Si les employés et leur savoir sont le premier actif d’une entreprise, la confiance est l’oxygène qui lui permet de survivre. La confiance des clients, d’abord, sans laquelle ses produits et services ne trouvent pas preneurs ; la confiance des employés, sans laquelle il n’y a pas de motivation possible ; la confiance des actionnaires, des prêteurs, des fournisseurs, sans laquelle l’entreprise ne peut réunir, à coût concurrentiel, les ressources nécessaires à son développement.
L’entreprise a aussi besoin de la confiance de « la société » pour fonctionner. Ses projets ont dorénavant besoin de l’acceptabilité sociale. Plus généralement, la prospérité, voire la survie à long terme du système de libre entreprise, repose sur la confiance des parties prenantes. Or, au Québec comme ailleurs dans le monde, cette confiance a été malmenée au cours des dernières années. Entre le scandale d’Enron et celui de Lehman Brothers, entre les fraudes de Bernard Madoff et celles de Vincent Lacroix, sans oublier les révélations entendues à la commission Charbonneau, des cas spectaculaires et très médiatisés nourrissent une baisse de confiance à l’égard des entreprises – et même du « système ». Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’on puisse documenter ce phénomène grâce à un « baromètre de la confiance », construit et diffusé depuis une quinzaine d’années par Edelman, une firme qui s’est elle-même retrouvée au centre d’une récente controverse.
Que les deux groupes qui critiquent le plus l’entreprise, à savoir les médias et la classe politique, vivent une crise de confiance plus grave encore que celle de l’entreprise n’est pas une consolation. Que les comportements condamnables soient le fait d’une minorité d’entreprises n’est pas une excuse. Et que l’entreprise canadienne se compare favorablement aux entreprises de la plupart des pays du monde n’est pas une raison de négliger le problème.
Le problème existe. Il faut trouver une solution, et non des boucs émissaires. C’est à l’entreprise de veiller à ce que la société lui assure sa confiance et lui conserve sa légitimité.
« L’entreprise existe pour servir la société »
La recherche de solutions s’effectue d’abord en fonction d’une prémisse juste : « L’entreprise existe pour servir la société ».
Cette phrase toute simple ne vient pas d’un universitaire idéaliste ni d’un militant de gauche. Elle a été écrite dans le McKinsey Quarterly de mai dernier par Paul Polman, chef de la direction du groupe Unilever – une multinationale anglo-néerlandaise dont les 400 marques de produits réalisent des ventes annuelles de 50 milliards d’euros sur tous les continents (et un bénéfice net de 5,3 milliards).
À première vue, cette prémisse semble nier que l’entreprise a d’abord vocation à créer de la richesse pour ses actionnaires. En vérité, elle ne nie pas cette vocation : elle l’encadre. Il ne faut jamais oublier que l’entreprise est un être juridique artificiel, une création de la société. Si la société l’a inventée, ce n’est pas pour permettre aux actionnaires de s’enrichir. C’est parce qu’elle croit que l’enrichissement des actionnaires constitue la meilleure motivation pour mobiliser les ressources physiques, intellectuelles et financières au service de l’enrichissement collectif.
Le véritable objectif de l’entreprise est l’enrichissement des actionnaires et de la société, mais pas aux dépens de celle-ci.
Vers la productivité sociale
Enrichir les actionnaires et la société, cela nécessite de créer plus de valeur qu’on n’en détruit. S’il s’agit d’enrichir les actionnaires et la société, cette valeur à créer doit englober la valeur sociale. Celle qui est créée ou détruite en marge du bilan de l’entreprise : l’impact sur l’environnement, sur la ou les communautés d’accueil de l’entreprise, et même l’impact sur son avenir à long terme. Sur chacun de ces facteurs hors bilan, les dirigeants ont le droit de faire, et font effectivement, des erreurs de bonne foi. Mais ces dirigeants ont le devoir d’en tenir compte dans leurs décisions. Il y va de la légitimité de l’entreprise. Comme un contrat privé, le contrat social doit être au bénéfice des deux parties : l’entreprise, certes, et aussi la société.
Au-delà de la productivité des facteurs, donc, l’entreprise doit rechercher la productivité sociale. Les patrons qui ne s’en soucient pas sont soit irresponsables, soit ignorants des fondements mêmes du système qui les fait vivre.
Comme la productivité tout court, l’optimisation de la productivité sociale commence par un diagnostic. Et ce, en accordant la priorité au comportement de l’entreprise en matière de relations de travail, d’impact sur l’environnement et sur la communauté, ainsi qu’en matière de corruption. Pour chacun de ces objets de réflexion, on pourrait certes écrire un traité complet. Il en existe d’ailleurs des quantités. Ce qui importe, toutefois, c’est que ces dimensions de la vie de l’entreprise en viennent à prendre leur place légitime dans les processus de décision et d’évaluation de la performance, au même titre que les marges bénéficiaires, les parts de marché et le rendement du capital.
Car ceux et celles qui ignorent la productivité sociale de leur entreprise minent son potentiel stratégique et sa capacité de créer de la valeur durable pour les actionnaires – non seulement leurs propres actionnaires, mais aussi ceux de tout leur écosystème.
Robert Dutton est le tout premier entraîneur en résidence de l’École d’entrepreneurship de Beauce (EEB). Pendant 20 ans, il a assuré la direction de Rona à titre de président et chef de la direction. Sous sa gouverne, l’entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant canadien de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage. Après un passage aussi marquant que remarquable comme entrepreneur-entraîneur, Robert Dutton a décidé d’accompagner les entrepreneurs-athlètes de façon plus assidue, au sein de l’EEB.