L'Américaine Linda Rottenberg a lancé Endeavor il y a 17 ans. Cet OSBL est aujourd'hui présent dans 20 pays. Il soutient les entrepreneurs désireux de massifier leurs entreprises. À ce jour, 41 000 candidatures ont été évaluées et 1 000 entrepreneurs qui génèrent 7 milliards de dollars par an ont profité de ses services. Le CA d'Endaevor est dirigé par Edgar Bronfman fils.
Diane Bérard - Quelle est la mission d'Endeavor ?
Linda Rottenberg - Endeavor est un organisme sans but lucratif qui trouve et aide les entrepreneurs qui ont un fort potentiel d'impact. Nous sommes un réseau mondial d'accélérateurs d'entrepreneurs. C'est différent des accélérateurs d'entreprises, qui, eux, se concentrent sur les startups, qui visent le démarrage. Nous intervenons lors de la phase de massification. Pour l'instant, nous sommes présents dans 20 pays. Les 1 000 entrepreneurs que nous soutenons emploient 400 000 personnes. Plus des trois quarts de ces 400 000 emplois ont été créés suite au passage des entreprises à Endeavor.
D.B. - Quel est votre modèle opérationnel ?
L.R. - Il ressemble à un réseau de franchises. Tout commence par la communauté d'affaires. Celle-ci doit se mobiliser et amasser de 3 à 5 millions de dollars américains. Les membres de cette communauté doivent s'engager pour cinq ans. Lorsque ces conditions sont remplies, Endeavor démarre une franchise et nomme un conseil d'administration. Nous possédons des CA dans tous les pays et toutes les villes où nous sommes présents.
D.B. - Le fait d'être un OSBL n'est-il pas en contradiction avec votre philosophie de massification ?
L.R. - Pas vraiment. Je dirais plutôt que nous profitons de tout ce que ces deux modèles offrent de mieux. Notre statut d'OSBL est un sceau d'indépendance, mais nous agissons comme une entreprise, car nous sommes guidés par une logique de marché. Endeavor n'ouvre aucun bureau si la communauté d'affaires n'a pas exprimé un besoin et un engagement clair.
D.B. - Bénéficiez-vous de financement du gouvernement ?
L.R. - Je n'en ai pas et je n'en veux pas. J'estime que le gouvernement est plutôt inefficace lorsqu'il est question de stimuler l'entrepreneuriat. Il s'attaque aux mauvais problèmes, comme le nombre de jours requis pour se lancer en affaires ; cela pèse tellement peu dans la balance. Et puis, le gouvernement consacre trop de ressources aux startups. Ensuite, il les laisse mourir avant qu'elles aient eu l'occasion de grandir.
D.B. - Comment bouclez-vous votre budget ?
L.R. - En plus de l'argent venu des communautés, chaque entrepreneur paie 10 000 $ par an pour bénéficier de notre soutien. Et s'il vend un jour une partie ou la totalité de son entreprise, chaque entrepreneur soutenu par Endeavor nous remet 2 % de la valeur générée.
D.B. - Comment trouvez-vous vos entrepreneurs à fort potentiel d'impact ?
L.R. - Parfois, ils viennent à nous. Parfois, nous allons vers eux. En 17 ans, nous avons connu 41 000 entreprises. De ce nombre, nous en avons retenu 1 000. Le processus de sélection commence auprès d'un comité national. Si l'entrepreneur a du potentiel, il passe devant notre comité international. À cette étape, il doit être choisi à l'unanimité. Le processus de sélection dure environ un an.
D.B. - Que se passe-t-il lorsqu'un entrepreneur est retenu pour votre programme ?
L.R. - Nous lui composons un comité consultatif de trois personnes. Et il reçoit des services adaptés à sa réalité. Endeavor a un réseau d'investisseurs, comme Omidyar Network, Abraaj Group et Greylock Partners. Nous pouvons aussi compter sur un réseau de formateurs de Harvard et de Stanford, entre autres. C'est de ce type d'expertise que nos entrepreneurs bénéficient.
D.B. - Tous les États comptent sur l'entrepreneuriat pour dynamiser leur économie. Mais on ne peut pas forcer les gens à se lancer en affaires...
L.R. - C'est vrai. Et c'est pour cela qu'il est plus efficace d'investir dans les entrepreneurs qui voient grand que de gaspiller des ressources à forcer des vocations.
D.B. - On ne peut pas non plus forcer un entrepreneur à prendre de l'expansion...
L.R. - Je veux bien, mais encore faut-il avoir pris le temps d'y réfléchir sérieusement. Plusieurs entrepreneurs ne se permettent pas de penser grand. Lorsqu'une entreprise termine sa phase de démarrage, le ou les fondateurs doivent se questionner sur la suite des choses. Si le rythme de croisière les satisfait, tant mieux. Mais s'ils visent la croissance, des changements s'imposent. Il faut fermer certaines portes. Par exemple, vous ne pouvez pas conserver votre emploi éternellement. Le fondateur de Nike faisait encore ses déclarations de revenus 10 ans après le lancement de l'entreprise. Et la fondatrice de la marque de lingerie Spanx, Sara Blakely, avait encore un emploi à temps plein deux ans après le lancement. C'est trop. N'écoutez pas ceux qui vous disent qu'il faut jouer de prudence. Il vient un moment où un entrepreneur doit plonger.
D.B. - La massification exige un soutien particulier. De quel ordre ?
L.R. - Lors du démarrage, vous avez besoin d'assistance pour déterminer les besoins de vos clients, développer votre clientèle, raffiner votre plan d'affaires et faire parler de vous. Lors de la massification, il vous faut des mentors qui vous aideront à devenir un leader. À cette étape de la vie de votre entreprise, vous devez convaincre votre équipe de vous suivre. Il ne s'agit plus de vendre votre produit à des clients, mais bien de vendre votre projet de croissance à vos employés. Il vous faut puiser dans vos habiletés interpersonnelles.
D.B. - À quoi un entrepreneur doit-il s'attendre lors de la phase de massification ?
L.R. - À des conflits potentiels avec ses associés, et peut-être avec certains membres de l'équipe de direction qui n'ont pas les mêmes objectifs. D'ailleurs, plusieurs PME ne croissent pas parce qu'un fondateur résiste et que l'autre n'ose pas lui tenir tête. Pour limiter les sources de conflits, il serait préférable de couper le cordon avec vos mentors de la phase de démarrage. Soyez reconnaissants de leur contribution, mais regardez en avant. Vous avez besoin de nouvelles compétences.
D.B. - Vous êtes l'auteur de Crazy is a compliment. De quoi y parlez-vous ?
L.R. - Des risques, de ceux qu'on prend, mais surtout de ceux qu'on ne prend pas. Si on ne vous dit pas que vous êtes fou, c'est que vous ne voyez pas assez grand. Mon livre ne s'adresse pas aux entrepreneurs, il s'adresse à tous. Car il n'y a pas que les décrocheurs technos qui rêvent grand ! Mais attention, ce n'est pas parce que je vous invite à prendre des risques que je vous incite à jouer le tout pour le tout. Il faut risquer intelligemment.
D.B. - Lorsque plus rien ne fonctionne, pour voir ses projets aboutir, vous suggérez le harcèlement...
L.R. - Le harcèlement et les petits mensonges pieux. Deux techniques que j'ai employées à maintes reprises. Vous suivez votre interlocuteur jusqu'à la salle de bain s'il le faut. Vous lui placez votre carte professionnelle dans les mains et vous réclamez un rendez-vous. Et vous ajoutez que vous avez déjà rencontré son plus proche concurrent.