Sur l'île de Rana, d'étranges créatures mi-humaines mi-grenouilles doivent réparer les dégâts environnementaux causés par l'explosion d'une usine exploitée par de gros crapauds baveux. Collecte d'échantillons sur le terrain, analyses en laboratoire, installation d'un barrage pour filtrer les eaux contaminées : le joueur, invité à se glisser dans la peau d'un Ranacien, a fort à faire.
Ce jeu interactif est l'un des sept mondes virtuels disponibles sur la plateforme Science en jeu, conçue pour les 9 à 17 ans. Mis au point en partenariat avec EnviroCompétences, le comité sectoriel de main-d'oeuvre de l'environnement, ce jeu, lancé en février, est l'élément phare de la nouvelle stratégie de l'organisme.
" On veut faire découvrir les carrières liées à l'environnement, une industrie en forte croissance, mais où les métiers sont mal perçus et peu connus des jeunes du secondaire ", déclare Caroline Julien, la fondatrice de CREO, PME qui a mis au point le jeu.
Apprendre en s'amusant
La jeune entreprise, créée il y a une douzaine d'années, fait de la vulgarisation scientifique par le jeu vidéo son cheval de bataille. Elle a commencé par concevoir des cédéroms mettant en vedette les personnages du magazine Les Débrouillards. Cependant, au début des années 2000, le développement d'Internet et l'arrivée massive des consoles de jeu l'obligent à revoir son modèle.
" Avec Les Débrouillards, nous avions trouvé une niche pour des produits qui permettent d'apprendre tout en s'amusant. Nous avons donc décidé d'offrir ce service à des organismes qui ont un contenu scientifique à communiquer, comme des ministères, des musées ou des fondations, mais en le faisant de manière ludique, par le jeu en ligne ", indique la présidente de l'entreprise montréalaise.
La firme, qui emploie une douzaine de personnes et autant de pigistes, a ainsi développé des jeux personnalisés en partenariat avec plusieurs organismes et institutions, du ministère de l'Environnement et de la Faune à l'Université Laval, en passant par des entreprises comme Premier Tech.
" Les partenaires diffusaient ces contenus sur leur site Web. Ils étaient donc éparpillés dans le cyberespace et sur des sites pas toujours fréquentés par des jeunes ", souligne Mme Julien. D'où l'idée d'élaborer une plateforme pour réunir ce contenu et créer un achalandage susceptible de bénéficier à tout le monde.
Un Club Pingouin scientifique
Lancé il y a deux ans, scienceenjeu.ca regroupe sept univers de jeu qui correspondent chacun à une thématique scientifique. L'île Génomia, créée en collaboration avec Génome Québec, propose par exemple une mission consistant à analyser l'ADN de créatures étranges dans un laboratoire virtuel.
Sur le plan de la fréquentation, le succès est au rendez-vous : les visites ont triplé en un an, pour atteindre plus de 35 000 par mois. Mais le principal défi reste celui des revenus. Comment financer un produit conçu uniquement pour le Web, où les usagers ont l'habitude d'avoir accès à du contenu gratuit ?
La solution : s'associer à des partenaires qui contribuent sous diverses formes, soit en payant pour le développement du jeu, soit en fournissant son expertise pour mettre au point des contenus pertinents.
Toutefois, ce modèle ne suffit pas pour passer à la vitesse supérieure. CREO veut donc proposer des services payants à valeur ajoutée sur le modèle du site à succès de Disney, Club Pingouin : des quêtes liées au niveau scolaire des jeunes, un coach scolaire pour améliorer les résultats des élèves, des activités de développement cérébral auprès d'enfants en difficulté d'apprentissage ou encore des contenus réservés aux enseignants.
Au début de l'année, l'entreprise a reçu un financement de 875 000 $ du Fonds des médias du Canada pour établir son plan de commercialisation. " Nous sommes en concurrence avec des acteurs majeurs. Pour faire en sorte que les jeunes viennent et reviennent, il faut offrir sans cesse de la nouveauté et diversifier les sources de revenus. "
Une vraie débrouillarde
Caroline Julien ne se destinait pas à devenir entrepreneure. Pourtant, c'est le meilleur moyen qu'elle ait trouvé pour faire partager sa passion à l'égard des sciences. " À 12 ans, j'avais créé pour l'école une petite publication scientifique, qui était en quelque sorte l'arrière-grand-mère de CREO. J'y dessinais les personnages des Débrouillards à la main ", raconte-t-elle. Après des études en génie forestier et en communications, elle travaille pendant 10 ans comme journaliste scientifique avant de fonder CREO, durant la bulle techno. " Tout le monde voulait avoir du multimédia. Dès le début, j'ai choisi de travailler pour des clients pour qui le contenu était plus important que la bébelle techno. Et c'est toujours vrai aujourd'hui. "
Comment entrevoyez-vous la situation de votre entreprise dans cinq ans ?
Je veux que Science en jeu devienne un incontournable de la vulgarisation scientifique au Québec et dans le monde, et qu'il se décline sur plusieurs plateformes : jouets, émission de télévision, applications iPhone et iPad, médias sociaux, etc.
Quelle est votre principale force ?
L'originalité, le travail d'équipe, la polyvalence.
Quel entrepreneur vous inspire ?
Guy Laliberté, le fondateur du Cirque du Soleil. Je trouve fascinant qu'un cracheur de feu ait pu monter un empire de cette envergure, en innovant constamment.
Qu'appréciez-vous le plus de votre équipe ?
La créativité débordante et le feu sacré. Ils sont passionnés par la volonté de communiquer quelque chose d'essentiel et de faire des produits qui ont un impact sur la vie des gens.
Sur quoi ne feriez-vous aucune concession ?
Développer un produit seulement pour une question d'argent, sans contenu scientifique à communiquer.
45 % des jeunes qui visitent Science en jeu ont de 9 à 12 ans et 35 %, de 12 à 17 ans. Des adultes, des parents ou des éducateurs (15 %) fréquentent également le site. Les utilisateurs proviennent surtout du Canada (58 %) et de la France (32 %), mais aussi de 107 pays dans le monde.