Rien n'obligeait Mélanie Kau à quitter Mobilia. Ni à acheter Le Naturiste. Si la femme d'affaires a pris des décisions aussi marquantes pour elle, son entourage et son entreprise, c'est qu'elle le voulait. Parce que, comme elle le résume si bien, elle voulait préparer son destin plutôt que le subir.
Aussi prononcé soit-il, le virage professionnel de l'ancienne présidente de la chaîne de magasins de meubles s'est amorcé tout en douceur. Il y a environ deux ans, après quelques discussions avec son frère Johannes, de 15 ans son cadet, elle ne peut que se rendre à l'évidence : Johannes aimerait lui aussi devenir président un jour ! «Jusque-là, ce n'était pas évident, mais son intérêt était devenu de plus en plus vif.»
Ce constat ébranle celle qui dirigeait l'entreprise familiale depuis 15 ans, mais elle refuse de simplement balayer les aspirations de son frère. Elle sait, toutefois, que le fauteuil de la présidence est trop étroit pour eux deux... «Il fallait que je décide ce que je voulais faire.»
À la veille de la cinquantaine, elle choisit de voir dans ce «nuage» l'occasion de se concentrer sur ses propres aspirations. Elle prend le temps de réfléchir, multipliant les marches avec sa chienne, sa chère Nayla. Elle discute avec son mari, consulte un réseau de présidents d'entreprise en qui elle a confiance. «Mais finalement, ça reste une décision très personnelle.»
Elle adore son équipe, aime voyager, se sent à l'aise dans son entreprise. Peut-être trop, justement. «Je me suis demandé si j'avais des défis quotidiens et je me suis rendu compte que ce n'était peut-être pas le cas.» Sans compter qu'elle aimerait bien savoir ce dont elle serait capable sans l'ombrelle protectrice de l'entreprise fondée par son grand-père en 1962.
Lorsqu'elle fait part de sa décision à son père et à sa soeur, coactionnaires avec elle et son frère, c'est le choc. «Dans une entreprise familiale, on présume que tu seras là éternellement...» L'annonce à son équipe est encore plus difficile. «Nous avons pleuré un peu», raconte-t-elle, l'émotion dans la voix. Elle quitte finalement l'entreprise en janvier 2012.
Regarder en avant
Regarder en avant
Même si son départ suscite des émotions, tant chez elle que chez ses proches, elle maintient le cap. Les regrets lui effleurent l'esprit par moments, naturellement, mais elle a confiance en sa réflexion et en sa décision. «Peut-être que je ne me permettais pas d'aller trop là [dans les regrets] non plus...»
Elle se tourne plutôt vers l'avenir en se posant deux questions fondamentales : quelle est la valeur ajoutée qu'elle peut apporter à une entreprise et qu'est-ce qui lui procure le plus de plaisir. «Les deux vont ensemble, puisque nous sommes bons dans les choses que nous aimons.» Quelques promenades plus tard, elle sait que «le client la fascine» et qu'il jouera un rôle central dans sa prochaine aventure.
Un partenaire tombé du ciel
Pour dénicher sa future entreprise, Mélanie Kau met son réseau à contribution. Elle trouve une première cible d'acquisition, qui ne s'avérera pas concluante. Elle n'aura toutefois pas perdu son temps, puisqu'elle sort du processus avec un partenaire !
Stephen Rosenhek, ancien associé-directeur chez Richter, lorgnait lui aussi cette première cible. Plutôt que de se concurrencer, lui et Mélanie Kau décident de faire équipe. Lorsque la transaction tombe à l'eau, ils restent en contact. «Stephen avait lui aussi décidé de modifier la trajectoire de sa carrière. Nous étions au même endroit au même moment, ce qui est rare.» En plus, les deux partenaires se complètent comme le yin et le yang. Il aime les finances, elle adore la commercialisation. Elle voit le verre à moitié plein, il soulève les problèmes éventuels.
Lorsque l'occasion d'acheter Le Naturiste se présente, Mélanie communique rapidement avec Stephen. Elle ne l'a jamais regretté. «Oui, il y a eu des moments où nous avons discuté plus à voix forte qu'à voix basse, mais jamais je n'ai pensé avoir fait un mauvais choix en m'associant à Stephen.»
Surprise au déjeuner
Surprise au déjeuner
La chaîne de produits naturels Le Naturiste est elle aussi arrivée sur la route de Mélanie Kau un peu par hasard. Chaque année, la dirigeante déjeunait avec un ancien chef des finances de Mobilia. Un bon matin, il arrive atterré : l'entreprise pour laquelle il travaille sera vendue. La maison mère américaine a décidé de se départir de ce petit actif en sol canadien. «La vie est drôle parfois !» s'étonne encore la femme d'affaires.
L'occasion pique tout de suite l'intérêt de celle qui souhaitait mettre à profit ses compétences en vente et en marketing. «La marque est un peu fatiguée, un peu poussiéreuse, mais elle est quand même bien et très connue du public.»
Sur la route pour la vérification diligente
Ce n'est pas parce que le hasard s'est montré généreux jusqu'alors que Mélanie Kau va lui laisser les rênes de sa future aventure pour autant. Avant de présenter une offre d'achat, elle souhaite évaluer le potentiel de la chaîne de 80 magasins (78 au Québec et 2 au Nouveau-Brunswick) et 275 employés.
Elle et son partenaire prennent la route. Pendant deux mois, ils visitent une soixantaine de magasins ! Ils s'y promènent comme clients, questionnent le personnel, sirotent un café à l'extérieur pour observer la clientèle, analysent la localisation des succursales.
Ces observations, combinées à un examen approfondi des états financiers, leur permettent de cerner les problèmes et de voir s'ils sauront les régler. Résultat, ils n'ont pas eu de mauvaise surprise après la clôture de la transaction, en octobre 2012. «Nous savions déjà que l'état des magasins serait un défi.»
Mme Kau dit toutefois avoir été agréablement surprise par la «vocation» du personnel, qui a de bons côtés - relation avec les clients, fidélité à l'entreprise -, mais demande beaucoup de persuasion. «Lorsque les employés sont là depuis 15 ou 20 ans, il faut les convaincre. On ne peut pas juste dire "voici ce qu'on va faire".»
Les deux actionnaires ont déjà créé un «premier petit choc» en décrétant que le siège social devait se voir comme étant au service des magasins plutôt qu'en haut de la pyramide. «C'était assez silencieux à la première réunion ! Maintenant, l'idée est comprise et acceptée. Il reste à la vivre.»
Conviction profonde
Conviction profonde
Quand Mélanie Kau dit qu'elle est là par choix, elle a un argument de poids. La fin de semaine où elle et son partenaire devaient déposer leur offre d'achat sur Le Naturiste, elle a reçu un appel pour le moins déstabilisant. On lui offrait un poste «très intéressant» dans une grande entreprise manufacturière, où elle serait responsable du territoire des Amériques au complet. «C'était déchirant ! Je ne savais plus quoi faire...»
Elle a sondé son âme, s'est demandé qui elle était. La réponse qu'elle a trouvée lui a permis de trancher et de n'avoir aucun regret depuis : «Je suis vraiment une entrepreneure.»
Ce qu'elle avait sous-estimé ?
«Les négociations ont duré neuf mois ! C'était la première fois que j'achetais une entreprise, et je pensais que ça prendrait deux semaines. À certains moments, je croyais que la transaction ne se ferait pas.»