Fondée en 1952, la PME montréalaise Télio, spécialisée dans la distribution de tissus, n'a cessé de se réinventer pour faire face à la concurrence des pays asiatiques, à la récession de 1980 ainsi qu'à la chute du marché de la vente de tissus au mètre.
D'abord agents représentant de grandes maisons européennes, ensuite distributeurs, puis transformateurs dans les années 1990, ils sont finalement devenus créateurs de leur propre collection. Tout cela, l'entreprise l'a réalisé à même ses fonds, sans jamais demandé de capital extérieur.
«L'entreprise s'est transformée plusieurs fois en 60 ans !» dit André Télio, le fils du fondateur, qui dirige la division Tissus de mode, aux côtés de son frère Raymond, directeur de la division Ameublement. Pour éviter de mettre la clé sous la porte, les deux frères ont misé sur le marché de la confection et font désormais fabriquer tous leurs tissus en Asie.
Des hauts et des bas
Cette stratégie a permis à la PME de 90 employés d'enregistrer une croissance de 10 % par an sur les trois dernières années. «Nous avons connu des hauts et des bas, car il suffit que nous perdions un gros client pour que notre chiffre d'affaires chute considérablement.» C'est ce qui est arrivé lorsque Walmart a décidé d'arrêter les activités de sa division de tissus au Canada. «Nous avons su rebondir en développant notre clientèle, composée de grossistes, de designers et de couturiers», explique André Télio.
Dans un secteur où les tissus sont traditionnellement commandés et payables plusieurs mois à l'avance, les fondements de l'entreprise doivent être solides.
«Nous devons parfois financer des collections neuf mois à l'avance, sans que l'on puisse vendre un seul morceau de tissu !», rappelle André Télio. Et ce n'est pas rien lorsqu'on sait que chaque commande représente de 3 000 à 100 000 $ d'investissement.
«Nous avons eu la chance d'hériter d'une société solide. Nous n'avons jamais eu besoin de refinancer les opérations ni de recourir à des prêts ou à des investisseurs. Nous fonctionnons seulement avec une marge de crédit de 3 à 4 millions de dollars», dit le dirigeant.
Les fondateurs réinjectent les bénéfices au sein de l'entreprise, sans se verser de dividendes ni faire entrer d'investisseurs extérieurs. «Notre CA se compose de notre comptable agréé, mon frère et moi. Mon père est resté jusqu'à son décès, en 1999, comme éminence grise.»
Selon lui, la réussite de l'entreprise familiale tient avant tout à la saine gestion du fondateur. «Mon père a débuté avec quelques employés, puis il a fait grossir la compagnie par étapes. Il a toujours fait attention à ne pas dépenser de l'argent qu'il n'avait pas», se souvient son fils.
Faire tourner les stocks
Lorsque Télio a connu une croissance de 10 % par année, la philosophie de la famille n'a pas changé. Comme les comptes recevables se sont avérés plus élevés, les dirigeants ont simplement demandé une marge de crédit supplémentaire. Ils ont pu aisément l'obtenir grâce à leur inventaire. Seule entorse à la règle : lorsque la compagnie a voulu faire évoluer son système informatique à trois reprises, elle a obtenu des fonds de la part des gouvernements fédéral et provincial, «compris entre 50 000 et 100 000 $», précise M. Télio.
Le principal défi des tissus Télio reste d'équilibrer les comptes en faisant tourner les stocks le plus rapidement possible. «Pour cela, nous nous sommes dotés d'une équipe de trois spécialistes qui sont en mesure de prévoir ce qu'il faut commander pour les prochains mois, en plus d'une équipe de 30 représentants présents sur trois continents. Nous réalisons aussi des inventaires chaque saison, ce qui mobilise beaucoup nos ressources», détaille André Télio.
En 2012, la PME a procédé à quatre embauches pour assurer la manutention à l'entrepôt, les tâches administratives et développer le commerce électronique. Elle devrait encore embaucher trois personnes en 2013. «Nous aurions besoin d'agrandir notre entrepôt de 65 000 pieds carrés, mais nous nous efforçons d'abord d'optimiser la gestion de nos stocks pour gagner de la place», dit le dirigeant.
Aujourd'hui, Télio souhaite poursuivre son expansion à l'international. Elle est déjà présente en Europe, en Amérique du Nord et depuis une quinzaine d'années en Amérique Latine.
Contrôler sa croissance pour mieux se financer
Savoir faire de ses faiblesses un atout... Tel pourrait être le credo des PME, qui deviennent souvent très efficaces dans leurs opérations afin de pallier des ressources limitées. «Souvent, le manque de capitalisation des PME vient du fait que leurs propriétaires ne sont pas enclins à laisser entrer de nouveaux partenaires au sein de leur capital et préfèrent se financer par de la dette», constate Jean Desrochers, professeur au Département de finance de la Faculté d'administration de l'Université de Sherbrooke.
Un choix qui peut néanmoins leur jouer de mauvais tours : «Certains chefs d'entreprises commettent ainsi des erreurs de gestion, en choisissant de financer des actifs à long terme par de la dette à court terme, ce qui risque d'entraîner des problèmes de liquidité dès que l'entreprise devra faire face à un imprévu ou à un phénomène de croissance», rappelle Jean Desrochers.
Ainsi, une entreprise qui utilise une grande partie de sa marge de crédit pour financer l'achat d'un nouvel équipement risque de se trouver en difficulté lorsqu'elle devra régler ses dépenses saisonnières. «Le contrôle de la croissance est un élément clé pour le financement des PME, qui doivent calculer le ratio d'endettement acceptable avant de penser à se financer», met en garde le spécialiste.
Étudier sa rentabilité
Lorsqu'elles enregistrent une nouvelle commande d'envergure, les PME ont tout intérêt à réaliser au préalable une étude de rentabilité. Cela leur permettra notamment de déterminer si elles auront besoin d'investir dans l'achat d'un nouvel actif et le nombre de commandes nécessaires pour rentabiliser leur investissement. «Même s'il est difficile de laisser passer une nouvelle commande, il faut à tout prix éviter de mettre en péril sa rentabilité en creusant son endettement», souligne M. Desrochers.
L'idéal reste selon lui d'aller chercher des partenaires financiers sur de longues périodes, des alliés qui se sentiront concernés par la pérennité de l'entreprise. «Il ne faut pas oublier que s'associer est aussi une aventure humaine : l'élément clé doit être la confiance. Sans elle, rien ne peut se faire.» Le professeur rappelle qu'il existe beaucoup d'argent disponible au Québec par le financement communautaire, les institutions financières, les sociétés de capital de risque, les anges financiers ou encore la Banque de développement du Canada.
L'OBJECTIF
Devancer les évolutions du marché du textile pour se faire une place sur les marchés internationaux.
LE DÉFI
Financer l'achat de nouvelles collections de tissus commandées plusieurs mois à l'avance sans avoir recours à des prêts bancaires ou à des investisseurs externes.
LE RÉSULTAT
Une croissance de 10 % sur les trois dernières années et la mise en marché des produits en Amérique du Nord, en Europe et en Amérique latine.