Le 15 mai prochain, 150 jeunes professionnels déambuleront dans une dizaine de galeries et d'ateliers d'artistes de Montréal pendant toute la soirée à l'occasion de la cinquième édition du Rallye des galeries organisé par artsScène. Le succès de l'événement ne cesse de croître.
Convaincu que le Québec a besoin de plus de mécènes culturels, Sébastien Barangé a cofondé il y a cinq ans l'association qui réunit aujourd'hui une quarantaine de membres bénévoles. Âge moyen : 35 ans.
L'objectif d'artsScène est d'inciter ces jeunes du milieu des affaires à soutenir des organismes culturels et des artistes par des dons ou par leur présence aux conseils d'administration. Pour ce faire, il organise des événements : assister à une répétition de la chorégraphe Marie Chouinard, rencontrer l'auteure Kim Thuy, visiter l'atelier d'un artiste.
La nouvelle génération ne veut pas seulement donner, elle veut s'engager et faire une expérience inédite, nouer des liens directs avec les artistes. Des artistes qui, pour la plupart, acceptent ces «intrusions» dans le monde intime de la création et du spectacle, ravis de ce nouvel intérêt pour leur art et... conscients d'avoir à charmer ces mécènes potentiels.
Diversifier les revenus
En effet, le constat est le suivant : «Les organismes culturels doivent augmenter leurs revenus autogénérés», affirme Sébastien Barangé, 39 ans, mécène, coprésident d'artsScène et co-initiateur de Jeunes mécènes pour les arts, qui offre une bourse annuelle de 5 000 $ à un artiste innovant.
Les comptes publics déclinent, les subventions fondent et les artistes doivent trouver de nouvelles sources de revenus. Dans ce contexte, il faut favoriser la relève dans le mécénat culturel. C'est ainsi que des regroupements de jeunes du milieu des affaires se multiplient à l'intérieur ou hors des organismes culturels.
Alexandre Taillefer, président du conseil d'administration du Musée d'art contemporain de Montréal et coprésident du Forum art-affaires de Montréal, soutient que dans le cadre de la diversification des revenus, «il ne faut pas faire reposer la croissance d'un organisme culturel sur le mécénat, qui peut disparaître à tout moment» et que «ce qui est important, c'est le développement de la clientèle qui achète des billets et des abonnements». Néanmoins, les organismes culturels ne peuvent plus se passer du soutien du milieu des affaires. Ils le savent et s'y sont faits.
Ce n'est pourtant pas une sinécure. Selon le rapport Bourgie sur la philanthropie culturelle publié en 2013, non seulement les grands donateurs sont moins nombreux au Québec, mais les Québécois font des dons moins élevés que les autres Canadiens. De plus, seulement 3 % des dons de particuliers sont destinés au domaine des arts et de la culture (2010).
Le rapport propose d'ailleurs des solutions visant à augmenter de 50 % les dons des particuliers et des entreprises dans ce secteur de façon à faire passer le montant total de 45 à 68 millions de dollars. «On est au tout début du rééquilibrage entre le soutien de l'État, celui du privé et les entrées (billets et abonnements)», indique Sébastien Barangé.
La culture, parent pauvre
Les habitués des campagnes de financement du milieu culturel le savent : «C'est le domaine le plus difficile pour la collecte de fonds. C'est plus facile dans le secteur de la santé ou dans celui des dons pour les enfants», reconnaît Jean-Pierre Desrosiers, associé à Fasken Martineau et mécène depuis 20 ans. Il est le récipiendaire en 2013 du prix Ramon John Hnatyshyn pour le bénévolat dans les arts du spectacle.
Tandis que de grandes institutions comme la Banque Nationale préfèrent «soutenir les institutions majeures, névralgiques pour notre identité culturelle» comme l'Orchestre symphonique de Montréal, Jean-Pierre Desrosiers, lui, a choisi de soutenir de petits organismes «où le rapport humain est plus proche» et qui sont souvent moins bien nantis.
Il a organisé de nombreuses campagnes de financement en compagnie de Marie-Andrée Roussel, conseillère en campagnes de levée de fonds, qui a consacré sa vie professionnelle à aider des organismes culturels - principalement des théâtres d'avant-garde - à garnir leurs coffres.
La difficulté de la collecte de fonds pour la culture, elle la connaît. «La structure d'une compagnie artistique est un critère pour les mécènes. Parfois, des donateurs soutiennent un organisme à condition qu'il se restructure. Dans ce cas, ils placent une personne du milieu des affaires au sein du conseil d'administration pour l'aider», explique Mme Roussel.
La nécessité de convaincre des partenaires privés a exigé une révolution culturelle dans le milieu de l'art, peu habitué à se vendre et à côtoyer les gens d'affaires.
L'entreprise montréalaise Massivart tente de faire le lien entre ces deux mondes «qui ont besoin l'un de l'autre, mais ne savent pas toujours comment s'approcher et se parler», résume Sébastien Barangé. Massivart propose de «coacher» des artistes pour qu'ils sachent comment interagir avec des mécènes potentiels. «Nous servons d'intermédiaire aux gens d'affaires, ce qui leur permet de parler aux artistes dans leur langage plutôt que dans celui des affaires», souligne Philippe Demers, directeur général de Massivart.
Des liens à développer encore
Les ponts entre les deux univers - l'art et les affaires - sont jetés. La relève dans le mécénat est là. «Ça ne veut pas dire que la bataille est gagnée», met en garde Jo-Ann Kane, conservatrice indépendante.
«Il faut encore développer l'idée qu'avoir une culture riche, c'est important et c'est ce qui crée une économie riche», dit Alexandre Taillefer.
«Les prochains territoires à défricher sont les régions et les PME», juge Sébastien Barangé. Le rapport Bourgie avait recommandé la création d'un organisme - PArtenaires - à l'échelle du Québec, dont le rôle serait de faire le lien entre le monde de la culture et celui des affaires.