Des citations comme celles-ci (voir ci-dessous), je pourrais en aligner plusieurs... Il n'en faut pas plus pour illustrer le malaise profond et ancien que la richesse provoque chez bien des gens. Les auteurs de ces citations ne sont pourtant pas des militants de gauche. Certains d'entre eux étaient prospères, voire riches - ou alors ils côtoyaient le pouvoir et la richesse à titre de conseillers.
« Le vice est caché par la richesse et la vertu par la pauvreté. » – Théognis de Mégare
« Le riche a honte de sa richesse et sait que, si le malheur se dresse, la richesse est une sablière qui s’effondre. » – Jacques de Bourbon Busset
« La prospérité révèle nos vices et l’adversité nos vertus. » – Francis Bacon
« Le cœur grossier de la prospérité ne peut comprendre les sentiments délicats de l’infortune. » – Chateaubriand
« La richesse illumine la médiocrité. » – Abel Bonnard
Certes, ce dédain apparent de la richesse n'est pas universel. Partout, des femmes et des hommes l'admirent et la recherchent. Dans certaines cultures, l'attitude positive prédomine, alors que dans d'autres, les citations ci-contre reflètent davantage l'attitude prédominante. Je crois que la culture québécoise appartient à cette dernière tendance : la richesse met mal à l'aise, et ceux qui réussissent se sentent parfois tenus de s'en excuser.
Un pourcentage étonnant de Québécois ne nourrit pas l'ambition de s'enrichir - ni individuellement ni collectivement. Il y a moins d'un an, un sondage mené par CROP auprès des Québécois révélait une opinion assez troublante ; 59 % des répondants étaient d'accord avec l'affirmation suivante : «Des richesses, il y en a suffisamment chez nous ; ce qu'il nous faut, c'est prendre les moyens pour mieux les répartir.» Ceci dans une des régions les moins riches - et les plus égalitaires - en Amérique du Nord ; une région qui se range résolument parmi les nantis de ce monde, mais qui s'est fait surpasser par nombre de pays d'Europe occidentale au cours des dernières décennies.
Autrement dit, pour un nombre élevé de Québécois, la richesse se prélève, plus qu'elle ne se crée. On semble postuler que la richesse existe, tout simplement. Et que s'il faut en créer, cette responsabilité incombe à «quelqu'un d'autre».
La richesse, ennemie du développement social ?
On présente parfois le développement économique - l'enrichissement d'une collectivité - et le développement social comme des antinomies. Comme si le «partage», la «solidarité» étaient difficilement compatibles avec la création de richesse. Les riches devraient se sentir coupables d'avoir réussi, «causant» ainsi la pauvreté relative des moins nantis ; les nations riches devraient se sentir coupables d'avoir «causé» le sous-développement d'autres nations ; les pays émergents devraient se sentir coupables de se développer en «volant» des emplois aux pays développés ; et tout aussi coupables de se développer sans que tous leurs citoyens s'enrichissent au même rythme.
Vous vous souvenez du slogan «Croissance zéro» ? Cette idée, ou ses variantes, reviennent inlassablement, génération après génération.
Or, le développement social est étroitement lié au développement économique.
Par exemple, l'espérance de vie du petit Québécois à la naissance était de 82 ans en 2013 ; par rapport à 75 ans en 1980 ; et à... 54 ans dans les années 1920. Un progrès proprement spectaculaire, conséquence d'une meilleure éducation, de la progression des sciences de la santé et de l'accès aux soins, de l'hygiène et de meilleures conditions de vie. Toutes des choses indissociables du développement économique. L'exemple russe l'illustre de façon saisissante : les années 1990 ont été des années de déclin économique en Russie. En dollars constants de l'an 2000, le PIB par habitant a décru de 5 800 à 3 900 $, de 1988 à l'an 2000. L'espérance de vie a suivi la même tendance - elle a diminué, de 69 à 64 ans. L'économie russe a ensuite renoué avec la croissance, et le PIB (toujours en dollars constants) est remonté à 6 600 $ en 2011. Parallèlement, l'espérance de vie des Russes a retrouvé son niveau de 1988, à 69 ans.
Certes, le développement économique nous lance des défis en matière de protection de l'environnement. Mais les solutions découlent aussi de ce développement. Toutes les villes occidentales offrent aujourd'hui des milieux de vie plus sains et plus propres qu'ils ne l'étaient au 19e siècle. Ceux qui en doutent peuvent lire, ou relire, Dickens.
Bref, l'enrichissement ne mérite pas le malaise qu'il suscite souvent. Il est porteur de développement social. Surtout lorsque la richesse est créée et utilisée de façon responsable et équitable - ce qui implique partage et solidarité.
Mais la richesse et la prospérité ne se trouvent pas. Elles ne se prélèvent pas. Elles se créent, et elles doivent être créées avant d'être partagées.
Avant de partager la prospérité, il faut faire la prospérité. Et avant de la faire, il faut la vouloir. Et la comprendre. Vouloir et comprendre la prospérité, des thèmes sur lesquels mes chroniques d'automne porteront.
Pendant 20 ans, Robert Dutton a assuré la direction de Rona à titre de président et chef de la direction. Sous sa gouverne, l'entreprise est devenue le plus important distributeur et détaillant canadien de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage. Aujourd'hui, il accompagne les entrepreneurs- athlètes à l'École d'entrepreneurship de Beauce, où il est le premier entraîneur en résidence.