" Quand le jury du concours pour jeunes entrepreneurs auquel j'ai participé m'a demandé où je voulais être dans cinq ans, j'ai répondu '' À la même place''. Évidemment, je n'ai pas gagné le concours, mais je suis comme ça : tant qu'il y a de la bière dans le frigo et de la crème glacée dans le congélateur... "
Le Scorpion Masqué, l'éditeur de jeux de société que Christian Lemay exploite depuis le sous-sol de son duplex du quartier Ahuntsic, à Montréal, réalise un chiffre d'affaires de 220 000 $, dont il encaisse l'équivalent d'un salaire de professeur de cégep. " Je ne veux pas conquérir le monde, je veux juste tripper ", lance le père du petit Philémon, né le jour de l'Halloween.
Le produit
Le Scorpion Masqué édite des jeux de société. Pas des jeux vidéo. " C'est simple, explique M. Lemay : je trouve l'idée, le titre, je rédige les règles, je déniche un illustrateur, un imprimeur et un distributeur. "
Cela semble simple, en effet ! Sauf qu'il faut du flair pour prévoir si un jeu se vendra ou non. Car de 700 à 800 nouveaux jeux arrivent sur le marché mondial chaque année.
Et du flair, Christian Lemay en a. Comme il est doté d'un certain talent pour améliorer un jeu, en changeant le graphisme, en modifiant les règles, etc. " La majeure partie des projets de jeux que je reçois sont trop moches pour être commercialisés tels quels ", affirme l'entrepreneur de 31 ans.
De plus, il doit savoir reconnaître les jeux originaux, car la très grande majorité des projets reçus par M. Lemay sont des versions modifiées de jeux populaires comme Monopoly ou Quelques arpents de pièges.
Le premier jeu lancé par Le Scorpion Masqué en décembre 2006, J'te gage que..., est un succès d'édition : 60 000 exemplaires vendus au Québec, en plus de 10 000 pour une deuxième version lancée en 2009 et 5 000 pour Erwischt, la version allemande. En plus, Le Scorpion Masqué a vendu la licence du jeu en France à l'éditeur Cocktail Games, qui a écoulé près de 20 000 exemplaires de Bluff Party. " Quand on vend 2 000 à 3 000 copies d'un jeu au Québec, on est bien contents ", précise M. Lemay.
J'te gage que... compte 100 cartes comportant chacune trois actions loufoques à accomplir pendant une fête, comme offrir une consommation et ne pas la servir, tresser les cheveux de quelqu'un ou mâcher de la gomme. Chaque invité reçoit une carte et doit accomplir les trois épreuves sans que les autres s'en doutent. Quand un invité devine qu'un autre accomplit une de ses actions, il gagne des points. S'il se trompe en essayant de deviner, il en perd. " Les gens font plein de bizarreries pendant la soirée pour faire croire qu'ils réalisent un des trucs sur leur carte ", explique M. Lemay.
Le Scorpion a publié son septième jeu l'été dernier, Super Comics. Il publiera le huitième, Trafffic, en février. Ses jeux fonctionnent tous avec des cartes et coûtent de 15 à 20 $.
Le Scorpion Masqué confie la distribution de ses jeux à Distribution Le Valet, aussi propriétaire de la boutique Le Valet d'coeur, rue Saint-Denis, à Montréal. Le Scorpion réalise la moitié de son chiffre d'affaires dans les trois derniers mois de l'année et fait fabriquer ses jeux au Québec.
Éditeur et concepteur
M. Lemay a imaginé lui-même son jeu vedette J'te gage que... mais concevoir des jeux n'est pas ce qui l'intéresse le plus : il préfère éditer les jeux des autres.
Mais où prend-il ses idées ? " Je joue avec des amis deux ou trois soirs par semaine. On peut se retrouver de 10 à 20 chez un ami ou chez moi. J'ai plus de 200 jeux à la maison. Les jeux que j'édite proviennent souvent de ces amis. "
En plus, M. Lemay participe aux quatre ou cinq grandes rencontres de joueurs chaque année au Québec ; une bonne façon de rencontrer des fanatiques de jeux. " Il doit y avoir tout au plus une vingtaine de personnes dans le monde qui vivent de redevances de jeux de société. "
Dans la famille de M. Lemay, " tout le monde " est ingénieur. Sauf son père, qui est dentiste. Pour se distinguer, le jeune homme a fait une maîtrise en littérature à l'Université de Sherbrooke. Il a ensuite enseigné cette discipline au cégep, de 2003 à 2008.
Pendant ses loisirs, il louait des jeux de société à la bibliothèque municipale de Sherbrooke. " J'aimais tellement ce passe-temps qu'un jour je me suis dit : " Pourquoi ne pas travailler dans ce domaine ? "
Nouveaux services
Depuis le printemps dernier, M. Lemay travaille à l'occasion pour son ami François Lavallée. Celui-ci propose à l'industrie pharmaceutique des ateliers de rédaction de modes d'emploi en s'amusant avec des jeux de société. " La rédaction technique ressemble beaucoup à la rédaction de modes d'emploi de jeux de société, explique M. Lemay. Et c'est une activité très payante. "
Pour ce qui est de prendre de l'expansion, oubliez ça ! " Les Américains et les Canadiens anglais n'ont aucune curiosité pour les nouveaux jeux de société. À part Monopoly et quelques jeux d'Hasbro ou de Disney, il n'y a rien à faire là ! " Christian Lemay a donc de bonnes chances d'atteindre son objectif de " rester là où il est ".