À 28 ans, John Hope Bryant figurait sur la liste des 50 leaders les plus prometteurs du magazine Times. Vingt ans plus tard, il est le porte-étendard américain de la dignité financière pour tous. Son organisme, Operation HOPE, facilite l'accès au financement, la formation et la responsabilisation financière auprès des communautés les moins bien servies.
Diane BÉRARD - Quelle est la mission d'Operation HOPE ?
JOHN HOPE BRYANT - Operation HOPE est une entreprise à but non lucratif d'investissement social. Nous facilitons l'accès à la propriété aux familles peu fortunées. Nous contribuons aussi au financement des PME et au développement des communautés mal desservies par le gouvernement. Depuis le lancement en 1992, nos 20 000 bénévoles ont contribué, entre autres, à des prêts de 1,2 milliard de dollars dans 300 villes américaines. Nous sommes aussi présents au Maroc et en Afrique du Sud.
D.B. - Lors d'un récent sondage, une majorité de Canadiens a affirmé qu'il est important de gérer ses finances personnelles. Mais une majorité a aussi répondu qu'elle ne posait aucun geste concret pour développer ses connaissances. Comment expliquer ce paradoxe ?
J.H.B. - Les finances personnelles n'ont rien à voir avec la logique. C'est une question émotive. Les finances personnelles sont liées à l'estime et au respect de soi. Qui ose avouer publiquement qu'il ne comprend rien aux hypothèques ? Alors, on choisit l'évitement.
D.B. - Chaque année, au Canada, le mois de novembre est celui de la littératie financière. Malgré les efforts de sensibilisation, on sent peu de progrès. Quel est le problème ?
J.H.B. - On traite la littératie financière comme s'il s'agissait de cours de math en s'adressant uniquement à l'hémisphère gauche du cerveau. C'est perdu d'avance. Si vous voulez que je meure d'ennui, inscrivez-moi à un cours de littératie financière.
D.B. - Comment y remédier ?
J.H.B. - Il faut complètement revoir la façon d'aborder les finances personnelles. Au lieu de parler de littératie financière, parlons de dignité financière. Visons l'inspiration plutôt que la leçon. Operation Hope mise sur l'espoir et la fierté des citoyens et des communautés pour les sensibiliser à la chose financière. Notre approche est comportementale plutôt que pédagogique.
D.B. - Personne ne rêve d'acheter des produits financiers, encore moins de se les faire expliquer...
J.H.B. - En effet. Avez-vous des amis qui rêvent d'avoir une hypothèque ou un prêt-auto ? Pas moi. Mais tout le monde rêve d'un chez-soi. Où l'on élève sa famille. Où l'on reçoit ses amis le samedi soir. Et nombreux sont ceux qui aspirent à conduire une auto cool. Pourtant, on ennuie les gens en leur parlant des moyens d'atteindre la prospérité au lieu de se concentrer sur la prospérité elle-même. Apple a réussi un tel coup de maître. Apple ne vend pas de produit, mais un univers, un style de vie. Il faut faire de même avec l'univers financier.
D.B. - Vous siégez au President's Advisory Council on Financial Capability des États-Unis. Racontez-nous ce qui vous y a mené.
J.H.B. - Cela remonte à l'époque de George Bush fils. J'ai insisté et persisté pour qu'on crée un organisme consacré au développement des capacités financières des citoyens et des communautés. Le président a finalement créé le President's Advisory Council on Financial Literacy. Il m'a nommé vice-président et m'a donné un an pour en démontrer la pertinence et les besoins. Je n'ai pas fait de sondages sur le niveau de littératie financière des gens. J'ai plutôt consacré cette année-là à sillonner les États-Unis à la rencontre du vrai monde. J'ai vu des citoyens, des représentants des villes et des États. Nous avons parlé d'endettement étudiant. De reprises de maisons. J'ai voulu aller au-delà de la question de la littératie financière pour comprendre ce qui se passe avec l'économie des États-Unis et lier les deux.
D.B. - Comment avez-vous convaincu le président Obama de faire de l'éducation financière une priorité ?
J.H.B. - Au retour de mon année sur la route, j'ai raconté ce que j'ai vu. J'ai expliqué comment l'appauvrissement des Américains ruine et affaiblit le pays. Moins de taxes, moins de revenus. Sans compter le coût social. L'appauvrissement des citoyens a une incidence sur leur santé. La reprise de l'économie américaine repose, en partie, sur l'adoption de nouveaux comportements financiers. J'ai aussi parlé du désengagement et de la désillusion des Américains face à leur gouvernement et à la politique en général. Obama, désormais président, a écouté. Et il a créé le President's Advisory Council on Financial Capability pour aller au-delà de la littératie financière.
D.B. - Donnez-nous un exemple d'action concrète d'Operation HOPE.
J.H.B. - Le programme Banking on Our Future (BOOF). Il s'agit de cours gratuits donnés dans les écoles et les communautés. On y explique comment prendre le contrôle de sa destinée financière. Nos formateurs bénévoles parlent de responsabilisation et d'autonomisation. Ils injectent de l'espoir dans la vie des étudiants. Plus de 20 000 bénévoles ont rejoint 770 000 citoyens dans 700 écoles et d'autres lieux communautaires. Nous avons développé une version pour les étudiants universitaires. En moyenne, un étudiant américain obtient un diplôme avec un prêt étudiant de 29 400 $ et une dette de carte de crédit de 3 173 $. BOOF aide ces étudiants à faire des choix positifs concernant les dépenses et l'endettement pour ne pas handicaper le début de leur vie adulte et compromettre leur futur financier.
D.B. - Vous croyez qu'il faut commencer très tôt l'initiation à la dignité financière. Parlez-nous des interventions d'Operation HOPE auprès des enfants.
J.H.B. - En 2013, nous avons lancé un projet dans quatre villes américaines, Los Angeles, Atlanta, Denver et Oakland. Nous encourageons la fibre entrepreneuriale naturellement présente chez les enfants. Nous leur donnons 500 $ pour réaliser leur projet d'entreprise. C'est une version pour enfants de Shark Tank [l'équivalent américain de l'émission Dans l'oeil du dragon].
D.B. - Les parents servent de premiers modèles à leurs enfants. Où commencer, lorsqu'il s'agit de littératie financière ?
J.H.B. - Il existe de nombreuses méthodes. Par exemple, enseignez à vos enfants comme l'argent se multiplie. Avec 160 $, vous pouvez acheter une paire de souliers de course Nike ou investir dans le titre de Nike. Dans le premier cas, votre choix n'amène aucune plus-value. Dans le second, il y a possibilité de gain.
D.B. - En plus de la formation, Operation HOPE offre des services de première ligne pour les situations de crise...
J.H.B. - Depuis 2007, nous offrons du soutien téléphonique 24 heures sur 24 aux citoyens qui éprouvent des difficultés avec leur hypothèque. On leur explique la façon de négocier avec leur prêteur, de restructurer leurs dettes, d'éviter qu'on reprenne leur maison et de vendre leur propriété pour en acheter une autre plus abordable. Ce service est destiné à toute personne qui veut reprendre son avenir financier en main.
D.B. - Parlez-nous de votre succès de librairie How the Poor Can Save Capitalism...
J.H.B. - Mon ouvrage démontre qu'il est rentable pour la société d'investir dans les consommateurs les plus pauvres. Et qu'il faut recréer une classe moyenne.