aura typiquement quelques jours pour décider, d'où l'importance d'avoir entamé les démarches au préalable avec d'autres fonds. Dans tout le processus, il est important de faire beaucoup de recherche sur le fonds et ses objectifs, les associés et leurs investissements passés, etc. Il est aussi important de rester humble et respectueux. Les investisseurs voient beaucoup de projets tous les jours, et il n'est pas inhabituel pour un entrepreneur de recevoir des dizaines de «non» avant de trouver un financier prêt à s'investir.
7. Quels instruments choisir ?
Vous avez différents choix d'instruments financiers. Les principaux sont l'équité et la dette. Certains entrepreneurs préfèrent établir une valorisation explicite de l'entreprise et vendre une participation en équité aux investisseurs. Certains préfèrent lever de la dette qui sera convertie en équité à la prochaine ronde, typiquement avec un rabais (discount) et un prix plafond (cap, soit la plus haute valorisation possible lors de la conversion et qui approche souvent la valorisation de votre entreprise au moment de l'investissement initial). Il est bon d'avoir une conversation avec ses investisseurs potentiels par rapport à leur préférence à cet égard. Il y a d'autres options aussi, comme des bourses gouvernementales ou des crédits d'impôt, qui peuvent assurer un certain financement.
8. Quel montant lever ?
Certains prétendent que la réponse est «autant que possible» (prendre l'argent pendant qu'il passe). D'autres prétendent que c'est plutôt «aussi peu que possible» (éviter la dilution). La réponse est de lever un montant d'argent qui vous permet d'atteindre vos objectifs pour la prochaine étape, que vous savez comment dépenser intelligemment pour les atteindre et qui équivaut à un niveau de dilution avec lequel vous et vos cofondateurs êtes à l'aise. Typiquement, ce montant correspond à vos besoins en capital pour environ 18 mois d'exploitation. À Montréal aujourd'hui, je dirais qu'une petite ronde varie de 100 000 à 250 000 $, une moyenne tourne autour d'un million de dollars, et une grande première ronde varie de 2 à 5 M$. La taille de votre ronde dépendra aussi des valorisations qui vous seront proposées. Les entrepreneurs devraient tenter autant que possible de céder au plus de 10 à 20 % de leur entreprise à chaque ronde pour rester assez intéressés eux-mêmes à long terme.
9. À combien valoriser votre entreprise ?
La valorisation est un art plutôt qu'une science, surtout au stade du démarrage. La vraie réponse est souvent «le prix que d'autres investisseurs sont prêts à payer». Pour l'estimer, il est possible de consulter le site Angelist qui consacre une section aux valorisations d'entreprise. À Montréal, une valorisation moyenne pour une première ronde se situe autour de 4 M$ selon mon estimation, bien que votre valorisation puisse varier en fonction d'un grand nombre de facteurs (équipe, marché, produit, croissance). Pour les rondes futures, il sera souvent plus facile d'appliquer un multiple sur les ventes ou les bénéfices ou bien d'établir des comparaisons avec d'autres entreprises dans le domaine à un stade similaire.
10. Comment négocier les termes du financement ?
Préférence de liquidation, prorata, clauses de coercition (shotgun), etc. Comment s'y retrouver ? Je suggère le conseil d'un bon avocat qui travaille souvent avec des start-up (demandez-lui avec lesquelles il collabore) pour naviguer dans les clauses à inclure ou à exclure. Le livre Venture Deals: Be Smarter Than Your Lawyer and Venture Capitalist de l'investisseur Brad Feld et de Jason Mendelson est la référence incontestée pour ceux qui voudraient s'instruire davantage sur les termes juridiques liés au financement. Cela dit, gardez en tête que la plupart des bons investisseurs (autant les fonds que les anges actifs) utilisent des modèles assez standards, peaufinés au fil des années, protégeant à la fois les entrepreneurs et les investisseurs, et qui pourront servir d'excellente base à votre négociation.
Dans tous les cas, bon courage ! Surtout, n'oubliez pas que lever du financement, aussi ardu que le processus puisse parfois être, ne représente jamais une fin en soi, mais plutôt un début. Le vrai travail reste ensuite à faire !
LP Maurice est le pdg et cofondateur de Busbud, une entreprise de commerce électronique spécialisée dans le voyage en autobus interurbain partout dans le monde. Il a été le lauréat du prix Arista «Entrepreneur de l'année» (démarrage) en 2014. Précédemment, M. Maurice a travaillé à Silicon Valley chez Yahoo et LinkedIn, et possède un MBA de l'université Harvard. LP Maurice est un ange investisseur et un mentor actif dans la communauté start-up montréalaise. Il est aussi associé de Credo, un accélérateur de projets, ainsi qu'un des instigateurs de La Gare, un espace collaboratif dans le Mile-End, à Montréal. Pour le suivre sur Twitter: @lpmo