Discipline et détermination. C'est ce qui vient en tête lorsqu'on pense au parcours de Manon Brouillette. Celle qui est arrivée chez Vidéotron en 2004 récolte, 10 ans plus tard, les fruits d'un travail concentré et soutenu. Depuis mai, la voici aux commandes du fournisseur de services de télécommunications, à titre de présidente et chef de la direction. Et, cerise sur le gâteau, elle figure même au Top 100 des Canadiennes les plus influentes en 2014 dévoilé en novembre par le Réseau des femmes exécutives (WXN).
Jean-François Bouchard, cofondateur de l'agence Sid Lee, se dit impressionné par le parcours professionnel de son épouse des 13 dernières années. «Je n'aurais jamais pensé qu'elle irait aussi loin aussi vite. Je dis souvent à la blague qu'il y a quelques années, lorsqu'on participait à des activités sociales, on l'appelait Mme Bouchard, mais à présent, on m'appelle M. Brouillette. Voilà qui résume assez bien son ascension !» confie-t-il.
Manon Brouillette ne cache pas son ambition : faire de Vidéotron le 4e fournisseur national de téléphonie mobile. «C'est certain qu'on veut aller dans le reste du Canada pour être le quatrième fournisseur de services de télécommunications national. Par contre, nous n'avons pas fini "d'aligner toutes les étoiles" avant de nous lancer», dit Mme Brouillette, de son bureau au siège social de Québecor, à Montréal.
L'objectif a pris forme en février, quand Vidéotron a acheté sept licences de spectre dans la bande 700 MHz au Québec, dans le sud de l'Ontario, en Colombie- Britannique et en Alberta, pour un montant total de 233 millions de dollars (M $). Les fréquences de spectre dans la bande de 700 MHz se distinguent à la fois par leur grande capacité de pénétration en milieu urbain et leur excellente propagation en régions plus éloignées.
La dirigeante de 46 ans affiche ses visées sur le marché du Canada anglais, mais refuse d'en dire plus pour le moment. «J'ai hâte de pouvoir annoncer des nouvelles concrètes par rapport à ce projet, mais nous n'avons pas encore d'échéancier à cet égard», dit-elle.
En fait, Manon Brouillette confie que Vidéotron, qui célèbre son 50e anniversaire cette année, jongle en ce moment avec plusieurs hypothèses. De son propre aveu, il est impossible de se lancer dans l'aventure avec un seul scénario en tête, et la société en évalue plusieurs en parallèle.
«On s'en va au Canada anglais pour rivaliser coude à coude avec les titulaires [Rogers, Bell et Telus] comme on le fait au Québec, alors on veut s'assurer de bien faire les choses», explique-t-elle. Grâce à ses licences dans la bande 700 MHz, Vidéotron dit être en mesure d'offrir ses services à 80 % de la population canadienne.
«Je suis une gestionnaire d'entreprise. Mon mandat, c'est d'amener de la croissance. C'est certain qu'il y a un jardin dans le reste du Canada pour amener de la croissance, mais je veux gérer une croissance rentable. L'échec n'est pas une option», dit-elle, précisant que Vidéotron doit notamment signer des ententes avec des partenaires et régler les enjeux des frais d'itinérance avant de se lancer à la conquête de provinces en majorité anglophones.
Il faut dire que Manon Brouillette a l'expérience de la gestion de grands projets. Il y a un peu plus de quatre ans, elle a piloté l'entrée de Vidéotron dans l'industrie de la téléphonie mobile.
À lire aussi:
S'engager dans des oeuvres caritatives, une obligation
Diaporama: Huit Québécoises figurent au Top 100 des Canadiennes les plus influentes en 2014
Sa plus grande fierté
«Je suis fière de bien des choses dans ma carrière, mais ma plus grande réalisation a été sans aucun doute d'avoir géré l'arrivée de l'entreprise dans la téléphonie mobile. À ce moment-là, je n'ai pas seulement chapeauté le plan d'affaires, mais aussi la démarche stratégique, le design du produit, les finances, l'ingénierie, les technologies de l'information et le lancement !» raconte-t-elle.
Mme Brouillette dit avoir alors ressenti un vertige, car Robert Dépatie, président et chef de la direction de Vidéotron à l'époque, lui donnait carte blanche avec une équipe de 1 000 employés.
«J'ai "livré la marchandise" du point de vue du mandat, mais j'ai aussi grandi énormément là-dedans, je me suis développée. C'est un grand chantier qui m'a permis de me préparer à des postes de gestion. J'ai eu tellement de chance de faire mon ascension comme ça, une bouchée à la fois. Ça m'a permis de m'adapter à l'altitude. Ç'a été comme d'escalader l'Everest en passant au préalable par tous les camps de base», ajoute-t-elle.
La dirigeante se dit par ailleurs «très chanceuse» d'avoir pu compter sur la confiance de Robert Dépatie, qu'elle qualifie de mentor. C'est le départ à la retraite surprise de ce dernier, survenu le printemps dernier, qui a propulsé Manon Brouillette à la tête de l'entreprise, elle qui était alors présidente et chef de l'exploitation. M. Dépatie a décliné notre demande d'entrevue.
«Quand je suis arrivée chez Vidéotron en 2004, Robert m'a fait confiance. Il faut dire qu'au moment où je suis arrivée, il voulait implanter un changement de culture au sein de la société. À ce moment, Vidéotron était centrée sur l'ingénierie, alors que Robert voulait placer le client au coeur du modèle d'affaires. Il m'a confié à la fois la gestion du développement des produits et de la marque. Il fallait avoir du courage», dit-elle.
«J'ai appris sur le tas. On vendait de la télé et de l'Internet. J'ai piloté le lancement de la téléphonie par câble, et ensuite de la mobilité. J'ai grandi avec l'entreprise. Passer de 2 000 à 6 000 employés, d'un chiffre d'affaires de 800 M $ à 2,7 G $. Je ne savais pas ce qui allait arriver. Le matin, j'entrais au bureau avec des défis à relever. Je voulais faire une différence pour l'entreprise, pour le personnel et pour les clients, ce qui est toujours le cas aujourd'hui», raconte-t-elle.
Si la mobilité est au coeur de la stratégie de croissance de Vidéotron, Manon Brouillette a aussi de grandes ambitions pour sa division de services affaires. «À ce jour, nous avons centré nos efforts sur les entreprises de moins de 50 employés. Nous souhaitons à présent viser celles qui comptent de 50 à 100 employés, ce qui pourrait nous permettre de doubler le chiffre d'affaires de la division sur un horizon pas si long», dit la détentrice d'un baccalauréat en communication publique de l'Université Laval.
À lire aussi:
S'engager dans des oeuvres caritatives, une obligation
Diaporama: Huit Québécoises figurent au Top 100 des Canadiennes les plus influentes en 2014
Une dirigeante transparente
Avant son arrivée chez Vidéotron, Manon Brouillette avait déjà rempli des mandats pour l'entreprise alors qu'elle travaillait pour Sprint Communications, dirigée par Mario Totaro, aujourd'hui président de la firme de marketing sportif Endorphine Marketing. «C'est lui qui m'a donné mon premier poste de vice- présidente», confie-t-elle.
M. Totaro précise que Vidéotron était à ce moment-là le client le plus important de Sprint. L'entreprise offrait des services de promotion et de marketing direct. «Elle est arrivée chez nous à titre de consultante et elle est rapidement devenue directrice de comptes, puis vice-présidente du service à la clientèle. Plus on lui confiait de mandats, plus elle en voulait. Elle a une force de leader inébranlable», dit-il.
Selon M. Totaro, le style de gestion de Manon Brouillette repose sur le succès d'équipe. Selon lui, elle déteste être le centre d'attention, mais préfère bien s'entourer. «Dans la tête de Manon, 1+1=3. Sa principale qualité est d'être capable de faire de la place aux membres de son entourage. Elle se place en avant et tire son équipe avec elle pour atteindre des objectifs ; elle fait rayonner ses équipes», affirme-t-il. Selon lui, la dirigeante a aussi un style de gestion très transparent : «Elle est contente, tu le sais. Elle n'est pas contente, tu le sais aussi. Ses attentes sont toujours claires», dit-il.
Isabelle Hudon, grande patronne de la Financière Sun Life au Québec, entrée cette année au panthéon des Canadiennes les plus influentes du WXN, abonde dans le même sens. Lorsqu'elle était présidente de la Chambre de commerce du Montréal Métropolitain, elle a recruté Manon Brouillette au CA de l'organisation.
«Manon a gravi les échelons sans jamais être timide ou intimidée d'afficher sa volonté d'atteindre un poste comme celui qu'elle occupe aujourd'hui. J'ai beaucoup d'admiration pour sa drive. C'est une femme douce, mais quand on lui parle quelques minutes, on comprend rapidement qu'elle est habitée par la passion de gagner en affaires», soutient Mme Hudon, ajoutant que la principale qualité de Mme Brouillette est de rester concentrée sur la stratégie et sur l'atteinte d'objectifs, ce qui implique de savoir dire oui, mais aussi de savoir dire non à certaines demandes, même quand ce n'est pas facile.
«Je confirme, dit en riant la principale intéressée. Quand tu es présidente d'une entreprise, il faut savoir garder le cap. Avec 6 000 employés, c'est facile de s'éparpiller. Eh oui, je suis capable de dire non quand ça ne fait pas mon affaire, peu importe qui me demande», affirme-t-elle.
«Je suis exigeante, ajoute-t-elle. Je joue en équipe, mais j'aime ça une équipe gagnante. Je ne veux pas être sur le 3e ou le 4e trio. Si les gens qui m'entourent ne sont pas performants, ce sera difficile d'avoir une relation pérenne», dit-elle.
À lire aussi:
S'engager dans des oeuvres caritatives, une obligation
Diaporama: Huit Québécoises figurent au Top 100 des Canadiennes les plus influentes en 2014
Conciliation travail-famille
La dirigeante ne gère pas seulement Vidéotron, elle est mère de deux jeunes adultes de 17 et 20 ans et engagée dans plusieurs oeuvres caritatives. Sa routine matinale : elle se lève à 6 h afin d'arriver au bureau au plus tard à 7 h 25 pour prendre son déjeuner et son café. Après sa journée de travail, elle affirme que «la chaîne débarque» à 17 h 30. Elle aime alors se rendre au gymnase de Québecor pour y faire de l'exercice, ou rentrer chez elle au pas de course, manière de prendre un peu de temps pour elle.
Elle confie être une mère très présente et soutient qu'elle n'a pas eu à sacrifier sa vie familiale pour gravir les échelons chez Vidéotron. «Je n'aurais pas réussi, je n'aurais pas été heureuse. J'arrive au bureau tôt, mais je pars tôt également. Je soupe tous les soirs à la maison. Je ne suis pas quelqu'un qui va courir les soirées mondaines et les événements, même si l'équipe des relations publiques voudrait que je m'améliore sur ce plan», avoue-t-elle.
Manon Brouillette dit avoir eu la chance d'avoir ses enfants à un jeune âge, alors qu'elle avait moins de responsabilités. «Plus ils ont grandi, plus j'ai pris des responsabilités. Ça s'est bien imbriqué», raconte-t-elle.
«Ça m'arrive dans les réunions de dire "Dépêchez-vous, j'ai un rendez-vous chez le médecin avec les enfants". Ça a été comme ça toute ma carrière. Je n'ai pas fait le choix de ne pas être là pour mes enfants. Quand c'est le moment de parler de choix de carrière, des devoirs... Je suis là. Quand ma fille a eu sa première peine d'amour, c'est avec moi qu'elle a dormi pendant trois soirs. Je ne suis pas une extra-terrestre», confie-t-elle, ajoutant que son ex-mari est aussi très présent dans la vie de ses enfants.
«Mon mari, Jean-François Bouchard, a aussi deux enfants de 18 et 20 ans. La famille est très importante pour lui et nous avons réussi à trouver un bon équilibre», précise-t-elle. Selon son conjoint, le secret de la réussite de Manon Brouillette réside dans sa discipline et dans sa capacité de passer de la réflexion à l'action. «Elle réussit à concentrer sa vie professionnelle dans les heures normales de bureau. Je ne sais pas comment elle fait pour entrer autant de choses dans ses journées, mais on ne pourrait pas deviner, dans notre vie familiale, qu'elle gère une entreprise de 6 000 employés», explique-t-il.
La présidente du conseil d'administration du Groupe TVA et membre des conseils de Québecor et de Québecor Média, Sylvie Lalande, ne trouve pas que l'ascension de Manon Brouillette a été rapide. «Elle a travaillé très fort à chacun des défis qui lui ont été proposés ces 10 dernières années. Elle est capable de gérer des enjeux complexes qui mélangent toutes sortes d'expertises et elle possède des qualités de rassembleuse pour que toutes ses équipes poussent dans la même direction», dit-elle.
Citant l'exemple du lancement de Vidéotron en téléphonie mobile en 2010, Mme Lalande rappelle les contraintes de l'époque, alors que la société devait utiliser les infrastructures mobiles des fournisseurs titulaires comme Bell, Telus et Rogers. «Tout ça venait avec des contraintes. Il n'était pas possible d'offrir les plus récents appareils en même temps que les propriétaires des infrastructures, il fallait offrir des forfaits attirants pour les consommateurs et on se battait contre des géants. Aujourd'hui, on peut dire qu'elle a bien géré cette situation très complexe», explique-t-elle.
Une réussite qui lui vaut aujourd'hui d'être assise dans le fauteuil de grande patronne. Mais demain, quelle sera la prochaine étape ? Manon Brouillette semble surprise lorsqu'on lui demande si elle se voit un jour à la tête de Québecor, la société mère de Vidéotron : «Si la direction de Québecor se libérait ? Je ne suis pas rendue là !» s'exclame-t-elle. Une manière de nous rappeler son parcours : une marche à la fois.
À lire aussi:
S'engager dans des oeuvres caritatives, une obligation
Diaporama: Huit Québécoises figurent au Top 100 des Canadiennes les plus influentes en 2014
Un succès mesurable
Début novembre, au moment du dévoilement des résultats financiers de Québec pour le troisième trimestre de l'exercice 2014 terminé le 30 septembre, l'entreprise comptait 589 400 abonnés à son service de téléphonie mobile, par rapport à 478 000 un an plus tôt. La division mobile a généré des revenus de 75,7 millions de dollars, en hausse de 30,5 % sur un an. L'arrivée de l'iPhone chez Vidéotron, en mars, a sûrement contribué à ces hausses.
L'ascension
Des échelons, Manon Brouillette en a gravi plus d'un. Entrée chez Vidéotron à titre de vice-présidente, marketing et développement des nouveaux produits, elle a grimpé du côté de la vice-présidence jusqu'à sa nomination au poste de présidente, services consommateurs, en décembre 2011. En mai 2013, elle est devenue présidente et chef de l'exploitation, un an avant de gravir le dernier échelon et de devenir présidente et chef de la direction.
«À certains moments, j'ai reçu des promotions dont je ne voulais pas. Je ne pensais pas être la bonne personne pour relever ce défi. On a eu confiance en moi, et ça m'a permis de foncer tête baissée. C'est ce qui fait que j'ai connu cette ascension-là. Je n'étais pas du tout stressée quand j'ai été nommée présidente et chef de la direction. J'avais gravi les échelons une marche à la fois. Je savais ce qui m'attendait. J'étais prête», dit-elle.
À lire aussi:
S'engager dans des oeuvres caritatives, une obligation
Diaporama: Huit Québécoises figurent au Top 100 des Canadiennes les plus influentes en 2014