Pour croître, l'Impact de Montréal devait entrer dans la Major League Soccer (MLS). Joey Saputo n'en doute pas. Mais était-ce une bonne idée de faire grandir l'équipe montréalaise ? Il est encore trop tôt pour en être certain, admet le président de l'Impact, rencontré avec Richard Legendre, vice-président exécutif, au Stade Saputo.
«C'était la meilleure décision pour que cette organisation puisse aller de l'avant, mais je ne sais pas encore si c'était la bonne décision à prendre [de faire grandir l'Impact]», dit l'homme d'affaires de 48 ans. Son équipe fêtera cette année ses 20 printemps, mais elle n'en est encore qu'à sa deuxième saison dans la MLS, la plus forte ligue nord-américaine de soccer.
L'année dernière a «mal commencé, mais très bien fini». Les ventes d'abonnements ont déçu, tout comme la fréquentation des entreprises, qui se tournent moins vers l'Impact que vers les Canadiens et les Alouettes quand vient le temps de sortir leurs clients. Une baisse des tarifs en cours de saison a toutefois redressé la barre. «Notre meilleure décision, l'année dernière», se félicite Joey Saputo. Avec ses gradins plus garnis en fin de saison et ses deux matchs au Stade olympique (60 000 spectateurs chacun), l'Impact s'est hissé en troisième position quant à l'assistance moyenne dans la MLS.
«Ça ne fait que commencer. Il y a encore beaucoup de développement à faire», dit M. Legendre. La clientèle, entre autres, est plus jeune que prévu - 45 % des amateurs ont de 18 à 34 ans - et n'a pas toujours les moyens d'acheter des abonnements. Mais ça s'en vient. «Les choses vont bien et nous continuons de travailler pour qu'elles aillent encore mieux», dit M. Saputo.
Un choix incontournable
Un choix incontournable
L'Impact a failli faire le saut dans la MLS en 2008. Les discussions sont cependant tombées à l'eau, non sans faire des éclaboussures. Le bouillonnant président, dont l'offre a été écartée, accuse alors le commissaire de la ligue d'utiliser Montréal pour faire monter les prix auprès des autres villes candidates.
Cette bisbille n'empêche pas les deux parties de souhaiter brasser des affaires ensemble, assure M. Legendre : «Nous sentions que la MLS souhaitait l'entrée de Montréal. Il y avait vraiment une volonté des deux côtés.»
En plus, les deux années qui suivent cette tentative ne font que convaincre davantage Joey Saputo de la pertinence de son projet. La ligue dans laquelle évolue l'Impact, la North American Soccer League (NASL), «ne va pas très bien». Les équipes migrent de plus en plus vers la MLS. Montréal ne cesse de perdre ses adversaires les plus coriaces : après Toronto en 2007, c'est au tour de Seattle (2009), Philadelphie (2010), Portland (2011) et Vancouver (2011). «Nous commencions à nous sentir abandonnés !» résume Richard Legendre.
Alors que sa ligue décline, le onze montréalais, lui, compte de plus en plus d'amateurs. L'équipe cartonne plus que toutes les autres de sa division... et même que certaines équipes de la MLS ! L'expérience de Seattle n'est pas sans titiller les dirigeants montréalais : l'assistance moyenne dans cette ville de la côte ouest est passée de moins de 5 000 en 2008 à plus de 30 000 en 2009, après l'entrée de l'équipe dans la MLS. «Nous nous sommes dit que, si ça pouvait se faire à Seattle, ça pouvait se faire à Montréal», raconte M. Legendre.
La tentation est forte pour un propriétaire qui tient à ce que son club joue dans les plus hautes sphères nord-américaines de son sport, comme le faisait l'Impact jusqu'à la montée en puissance de la MLS. En plus, le dirigeant se doute bien que, plus il attendra, plus il sera difficile d'entrer dans la ligue, en activité depuis 1996. Le statu quo n'est plus une option. «Si nous n'entrions pas dans la MLS, nous risquions de perdre tout ce que nous avions bâti depuis 20 ans. Nous avions le choix entre continuer de bâtir ce que nous avions commencé ou tout fermer», résume M. Saputo.
Penser avec son coeur, sans oublier sa tête
Penser avec son coeur, sans oublier sa tête
Faire le grand saut requiert toutefois une certaine maturité. «Il y a un bon pas entre la deuxième division de la NASL et la MLS. Ça représente une progression extrêmement importante pour l'Impact en peu de temps», fait valoir M. Legendre. Il rappelle que l'Impact jouait devant environ 10 000 spectateurs au Centre Claude-Robillard avant 2008.
Pour entrer dans la MLS, il faut agrandir le stade afin qu'il puisse accueillir 20 000 amateurs, plutôt que 13 000. Un investissement important [30 millions de dollars au final, dont 23 M$ du gouvernement du Québec], mais aussi une pression supplémentaire sur la vente de billets. Sans oublier les 40 M$ que la MLS demande pour la concession...
En 2010, l'Impact est assez solide pour foncer, estiment Joey Saputo et Richard Legendre. «Avec le temps, l'équipe avait pris beaucoup de place à Montréal et comptait de nombreux partisans», dit M. Saputo.
Pour ce «passionné de soccer», la décision est d'abord et avant tout émotive. «Des fois, on prend des décisions plus avec son coeur qu'avec sa tête et on espère que les deux se rejoindront.» C'est ce qui se passe à ce moment. Le propriétaire souhaite de tout coeur faire grandir l'Impact, mais le projet commande un investissement personnel «énorme», l'aide du gouvernement et un engagement sur plusieurs années. Avec son équipe, il dresse un plan financier détaillé afin de l'analyser sous toutes ses coutures. «C'est sûr et certain qu'avant de signer le chèque, il fallait s'assurer que ça ait du sens.»
Dans l'entourage de l'aîné de la famille Saputo, le projet ne fait pas l'unanimité. «Les gens autour de moi veulent parfois me protéger, mais j'ai la tête dure», dit avec un sourire ce père de garçons âgés de 5, 10, 13 et 15 ans. De toute façon, la décision finale lui revient.
Après des mois de négociations, les dirigeants de la MLS et ceux de l'Impact annoncent officiellement le 7 mai 2010 que l'équipe jouera sa saison 2012 parmi les meilleures du continent.
Miser sur l'appartenance
Dans la foulée du passage à la MLS, l'Impact a recueilli 7,5 M$ auprès du Fonds de solidarité FTQ. Joey Saputo ne s'en cache pas : il n'avait pas besoin de cet argent. S'il a cédé 10 % de l'équipe au Fonds, c'était pour ancrer le onze montréalais dans le paysage québécois. «Nous serons forts dans la ligue si nous sommes forts chez nous», dit-il.
Le même raisonnement s'applique à l'Académie, mise sur pied en 2010. L'équipe comptait historiquement 40 à 50 % de joueurs québécois, mais le calibre supérieur de la MLS a diminué cette proportion. L'équipe compte maintenant cinq joueurs québécois, dont quatre sont issus de l'Académie. «C'est tellement important pour nous que nous prenons les choses en main pour former la relève», dit avec fierté Richard Legendre.
Avec tous ces efforts mis ensemble, la prochaine saison sera encore meilleure que la précédente, espèrent MM. Saputo et Legendre. «Maintenant que la première année est passée, nous devons trouver notre rythme de croisière, qui doit être régulier, constant et à un bon niveau», conclut M. Legendre.
CE QU'ILS AVAIENT SOUS-ESTIMÉ ?
«Nous savions Montréal prête pour la MLS, mais notre marché est peut-être un peu plus jeune et à développer que ce que nous croyions. Les Montréalais achètent moins d'abonnements que ce que nous pensions.» - Richard Legendre